Fin officielle du franc CFA
Le 21 décembre 2019, les présidents ivoirien et français ont annoncé la fin du franc CFA et la réforme du fonctionnement de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA), premier pas vers la création d’une monnaie commune aux 15 pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO (8 pays de l’UEMOA, Nigéria, Ghana, Gambie, Libéria, Guinée, Cap-Vert et Sierra-Leone). En juin 2020, l’Eco remplacera officiellement le franc CFA et la France n’interviendra plus dans la gouvernance de l’UEMOA. Elle conservera néanmoins son rôle de garant et prêteur en dernier ressort, du moins dans un premier temps. Cette réforme répond à la volonté légitime des pays de l’UEMOA de gérer leur monnaie déjà commune. Son succès repose sur le maintien de la fixité par rapport à l’euro.
Changement de gouvernance
Outre le changement de nom, la France et les pays de l’UEMOA ont décidé de la fin de l’obligation, pour la Banque centrale régionale de pays d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), de déposer au moins 50% de ses réserves de change sur le compte d’opérations auprès du Trésor français[1] et le retrait des représentants français des organes de décision et de gestion de la politique monétaire régionale.
Pour autant, la convertibilité illimitée de la nouvelle monnaie au taux fixe inchangé de 655,957 Eco pour 1 euro restera garantie par la France. Des détails techniques sont encore à apporter, en particulier les modalités de soutien en cas de tensions sur les réserves de change. A priori, une ligne de crédit illimitée sera mise en place. Mais l’UEMOA a déjà démontré sa capacité de résistance à des chocs politiques ou financiers, la garantie n’ayant été activée qu’une seule fois depuis sa création, juste avant la dévaluation de 50% du FCFA en 1994[2]. Elle a notamment résisté à l’instabilité politique en Côte d’Ivoire (principal pays de la zone) et la baisse des prix des matières premières en 2015-2016. Les réserves de change sont revenues à un niveau convenable de EUR 13 mds, soit 5,1 mois d’importations de biens et services, au T3 2019 grâce, notamment, aux émissions d’Eurobonds de la Côte d’Ivoire et du Sénégal ces deux dernières années (pour 5 mds de dollars).
Les freins à plus de flexibilité
En pratique, l’accession à la souveraineté monétaire ne donnera pas plus de liberté à la BCEAO dans la conduite de sa politique monétaire. En effet, si le taux de change est fixe, elle devra maintenir l’écart qui existe déjà entre son taux directeur (2,5%) et celui de la zone euro quand bien même la plupart des pays de l’UEMOA respectent tous les critères de convergence tels que définis dans le projet d’union monétaire des pays de la CEDEAO[3].
On peut toutefois se demander si les pays de l’UEMOA n’auraient pas dû saisir cette occasion pour introduire une dose de flexibilité au régime de change, en adoptant un ancrage à un panier de monnaies et une marge de fluctuation, et ainsi donner des marges de manœuvre à la politique monétaire. La principale raison à ce choix est que la stabilité macro-financière de l’UEMOA reste fragile. Depuis 2016, le déficit courant de la région dépasse 6% du PIB et le FMI n’entrevoit pas d’amélioration avant 2022 avec le démarrage de la production pétrolière au Sénégal. Surtout, l’endettement public a fortement progressé. De 35% du PIB en 2014, la dette publique de la zone est passée à 47,6% du PIB en 2019 en dépit d’une croissance soutenue. La dette en devise a suivi une tendance similaire en enregistrant une hausse de 11 points de pourcentage de PIB sur les 5 dernières années pour atteindre 33% du PIB en 2019. La charge d’intérêt a fortement progressé, dépassant 10% des recettes publiques (dons inclus) en Côte d’Ivoire et au Sénégal.
Par ailleurs, les élasticités prix des volumes d’exportations et d’importations sont faibles[4] en raison de la forte proportion des exportations de matières premières non transformées dans le total des exportations (54%) et d’une base de production industrielle insuffisante pour se substituer aux importations. En d’autres termes, les économies ne sont pas assez diversifiées pour répondre positivement à une dépréciation du change. La stabilité du FCFA contre euro a permis de neutraliser les évolutions des prix du pétrole (largement importé) dans la mesure où ces derniers sont corrélés négativement avec le dollar. Enfin, et surtout, les Etats sont très largement endettés en devises, la dette extérieure de la zone représentant 70% de la dette totale.