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Canada : En manque de carburant

19/03/2024
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Le Canada a connu une croissance atone au cours de l’année 2023 induite par le renchérissement des prix et du coût du crédit, impactant directement les canaux de l’investissement et de la consommation. Et ce, en dépit du bénéfice apporté par l’accroissement démographique du pays. Aussi, il n’y a pas d’amélioration significative à attendre à court terme.

Les ménages Canadiens comptent parmi les plus endettés de la planète. Certes, le niveau de richesse nette contrebalance cet état de fait, mais il en résulte une vulnérabilité accrue dans un contexte de resserrement monétaire et de dégradation du marché du travail.

La situation budgétaire du pays s’est dégradée au cours de la crise pandémique mais, si des facteurs pointent vers un accroissement de la dépense publique, le Canada continuera de bénéficier d’une position fiscale relativement avantageuse au sein des pays développés et d’une faible dette nette.

L’année 2023 fut marquée par une croissance sans dynamisme (+0,9%), vouée à se poursuivre en 2024. L’assouplissement graduel des conditions financières pourrait toutefois permettre une modeste reprise qui se rapprocherait ainsi d’un atterrissage en douceur. Mais, les problématiques structurelles liées à l’endettement des ménages et au marché de l’immobilier font l’objet d’une attention particulière dans un contexte de hausses des taux d’intérêt. En outre, le Canada peut compter sur la solidité de ses comptes publics.

Un entre-deux monétaire

CANADA : TAUX DIRECTEUR ET INFLATION

La Banque du Canada (BoC) a mis un terme à sa phase de relèvement du taux directeur, sur fond de signes patents de ralentissement de l’activité économique et de modération de la hausse du niveau général des prix. Le taux directeur s’établit aujourd’hui à 5,0%, après un accroissement cumulé de 475 pb entre mars 2022 et juillet 2023. Ce resserrement rapide et important de la politique monétaire est intervenu dans un contexte d’accélération significative de l’inflation, qui a atteint, en juin 2022, un record depuis 40 ans selon l’indice des prix à la consommation (CPI, +8,1% a/a). Les développements et anticipations positives plus récentes – l’inflation est retombée à +3,2% a/a au T4 20233 (contre +6,7% un an plus tôt) et son reflux devrait se poursuivre jusque 2025[1][2] – a conduit le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, à acter la fin de la hausse du taux cible du financement à un jour[3].

CANADA : RIGIDITÉ DES MESURES SOUS-JACENTES DE L’INFLATION

Dès lors, l’institution se trouve dans une situation intermédiaire, nécessitant une précaution accrue dans la conduite du calendrier des prochains mouvements de taux. Au-delà des évolutions du CPI au niveau agrégé, la BoC doit tenir compte de la corrélation entre le resserrement monétaire et des facteurs tels que le relâchement significatif des pressions sur les capacités de production, au plus bas au T3 2023 depuis l’apparition de la Covid-19[4]. Plus généralement, le reflux de la demande et le ralentissement de l’activité (voir ci-après) joueront un rôle clé dans le processus de décision. En même temps, la trajectoire de désinflation pourrait se révéler plus sinueuse dans la dernière ligne droite vers la cible de 2%. En effet, d’une part, les mesures-clés favorisées par la BoC pour l’évaluation de l’inflation sous-jacente continuent de faire montre de rigidité (cf. graphique n°2). D’autre part, la modération des anticipations d’inflation des ménages progresse de façon insuffisante (4,9% à 1 an et 3,9% à 2 ans au T4 2023)[5], et les attentes des entreprises en matière de croissance des salaires restent supérieures à leur moyenne de long terme. Ainsi, selon nos estimations, l’assouplissement monétaire devrait se révéler graduel, avec un taux directeur encore supérieur ou égal à +4,0% à la fin 2024.

Les manifestations du ralentissement économique

CANADA : CROISSANCE ET INFLATION

Le PIB du Canada s’est accru de +0,2% t/t au T4 2023 échappant ainsi à la récession après un T3 marqué par une contraction (-0,1% t/t). De fait, le sentiment des affaires s’est affaibli de façon quasi discontinue et significative depuis le début de l’année 2022, sans toutefois franchir le seuil du territoire négatif. Les perspectives, mesurées par l’enquête de la BoC, continuent de se situer à un niveau déprimé, en dépit d’une légère amélioration au T4 2023 (-3,15, après sept trimestres consécutifs de détérioration), ce qui ne suggère pas de reprise dynamique à court terme.

Il convient, par ailleurs, de souligner la sensibilité importante des conditions macroéconomiques canadiennes aux développements américains. Ainsi, le dynamisme de l’économie des États-Unis en 2023, illustré par un taux de croissance annuel moyen de +2,5% à rebours des anticipations de récession, a contribué à soutenir l’activité canadienne. Mais, contrairement à son voisin américain, l’année 2024 devrait se caractériser, au Canada, par une faible croissance, masquant une amélioration au cours de l’année. Celle-ci serait soutenue par le relâchement des diverses pressions sur la demande, alors que l’acquis de croissance s’élève à 0,3%.

