Eco Emerging

La transition économique, l’autre chantier

26/01/2020
PDF

L’année 2019 s’est achevée par la tenue d’élections présidentielles remportées au premier tour par M. Tebboune dans un contexte marqué par un fort taux d’abstention et la poursuite de manifestations massives. Si elles comblent un vide constitutionnel, ces élections sont loin de clôturer la transition dans laquelle se trouve plongée l’Algérie depuis la démission du président Bouteflika le 22 février 2019 sous la pression de la rue. À la refonte politique s’ajoute un autre chantier d’envergure pour les autorités: restaurer la soutenabilité d’un modèle économique lourdement fragilisé par la chute des recettes d’hydrocarbures et la perte de confiance des investisseurs. La période qui s’ouvre s’annonce donc décisive et chargée d’incertitudes.

Une économie à l’arrêt

Prévisions
Croissance hors hydrocarbures, contributions par secteur

Selon l’ONS, la croissance économique n’a atteint que 1,2% au T3 2019 après avoir stagné à 0,3% au T2. Ce léger regain d’activité résulte essentiellement de la hausse de 1,4% du PIB réel des hydrocarbures. Or, ce dernier venait d’enregistrer huit trimestres de contraction. À 1,03 million de barils par jour en moyenne sur les neuf premiers mois de l’année, la production de pétrole brut a ainsi touché son plus bas niveau depuis 2003 alors que celle du gaz a décroché de 7,5% par rapport à 2018. Compte tenu de la baisse des cours mondiaux du pétrole, le PIB nominal du secteur des hydrocarbures a ainsi enregistré une chute de 18% au T3 malgré la stabilité du dinar contre le dollar. Difficile donc d’y voir un effet de support pendant que des pans entiers de l’économie souffraient des soubresauts politiques.

De fait, la croissance hors hydrocarbures est tombée à 1,4% au T3 2019 contre 3,7% un an auparavant (graphique 2). Tous les secteurs ont été touchés à l’exception de l’industrie manufacturière, qui a affiché une résilience surprenante (+4,7% en moyenne sur les 9 premiers mois de l’année) mais dont le poids dans l’économie est faible (5% du PIB nominal). Pour le reste, la croissance du secteur des BTP (12% du PIB) a été divisée par deux à 3% et celle des services non marchands (15%) par près de quatre de 3,4% au T32018 à 0,9% au T32019. Malgré une inflation contenue à 2% sur l’ensemble de l’année grâce à l’importance des produits subventionnés (26% du panier de consommation) et le niveau élevé des importations, l’activité des services marchands a également été pénalisée par la décélération marquée de la consommation des ménages (+0,3% au T3 2019 contre 3,1% un an auparavant).

Surtout, l’investissement est atone depuis (+0,9% au T2 ; +0,7 au T3), ce qui obère toute perspective de reprise tant que le climat des affaires ne se sera pas stabilisé. En outre, la loi de finances 2020 table sur d’importantes coupes budgétaires dans les investissements publics (voir ci-dessous). A 1,7% en 2020 contre 1,1% en 2019, la croissance économique ne se redresserait ainsi que sous l’effet d’une légère hausse de la production de gaz alors que la progression du PIB hors hydrocarbures ne devrait pas dépasser 1,5%. Mais au-delà des difficultés de l’économie à repartir, c’est la dérive des comptes publics et extérieurs qui inquiète.

Érosion inquiétante des réserves de change

Selon le FMI, il faudrait un cours du Brent à USD 106 le baril pour que l’Algérie rééquilibre sa balance courante en 2020, un niveau non seulement inatteignable dans le contexte actuel mais aussi nettement supérieur aux autres pays exportateurs de pétrole de la région. Les raisons sont multiples, à commencer par la difficulté à réduire la facture des importations. Depuis 2016, ces dernières sont relativement stables, à USD 46 mds, et les statistiques douanières n’indiquent pas d’inflexion pour 2019 malgré la chute de 16% des achats de biens d’équipements industriels due à la morosité économique. Surtout, les exportations sont sous pression. Constituées à plus de 90% d’hydrocarbures, elles ont encore chuté de 12,5% sur les 10 premiers mois de 2019, conséquence d’un double effet volume-prix particulièrement significatif pour le gaz (saturation du marché européen, consommation nationale soutenue). Pour la première fois depuis des décennies, l’Algérie devrait avoir ainsi plus consommé de gaz en 2019 qu’elle n’en a vendu à l’étranger (graphique 3).

