Edito

Dette publique : quand les États-Unis éternuent, le reste du monde s’enrhume

29/04/2024
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D’après le dernier Moniteur des finances publiques du FMI, entre 2023 et 2029, la dette publique rapportée au PIB devrait augmenter dans beaucoup d’économies avancées. L’augmentation du ratio de dette publique des États-Unis est la deuxième plus importante (+ 11,7 % du PIB), ce qui obligera le gouvernement et le Congrès américains à réduire de façon structurelle le déficit budgétaire. Toutefois, une telle politique représente un défi considérable compte tenu de l’impopularité des hausses d’impôt, de la difficulté de réduire les dépenses publiques et des obstacles majeurs que constituent la hausse des charges d’intérêt et, à moyen terme, le ralentissement de la croissance du PIB. La question de savoir si les États-Unis parviendront à maîtriser leurs finances publiques revêt également une importance cruciale pour le reste du monde compte tenu du rôle central joué par le marché des Treasuries et le dollar US dans le système financier mondial. La persistance de déficits budgétaires élevés pourrait exercer une pression à la hausse sur les taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et dans le reste du monde, ce qui pèserait sur la croissance. Cela pourrait également entraîner une dépréciation du billet vert.

DETTE PUBLIQUE BRUTE (EN % DU PIB)

Le dernier Moniteur des finances publiques du FMI donne à réfléchir. Entre 2023 et 2029, la dette publique rapportée au PIB (graphique 1) devrait augmenter dans beaucoup d’économies avancées. Au sein de la zone euro, les pays qui afficheraient la hausse la plus forte en pourcentage du PIB, entre 2023 et 2029, sont la Slovaquie[1] (14,6 %), l’Estonie (11,6 %), la Belgique (11,1 %) et la Finlande (10,5 %). L’Italie (7,6 %), le Luxembourg (5,6 %), les Pays-Bas (5,4 %) et la France (4,5 %) devraient également afficher une augmentation significative. [2]

À l’évidence, l’importance économique de ce phénomène — et notamment les craintes qui pourraient porter sur la durabilité de la dette — dépendra du niveau d’endettement initial de chaque pays. Dans le même temps, plusieurs pays ayant traversé une crise devraient accomplir des progrès considérables dans la réduction de leur dette publique : la Grèce (-30 %), Chypre (-27,4 %), le Portugal (-22,1 %) et l’Irlande (-11,2 %). L’Allemagne devrait également connaître une baisse de son ratio d’endettement (-6,6 %).

L’augmentation du ratio de dette publique (+ 11,7 %) des États-Unis est la deuxième plus importante parmi les économies avancées. Cette projection se fonde sur le scénario de base du Bureau du budget du Congrès (Congressional Budget Office, CBO) pour 2024, ajusté des hypothèses politiques et macroéconomiques des services du FMI. Ainsi, le CBO suppose que l’évolution des dépenses et des recettes s’inscrira dans la continuité de ce que prévoit la loi de finances actuelle —jusqu’en 2034 — puis qu’elle suivra le rythme du PIB nominal.[3] D’après ces hypothèses, le CBO estime que le déficit public atteindrait 6,7 % du PIB en moyenne entre 2024 et 2054, puis 8,5 % du PIB en 2054, ce qui porterait la dette publique à 116 % du PIB en 2034, à 139 % en 2044 et à 166 % en 2054. Ces chiffres peuvent laisser perplexes. Compte tenu de l’ampleur de la détérioration des finances publiques aux États-Unis, une réduction structurelle des déficits annuels est nécessaire pour ajuster la politique budgétaire, et éviter ainsi d’atteindre ces ratios d’endettement.

ENDETTEMENT BRUT DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES (% DU PIB)

Le défi sera considérable. Une réduction structurelle du déficit budgétaire nécessiterait à la fois des hausses d’impôt – politiquement impopulaires – et une réduction des dépenses publiques. Toutefois, les dépenses obligatoires – 13,9 % du PIB en 2024 – devraient connaître une hausse constante.

En effet, le coût des programmes de santé augmente en raison de l’accroissement du coût par habitant de la couverture sociale et du vieillissement démographique. La réduction de ces dépenses sera donc particulièrement ardue. Il en va de même pour les dépenses discrétionnaires. Elles représentent une part plus limitée du PIB – 6,2 % en 2024 – et « comprennent la plupart des dépenses militaires et de nombreuses activités non militaires, telles que l'enseignement élémentaire et secondaire, l’aide au logement, les affaires étrangères, la justice et les programmes de construction et d’entretien des routes ».

