Remise en question du modèle politique
Les violentes manifestations qui se déroulent au Chili depuis le mois d’octobre dépassent largement le cadre de l’opposition aux réformes proposées par le gouvernement de Sebastian Piñera (formé par une coalition de partis du centre droit, au pouvoir depuis mars 2018). Les mouvements de protestation se sont formés spontanément, regroupant un ensemble très vaste de revendications. Plusieurs sondages montrent que les manifestations traduisent principalement la frustration quant à la montée des inégalités, la volonté du gouvernement de réformer les systèmes de retraite et d’accès aux soins, ainsi que le manque de confiance dans les institutions. Dans un premier temps, la réaction très répressive du gouvernement a renforcé l’ampleur des manifestations. Sebastian Piñera a ensuite annoncé plusieurs vagues de mesures économiques et sociales.
Ainsi, un « programme social » a été proposé (pour un montant de USD 1 md en 2019, USD 1,4 md en 2020). Les principales mesures comprennent l’augmentation du salaire minimum et de la pension de retraite minimale, un accès facilité aux soins et la hausse des dépenses publiques dans différents domaines (soutien aux personnes âgées, aux étudiants, et dépenses de maintenance d’infrastructures). D’autres mesures ont suivi au mois de décembre (pour un montant de USD 5,5 mds), le gouvernement souhaitant limiter au maximum l’effet des manifestations sur l’activité économique en soutenant la consommation privée (notamment via des transferts aux familles les plus pauvres), et l’investissement (mesures de soutien pour les petites et moyennes entreprises, restauration des infrastructures détériorées par les manifestations, notamment dans la capitale).
Les mesures budgétaires n’ayant pas suffi à dissiper les manifestations, les partis d’opposition ont proposé l’élaboration d’une nouvelle constitution, qui remplacerait l’existante (promulguée en 1980 au moment de la dictature de Pinochet). Fin novembre, un « accord pour la paix et la nouvelle constitution » a été signé entre le gouvernement et les principaux partis d’opposition.
Par conséquent, au mois d’avril prochain, un référendum comportant deux questions sera organisé : la première déterminera si la constitution doit être remplacée et la seconde, le cas échéant, quel type d’assemblée aura en charge sa rédaction (une « assemblée constituante » exclusivement composée de parlementaires déjà élus, ou une « commission mixte constitutionnelle » composée de parlementaires et de nouveau membres spécialement élus). En octobre, les membres chargés de rédiger la constitution seront élus. Enfin, après que ceux-ci auront proposé un nouveau texte (dans les 12 mois suivant leur élection), un dernier référendum sera organisé pour son adoption (ou non).
Bien que le projet de nouvelle constitution semble approuvé par une large partie de la population, la situation politique et sociale restera extrêmement tendue, d’autant plus que des élections municipales et régionales (en mars), puis présidentielles (en novembre) se tiendront en 2021.
Quelle réforme du système de retraites ?
Les manifestations ayant repris de la vigueur au début de l’année, le gouvernement a proposé mi-janvier une nouvelle version de sa réforme du système de retraites. D’après le communiqué de presse, il propose de porter le prélèvement de chaque salarié de 10% de son salaire mensuel (le taux actuel, nettement inférieur à la moyenne de 18% des pays de l’OCDE) à 16% (contre 15% dans la première version du projet de réforme). La différence de cotisation serait assumée par les entreprises, et ne modifierait pas les salaires nets. Les montants de cotisation supplémentaires seraient répartis entre des comptes individuels de capitalisation et un « fonds solidaire ». Dans les deux cas, la gestion sera prise en charge par un administrateur public afin de répondre aux critiques visant la gestion privée actuelle, jugée coûteuse et peu efficace. La réforme serait mise en œuvre progressivement, en augmentant le taux de cotisation par palier de 0,5% par an, afin de modérer la hausse du coût du travail. Le gouvernement affirme que le montant des pensions de retraite ne pourra ainsi plus être inférieur à celui du salaire minimum pour tous les salariés ayant cotisé au moins 30 ans. Avant d’être adoptée, la proposition de réforme devra être présentée au parlement.
Ralentissement de la croissance
Après avoir progressé de 1,7% en g.a. au premier semestre, puis de 3,3% au troisième trimestre, la croissance du PIB marquera un coup d’arrêt au cours des prochains trimestres. L’indice d’activité mensuelle a déjà reculé de 3,4% en octobre et novembre (après avoir progressé de 2,3% en septembre). Les mesures de relance proposées par le gouvernement et le faible niveau des taux d’intérêt n’empêcheront pas le recul de la consommation des ménages et de l’investissement. L’indice de confiance des consommateurs continue de se détériorer, et les conditions sur le marché du travail ont commencé à se dégrader. Dans le même temps, la confiance des investisseurs continue de chuter. D’après une enquête menée par la banque centrale, plusieurs entreprises ont déclaré reporter les projets d’investissement prévus pour 2020. En revanche, les solides perspectives du secteur minier, pour le moment relativement épargné, devraient permettre de limiter la chute de l’investissement. Au total, la croissance du PIB devrait s’établir à 1% en 2019 et 1,3% en 2020, contre 4% en 2018.
Soutien de la politique économique
La consolidation budgétaire à laquelle le gouvernement s'était engagé n’est plus d’actualité, du moins à court terme. D’après les projections du ministère des Finances publiées en décembre, les dépenses devraient progresser de 1% (en termes réels) entre 2021 et 2024. La nouvelle version de la réforme des retraites ne devrait pas sensiblement modifier cette projection. Le déficit budgétaire dépasserait ainsi 5% du PIB en 2020, avant de se réduire progressivement. La dette publique augmenterait de 28% du PIB en 2019 à 38% en 2024. Parallèlement, le soutien apporté par la banque centrale, qui a abaissé son taux directeur de 175 points de base (à 1,75%) au total sur l’année 2019, devrait se poursuivre en 2020. Dans son dernier communiqué, celle-ci a indiqué que la politique monétaire resterait accommodante « si l’évolution de l’inflation le permettait ». Or, ses dernières projections prévoient une hausse de l’inflation, autour de 3,5% en moyenne pour l’année 2020 (après 2,3% en 2019) – soit un taux supérieur à la cible de 3%. Mais le scénario paraît retenir des hypothèses trop pessimistes. L’inflation au mois de décembre est ainsi ressortie à 3% en g.a., soit un niveau inférieur à celui retenu par la banque centrale. La répercussion observée de la dépréciation du change est probablement moins élevée que celle retenue par la banque centrale, et compensée partiellement par les effets du ralentissement de l’activité.
Les solides fondamentaux de l’économie ont permis de limiter la dépréciation du peso (plus de 8% depuis le début de la crise). Les communications de la banque centrale ont également rassuré les marchés : d’abord par le biais d’un communiqué (début novembre), dans lequel la banque centrale a précisé qu’elle avait les moyens (variété d’outils et niveau des réserves de change) de contenir les risques de liquidité et de volatilité. Ensuite, début décembre, la banque centrale a annoncé un programme de stérilisation des changes, de début décembre 2019 à fin mai 2020. Alors qu’il avait atteint 828 pesos (CLP) par USD à la fin du mois de novembre, le taux de change est revenu autour de 770 depuis le début du mois de janvier (769 le 21 janvier). Dans ce contexte, nous envisageons encore au moins une baisse du taux directeur pour soutenir l’économie en 2020.