Avec un déficit courant d’environ USD 20 mds (11% du PIB) et en l’absence de flux de capitaux significatifs (les flux nets d’investissements directs étrangers oscillent autour d’un milliard de dollars US), la liquidité extérieure va donc continuer de s’éroder rapidement. Tombées à USD 60 mds fin 2019 contre un pic de USD 195 mds fin 2013, les réserves de change restent encore confortables (12,6 mois d’importations de biens et services). Néanmoins, elles pourraient atteindre seulement USD 25 mds d’ici deux ans, une dynamique qui inquiète compte tenu de la dépendance élevée aux importations de l’économie algérienne.

Les finances publiques restent sous pression

Performances du secteur gazier

La situation des finances publiques n’est pas plus rassurante. Avec un « point mort » fiscal estimé par le FMI à USD 109 le baril en 2020, l’Algérie se distingue par rapport à ses pairs régionaux malgré l’effort de consolidation prévu dans la loi de finances. Les autorités ont programmé une baisse de 9% des dépenses cette année reposant exclusivement sur celles d’équipement (-20%). En revanche, les charges courantes resteraient stables (-1,2%), ce qui soulève plusieurs problèmes.

En faisant porter l’ajustement budgétaire sur les investissements publics, l’impact récessif sur l’économie risque en effet d’être décuplé. En outre, le déficit budgétaire restera élevé, à hauteur de 10% du PIB, en raison de la baisse attendue des recettes pétrolières. La question de sa couverture devrait alors resurgir rapidement alors que les autorités ont déclaré qu’elles ne recouraient plus au « financement non conventionnel » mis en place fin 2017. Sur les USD 55 mds mobilisés par le Trésor auprès de la Banque centrale, moins de la moitié a été réellement injecté dans l’économie. Parmi les USD 26 mds restants, le Trésor dispose d’un compte créditeur de 8 milliards, soit deux fois moins que le déficit budgétaire attendu pour 2020, alors que le manque de profondeur du marché des capitaux algérien laisse sceptique sur sa capacité à absorber de gros besoins de financement.

Dernier élément et non des moindres, la dette publique va continuer de croître rapidement et pourrait dépasser les 60% du PIB en 2021 contre 7% du PIB en 2014. Or, si la charge de la dette reste supportable grâce aux conditions très favorables dont a bénéficié le gouvernement dans le cadre du programme de « financement non conventionnel » et au niveau négligeable de dette en devise, la dynamique soutenue de la dette publique rappelle une fois de plus qu’une refonte du modèle économique algérien est indispensable.

Les réformes avancent mais timidement

Il semble y avoir une prise de conscience des dangers de la situation. Des lignes rouges ont en effet bougé. Dès cette année, l’Etat pourra s’endetter à l’étranger pour financer des projets ciblés. La règle du « 51/49 » conditionnant la participation des acteurs étrangers à un rôle minoritaire dans tout projet d’investissement a aussi été assouplie pour les secteurs non stratégiques et une nouvelle loi sur les hydrocarbures vient d’être votée avec pour objectif de renforcer l’attractivité du secteur. Après des années de politique protectionniste, il s’agit d’un changement de cap.