Enfin, le poids des intérêts de la dette devrait plus que doubler – de 3,1 % du PIB en 2024 à 6,3 % du PIB en 2054 – sous l’effet de l’augmentation de la dette et du refinancement de la dette existante à des taux d’intérêt plus élevés.[4]

En outre, l’évolution de la croissance du PIB réel devrait constituer un frein supplémentaire à la réduction du déficit : elle devrait passer de 2,0 % entre 2024 et 2034 à 1,6 % en moyenne à partir de 2034 sous l’effet conjugué du ralentissement de la croissance de la main-d’œuvre et de la productivité du travail.

La question de savoir si les États-Unis parviendront à maîtriser leurs finances publiques revêt également une grande importance pour le reste du monde compte tenu du rôle central joué par le marché des Treasuries et le dollar US dans le système financier mondial.

La persistance de déficits budgétaires élevés pourrait exercer une pression à la hausse sur les rendements des obligations souveraines américaines. D’après les calculs du FMI, une hausse temporaire de 1 % du déficit primaire des États-Unis - le solde budgétaire hors charges d’intérêt – correspond à une augmentation de la prime de terme d’environ 11 points de base au cours des trimestres suivants.[5] On peut supposer qu’une augmentation permanente du déficit primaire aurait un impact durable sur les rendements obligataires, ce qui influerait également sur les conditions de financement du secteur privé et pèserait sans doute sur la croissance du PIB à plus long terme, compliquant encore davantage la situation de la dynamique dette / PIB.[6]

Par ailleurs, une telle augmentation aurait également des effets indirects sur les autres économies (avancées, émergentes et en développement). D’après le FMI, « une hausse de 1 % des taux aux États-Unis correspond à une hausse des taux d’intérêt nominaux à long terme, jusqu’à un point haut de 90 points de base dans les autres économies avancées, avec un impact persistant sur une période de plusieurs mois ». [7] Pour les économies émergentes, l’impact serait plus prononcé encore, le point haut de la hausse des taux d’intérêt à long terme ressortant à 100 points de base.

Il est intéressant de souligner que pour le FMI les incertitudes sur la politique budgétaire américaine ont également un impact négatif sur les taux d’intérêt à long terme des autres pays. Ces incertitudes sont dues notamment aux événements en lien avec le plafond de la dette et le risque de fermeture des services de l'État américain faute d'accord parlementaire sur le budget (government shutdown), devenus plus fréquent ces dernières années. Enfin, l’absence de progrès sur le rétablissement des finances publiques pourrait finir par réduire l’attrait des Bons du Trésor américains et, plus généralement, des actifs américains aux yeux des investisseurs étrangers. Cela pourrait affaiblir le dollar et exercer une pression à la hausse sur l’inflation et les taux d’intérêt aux États-Unis, ce qui compliquerait encore les efforts de consolidation budgétaire. En conclusion, pour des raisons ayant trait à des facteurs tant nationaux qu’internationaux, il importe que l’objectif d’assainissement des finances publiques figure parmi les priorités politiques les plus urgentes des États-Unis.


[1] La Slovaquie affiche également l’augmentation du ratio dette publique/PIB le plus élevé de toutes les économies avancées.

[2] En zone euro, tel devrait être le cas pour la Belgique, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Italie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas et la Slovaquie. En revanche, la Croatie, Chypre, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, le Portugal, la Slovénie et l’Espagne devraient afficher une diminution de leur ratio d’endettement tandis que ce ratio devrait rester stable en Autriche. Selon le pays, ces projections se fondent sur le dernier budget, les plans à moyen terme, les hypothèses des services du FMI et, pour les pays de l’UE, le programme de stabilité.

[3] Pour une explication plus détaillée de ces hypothèses, cf. Congressional Budget Office, The Long-Term Budget Outlook: 2024 to 2054, March 2024.

[4] Ce doublement du poids des intérêts de la dette survient alors même que le CBO a formulé des hypothèses de taux d’intérêt modérées : le CBO prévoit un rendement nominal (réel) sur les emprunts d’Etat américains à 10 ans compris entre 4,1 % et 4,3 % (1,8 % - 2,1 % en termes réels) entre 2024 et 2050.

[5] Source : Moniteur des finances publiques du FMI, avril 2024. Si l’on suppose qu’une augmentation du déficit primaire n’aurait pas d’influence sur la trajectoire attendue des taux directeurs de la Réserve Fédérale, l’augmentation de la prime de terme correspondrait à une augmentation du rendement sur les Treasuries.

[6] Cela fait référence au fameux débat sur r-g, avec r = taux d’intérêt moyen sur le stock de dette publique et g = croissance du PIB nominal.

[7] D’après nos propres calculs, l’impact économique sur les rendements sur le Bund allemand serait significatif mais plus limité (cf. : États-Unis - zone euro : la divergence des taux d'inflation entraîne la désynchronisation des politiques monétaires et réduit la corrélation entre les marchés obligataires, BNP Paribas, Ecoweek, 22 avril 2024.

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