Par ailleurs, l’investissement s’est replié de façon marquée sous l’effet de la remontée des taux d’intérêt. Les comptes nationaux indiquent une contraction de l’investissement fixe privé lors de six des sept derniers trimestres. Il faut toutefois noter la différence de dynamique entre la composante résidentielle et la composante non-résidentielle – plus résistante avant un repli lors du S2 2024 – de l’investissement privé. L’investissement résidentiel avait déjà sensiblement reculé au cours de l’année 2021, son élan postpandémie se dissipant. Il s’est ensuite nettement contracté à partir du T2 2022 et a atteint une baisse cumulée de plus de 18% malgré un léger rebond à partir du T2 2023. À la faveur de l’assouplissement attendu des conditions financières, l’investissement privé est susceptible de constituer le principal moteur de la légère reprise de la croissance attendue au fil de l’année 2024.

CANADA : INFLATION ET SALAIRES

L’impact du cycle de resserrement s’est révélé moindre sur la consommation des ménages que sur l’investissement. Celle-ci a d’abord tiré avantage de la résistance du marché du travail (taux de chômage à 5,0% en avril 2023 contre 5,4% avant le début des hausses de taux), puis de l’accélération du processus de rattrapage des salaires sur l’inflation. Toutefois, l’année 2023 s’est caractérisée par une atonie de ce poste de la demande dans les comptes nationaux, alors même qu’il bénéficie, au niveau agrégé, de l’accroissement important de la population canadienne. Ainsi, la consommation per capita a diminué de -3,1% en volume depuis le T2 2022[6] quand la consommation de l’ensemble des ménages a progressé, modestement, de +1,5% dans le même temps.

En outre, les perspectives de court terme sont plutôt négatives pour les ménages. Le taux de chômage s’est redressé au cours des derniers mois, atteignant 5,8% en février 2024 avec un léger recul du taux d’activité (65,3%, -0,4pp a/a). Les prévisions tablent sur une poursuite de cette tendance haussière, avec un taux de chômage attendu à plus de 6,5% au quatrième trimestre 2024. En outre, si la fin des hausses de taux et le ralentissement de l’inflation (s’approchant davantage de 2,0% au T4 2024) doivent contribuer à réduire partiellement la pression exercée sur le pouvoir d’achat, cela ne mettra pas un terme à l’impact cumulatif et retardé du resserrement monétaire. À ce titre, si la BoC estimait en novembre 2023 que 45% des emprunteurs avaient fait face à une hausse de leurs mensualités[7], elle anticipe que ce processus devrait s’étendre à la quasi-totalité d’entre eux d’ici à la fin 2026, pour une augmentation médiane de 20% du remboursement mensuel.

Prudence quant aux problèmes structurels liés aux ménages

CANADA : NIVEAU PRÉOCCUPANT DE LA DETTE DES MÉNAGES

Les ménages canadiens comptent parmi les plus endettés à l’échelle mondiale. Leur niveau d’endettement s’élevait à 181,8% du revenu disponible au T3 2023 (contre un record historique de 186,9% un an plus tôt)[8], en dépit d’une réduction liée au ralentissement de la croissance du crédit immobilier (+3,2% a/a en décembre 2023, contre +10,5% début 2022)[9]. Et des évolutions récentes ont contribué à accroître davantage l’exposition des Canadiens endettés aux évènements adverses. Notamment, le recours aux prêts immobiliers à taux variable a atteint 54,2% des nouveaux prêts[10] au T1 2022 (avant de décroître à 5,4% depuis). Il en résulte une sensibilité accrue aux décisions de politique monétaire. Ainsi, en 2023, les ménages endettés à taux variable ont affronté une augmentation moyenne de leur remboursement annuel de +26,1% ou +49,2% en fonction de la structure (versements fixes ou variables) de leur emprunt comparativement à février 2022[11][12].

CANADA : PROBLÈME D’ACCESSIBILITÉ AU LOGEMENT

En outre, la problématique de l’endettement des ménages interagit avec celle de l’accessibilité du marché de l’immobilier. La divergence entre la croissance des prix de l’immobilier et des revenus du travail a provoqué l’apparition et le renforcement d’un problème structurel critique – en plus de nourrir des craintes quant à l’éventuelle existence d’une bulle. Il s’agit d’un point de crispation majeur pour le gouvernement fédéral. Ce dernier a pour objectif d’améliorer l’accès à la propriété par le biais d’incitations sur le levier de l’offre, sans diminution significative du prix des logements existants qui endommagerait la richesse des propriétaires, ce qui constitue une équation périlleuse.