La portée de ces mesures reste néanmoins mesurée au regard des nombreuses entraves qui pèsent encore sur l’attractivité de l’Algérie et plus généralement sur le développement du secteur privé. Surtout, la question de l’équilibre des comptes publics et externes reste entière. La réforme du système de subventions, en particulier énergétiques, demeure un chantier prioritaire mais difficile à mener dans l’environnement actuel. En l’absence de solution pérenne, les autorités pourraient ainsi être obligées de réduire les importations au moyen de mesures tarifaires, voire d’un durcissement du contrôle des capitaux. Une dépréciation du dinar serait également une option pour enrayer l’érosion des réserves de change et augmenter les recettes pétrolières mais avec un risque inflationniste élevé. Dans tous les cas, des décisions s’imposent afin d’éviter à l’Algérie un ajustement macroéconomique sévère à court-moyen terme.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Pays émergents
Naissance de l’Eco : un changement essentiellement symbolique

Naissance de l’Eco : un changement essentiellement symbolique

L’abandon du franc CFA et son remplacement par l’Eco, prévus en juin prochain, répondent à la volonté légitime des pays membres de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) de gérer leur monnaie commune [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Répit de début d’année

Répit de début d’année

La croissance économique a ralenti à 6,1% en 2019. Les exportations se sont contractées et la demande intérieure continue de s’affaiblir [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Des perspectives bien sombres

Des perspectives bien sombres

La croissance indienne reste très inférieure à son potentiel et les indicateurs d’activité ne laissent pas envisager de redressement significatif à court terme. Les marges de manœuvre du gouvernement pour soutenir l’économie sont faibles [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
En quête de rythme

En quête de rythme

Malgré un contexte externe plus difficile, la reprise économique brésilienne semble gagner du terrain, tirée par une demande interne qui se raffermit [...]

LIRE L'ARTICLE
Russie
Une économie de surplus

Une économie de surplus

En 2019, en dépit d’une croissance faible et d’une baisse des revenus du pétrole, l’économie russe génèrent des surplus courant et budgétaire [...]

LIRE L'ARTICLE
Mexique
L’investissement en panne

L’investissement en panne

Après avoir quasiment stagné en 2019, la croissance devrait légèrement rebondir en 2020, soutenue par la consommation privée et les exportations nettes [...]

LIRE L'ARTICLE
Chili
Temps de crise

Temps de crise

Les violentes manifestations qui se déroulent au Chili depuis le mois d’octobre dernier ont poussé le gouvernement à annoncer un ensemble de mesures destinées à lutter contre les inégalités et une nouvelle version de son projet de réforme du système de retraites. Surtout, le gouvernement a signé un accord avec les principaux partis d’opposition, afin d’élaborer une nouvelle constitution. Cela dit, les tensions politiques et sociales restent vives et pèseront sur la croissance. Les perspectives pour les deux années à venir sont largement revues à la baisse. En outre, le déficit et la dette publics augmenteront au cours des cinq prochaines années. [...]

LIRE L'ARTICLE
Taïwan
L’économie trouve un nouveau souffle

L’économie trouve un nouveau souffle

Si le secteur exportateur taiwanais a souffert du ralentissement des échanges entre la Chine et les Etats-Unis dès le printemps 2018, il a aussi rapidement bénéficié d’autres effets, positifs, du conflit commercial sino-américain [...]

LIRE L'ARTICLE
Israël
La politique monétaire au défi du shekel fort

La politique monétaire au défi du shekel fort

La croissance économique est restée soutenue en 2019 malgré un environnement local et international moins favorable [...]

LIRE L'ARTICLE
Ukraine
Vents favorables

Vents favorables

La croissance ukrainienne a sensiblement accéléré au cours des neufs premiers mois de 2019, tirée notamment par le secteur agricole et la consommation des ménages avec un large recours au crédit [...]

LIRE L'ARTICLE
Arabie Saoudite
Une orientation budgétaire favorable à la croissance

Une orientation budgétaire favorable à la croissance

Le PIB non pétrolier a retrouvé une croissance soutenue en 2019 après trois années de résultats décevants. La consommation des ménages et les dépenses d’investissement du secteur public sont les principaux moteurs de cette reprise [...]

LIRE L'ARTICLE
Ethiopie
Changement de stratégie

Changement de stratégie

Pour soutenir la croissance économique, le gouvernement éthiopien abandonne son modèle économique centré sur l’investissement public financé par la dette, pour adopter une stratégie d’ouverture aux capitaux étrangers [...]

LIRE L'ARTICLE