CANADA : RALENTISSEMENT SIGNIFICATIF DES VENTES DE LOGEMENT

Le resserrement monétaire contribue à exacerber ce problème. Ainsi, la hausse des taux d’intérêt, +3,9pp sur les emprunts immobiliers depuis mars 2022[13], impacte négativement et de façon quasi mécanique la demande, sans que la baisse des prix (-7,3% au cumulé depuis le pic de début 2022 selon l’indice de la Fed de Dallas) ne soit suffisamment compensatrice. De plus, la situation du point de vue de l’offre est également détériorée, comme en témoigne la contraction de l’investissement résidentiel mentionnée préalablement. Ceci procède de deux facteurs principaux, le manque de perspectives lié à la demande déprimée et l’accroissement des coûts de production (crédit, construction - +51% entre le T4 2020 et le T4 2023 pour ces derniers).

Des comptes publics solides

CANADA : SOLDES BUDGÉTAIRES PRIMAIRE ET GLOBAL

Le Canada se caractérise par une position budgétaire relativement avantageuse au sein des pays développés. Le ratio d’endettement public a certes augmenté significativement au cours de la crise pandémique. Selon les données du FMI, ce ratio s’élevait à 90,2% du PIB en 2019 et s’établit autour de 106% en 2023, après être passé par un nouveau record de 118,9% en 2020. Ce niveau du ratio de dette publique relativement moins élevé que dans d’autres pays semble conférer au Canada une certaine marge de manœuvre budgétaire en cas de nouveau choc. Mais, il recèle aussi une part de vulnérabilité dans un contexte de renouvellement de la dette à un taux nominal plus important. Ce dernier facteur est illustré par le rendement des bons du Trésor canadien à 10 ans, actuellement à 3,6%. Alors que leur niveau était inférieur à 1,0% en janvier 2022, ils se sont établis dans un intervalle allant de 2,5% à 4,1% durant l’année 2023, ce qui constitue des standards inédits depuis le début de la décennie 2010. Or, lors de l’année fiscale 2022 – 2023 (qui débute en avril), 57% de la dette canadienne arrivait à maturité à 3 ans ou moins[14].

CANADA : CONTRACTION DE LA DETTE PAR RAPPORT À CELLE DES ÉTATS-UNIS

La tendance à la discipline budgétaire du Canada sera toutefois probablement mise au défi dans les années à venir. Des facteurs non-spécifiques au Canada pointent effectivement vers la nécessité d’un accroissement de la dépense publique, comme, notamment, l’augmentation des besoins en défense au regard de l’incertitude politique grandissante, alors que le budget associé, équivalent à 1,2% du PIB en 2023, est nettement inférieur à la cible de l’OTAN (2%) dont le Canada est un membre fondateur. Au niveau de la politique intérieure, le mécontentement grandissant en matière d’accès au logement s’est traduit par le déploiement du Housing Accelerator Fund ainsi que par des mesures d’exemption de taxes dans le secteur de la construction.

Toutefois, la notation souveraine du Canada se maintient au niveau maximal pour les principales agences, favorisée par le faible niveau de sa dette nette (passif moins actifs). Selon les données du FMI, cette dernière s’élevait à 14,4% du PIB en 2023, contre 100% pour les États-Unis. Le FMI anticipe, par ailleurs, une diminution progressive du ratio de dette publique à 94,7% du PIB d’ici à 2028. Le déficit public, déjà très peu important (-0,7% en 2023), se réduirait progressivement dans le même temps, sans toutefois que le pays ne reconstitue sa capacité à déployer des excédents primaires.

Anis Bensaidani

[1]Monetary Policy Report, Bank of Canada, janvier 2024 - Link

[2] Bloomberg Consensus

[3]Bank of Canada Holds Key Rate at 5%, Signals It’s Done With Hikes, Bloomberg – Link (24/01/2024)

[4] Business Outlook Survey, Bank of Canada

[5]Canada Survey of Consumer Expectations, Bank of Canada, Q4 2023 - Link

[6] Statistics Canada, BNP Paribas calculations

[7]The impact of higher interest rates on mortgage payments, Bank of Canada Staff Analytical Note, décembre 2023 - Link

[8]Financial indicators of households and non-profit institutions serving households, Statistics Canada - Link

[9] Monthly credit aggregates, décembre 2023, Statistics Canada - Link

[10] Indicators of financial vulnerabilities, Bank of Canada - Link

[11] Financial System Review, mai 2023 - Link

[12] Prêts hypothécaires à taux variable et à versements fixes : les taux limites sous la coupe, Bank of Canada, novembre 2022 - Link

[13]Interest rates charged for new and existing lending by chartered banks, Bank of Canada - Link

[14]Debt Management Report 2022 – 2023, Government of Canada – Link

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE