Eco Conjoncture

Face au risque de surendettement en Afrique

17/02/2021
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Risque croissant pour la viabilité de la dette

Perspectives et dynamiques régionales avant la pandémie de Covid-19

Augmentation du niveau de la dette

ACCROISSEMENT DE L’ENDETTEMENT PUBLIC

À la fin des années 1990, le niveau élevé de la dette publique des pays émergents a laissé craindre une incapacité des États à dégager des ressources et à poursuivre leurs efforts pour une croissance durable et inclusive. Avec un possible surendettement (debt overhang[1]), les pays en développement risquaient, en effet, d’être pris dans un cercle vicieux où, à partir d’un certain seuil, la dette décourage l’investissement et la consommation, annihilant ainsi la croissance.

Face à cette situation, l’initiative «?pays pauvres très endettés?» (PPTE), lancée fin 1996 par le FMI et la Banque mondiale, a permis un allégement de la dette dans trente-six pays, dont trente en Afrique subsaharienne.

À l’époque, huit pays de la région étaient considérés comme surendettés[2] tandis que sept autres étaient exposés à un risque élevé de surendettement[3]. Cette initiative, complétée en 2005 par l’initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM), impliquait la participation d’institutions financières multilatérales, de créanciers publics bilatéraux et, dans une bien moindre mesure, de créanciers privés. Le Club de Paris, initialement créé pour proposer un traitement coordonné de la dette et une résolution prévisible des crises de dette, a consenti d’importants efforts dans le cadre de l’initiative PPTE en prenant en charge environ 36 % de l’allégement.

Ces créanciers ont ainsi procédé conjointement à une réduction de la valeur nette nominale de la dette (« haircut ») des pays les plus vulnérables, et permis un allégement de USD 100 mds en Afrique subsaharienne. Grâce à ces initiatives, le ratio de la dette publique des pays de la région a été ramené de 66 % du PIB en 2000, en moyenne, à près de 24 % en 2008, de sorte que l’allègement du service de la dette a permis une augmentation de l’investissement. Résultat : la croissance du PIB dans la région s’est accélérée à 5,8 % en moyenne entre 2000 et 2010 (contre 2,5 % au cours de la décennie précédente). Même si les effets immédiats de cette initiative ont incontestablement été positifs, les préserver impliquait de maintenir de faibles niveaux d’endettement et des limites dans la dynamique de ré-accumulation de la dette. L’absence de disposition relative à cette question a constitué une importante lacune.

Au lendemain de la grande crise financière (2008-2011), on a en effet assisté à une forte résurgence de la dette en Afrique subsaharienne. Le ratio de la dette publique dans la région a augmenté de 29 % du PIB à près de 40 % entre 2008 et 2019. Les plus fortes hausses ont été enregistrées en Angola (+77 pp), en Zambie (+72 pp) et au Mozambique (+71?pp) au cours de la période. Dans la région, les 2/5e des pays dépassaient le ratio prudentiel d’endettement du FMI, fixé à 55 % du PIB[4]. De multiples facteurs ont contribué à une faible mobilisation des ressources financières et nécessité un important financement de la part du secteur public. En conséquence, les ratios de dette sont pratiquement revenus aux niveaux antérieurs à l’initiative PPTE (la dette publique moyenne s’établissait à 60 % du PIB en 2000).

Au niveau national, les mesures de relance de la production et du développement ont fait grimper les dépenses publiques. Des politiques contra-cycliques ont été mises en œuvre pour compenser la baisse des dépenses privées, due au choc consécutif à la grande crise financière de 2008-2009. Ces politiques visaient à poursuivre les réformes pour atteindre les objectifs de développement et réaliser des projets d’infrastructures, comme en témoigne la hausse des composantes de l’investissement public moyen, en pourcentage du PIB pour la région (+3 pp entre 2000 et 2015). Dans le même temps, le déficit budgétaire s’est creusé, obligeant le gouvernement à contracter de nouveaux emprunts pour financer les projets engagés. La dette peut avoir l’effet d’un catalyseur sur l’investissement. Elle permet, en effet, de générer de la croissance à long terme. Mais encore faut-il des facteurs externes favorables pour accompagner une telle dynamique, en particulier, pour les pays à faible revenu.

Accroissement du fardeau de la dette et profils d’endettement plus risqués en Afrique subsaharienne

Au-delà de l’augmentation de la dette au niveau régional, la composition de cette dernière a connu d’importantes modifications.

La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne reste détenue majoritairement par des créanciers extérieurs. L’appel à de nouveaux créanciers bilatéraux et le recours aux émissions sur le marché obligataire ont, néanmoins, remplacé les créanciers multilatéraux. De fait, la part des emprunts concessionnels a diminué au profit des créanciers privés et des créanciers non membres du Club de Paris.

Au lendemain de la crise financière, le recours au marché obligataire, caractérisé par les cours très élevés des matières premières et des taux d’intérêt durablement bas, a permis aux marchés émergents d’Afrique subsaharienne de se développer, offrant des opportunités d’investissement à haut rendement. Ce recours au marché a représenté une alternative aux prêts concessionnels, ces derniers étant souvent conditionnés à la mise en place de réformes et à une allocation ciblée des dépenses. Jusqu’en 2006, seule l’Afrique du Sud pouvait procéder à des émissions sur le marché obligataire mais, depuis, seize pays ont bénéficié d’emprunts obligataires souverains.

Le marché reste néanmoins très concentré[5], reflétant l’hétérogénéité et la sélectivité de son accès. L’une des caractéristiques notables des émissions obligataires en Afrique subsaharienne est la relative indifférence des investisseurs à l’égard de l’analyse de soutenabilité de la dette (ASD) : certains pays (comme le Cameroun en 2015 et le Ghana en 2018) ont réussi à accéder au marché à des conditions assez favorables bien qu’ils présentaient un risque de surendettement d’après l’analyse de soutenabilité de la dette du FMI.

PART DE LA DETTE PUBLIQUE EXTÉRIEURE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE (% TOTAL)

Par ailleurs, la part des créanciers bilatéraux a diminué et leur composition a changé. La part de la dette publique extérieure des pays d’Afrique subsaharienne auprès du Club de Paris a chuté entre 2006 et 2018, passant de 50% à 30% environ du total[6]. La Chine est devenue le premier créancier officiel dans la région. Les pays dont l’endettement vis-à-vis de la Chine est le plus élevé sont l’Angola (USD 20 mds, 45% de la dette publique extérieure totale), l’Éthiopie (USD 11 mds, 32% du total) et le Kenya (USD 7 mds, 22% du total).

MONTANTS DES PRÊTS CHINOIS ACCORDÉS À L’AFRIQUE

Dans l’ensemble, la part de la dette publique totale détenue par la Chine dans la région est aujourd’hui estimée à 20%[7]. Les prêts assortis de conditions préférentielles représenteraient, selon les estimations, 15% seulement de ce chiffre et ceux consentis aux conditions du marché, 60 %. La majeure partie des prêts accordés par la Chine est libellée en USD dont une fraction fait également l’objet d’une garantie collatérale, autrement dit, les remboursements de la dette sont garantis par les recettes générées par les exportations de matières premières. Toutefois, les montants et les conditions exactes des prêts accordés par la Chine manquent de transparence. Environ 50 % des prêts octroyés par Pékin ne seraient pas officiellement enregistrés et n’apparaîtraient donc pas dans les chiffres du FMI et de la Banque mondiale[8]. Cela rend l’évaluation des transactions financières bilatérales, ainsi que le suivi du risque d’endettement d’autant plus difficiles.

La Chine ne fait pas partie du système de notification des pays créanciers (SNPC), tenu par l’OCDE, qui partage les données et opère dans un cadre plus large que celui du Club de Paris. De telles pratiques renforcent donc sensiblement la probabilité de mauvaises surprises concernant la dette. L’actuelle composition de la dette publique en Afrique subsaharienne nourrit les inquiétudes quant à sa soutenabilité, dont le seuil s’est réduit.

Effets des conditions d’emprunt sur la dynamique de la dette et les besoins de refinancement extérieur

Le cercle vertueux, selon lequel la croissance tirée par l’investissement entraînerait une stabilisation, voire permettrait une diminution du ratio de dette sur PIB (effet de stock) et améliorerait les soldes budgétaires et extérieurs (effet de flux), n’a pas produit les résultats escomptés. Les déficits budgétaires primaires élevés ont été à l’origine de 40% de l’augmentation du ratio de la dette des pays à faible revenu entre 2013 et 2019. De plus, alors que les déficits budgétaires et courants se sont détériorés, les conditions d’emprunt accordées par les nouvelles sources de financement sont moins favorables que celles des bailleurs de fonds traditionnels, et ont conduit à une composition plus risquée de la dette.

Les prêts et les émissions d’obligations souveraines ont en effet été octroyés aux conditions du marché et libellés en devises étrangères?;?ils ont aussi été assortis de taux d’intérêt plus élevés et d’échéances plus courtes que ceux des prêteurs traditionnels. Ces évolutions ont pour résultat une dynamique négative de la dette et des risques de refinancement plus élevés. Selon nos estimations, les intérêts de la dette publique des pays d’Afrique subsaharienne se sont élevés à 5,1 % du PIB sur la période 2009-2018 (contre 3,2 % en 2000-2008).

De ce fait, la structure de la dette a mécaniquement entraîné une dynamique d’accumulation. Cette dernière est une fonction du solde budgétaire primaire, de la croissance du PIB réel, mais aussi des taux d’intérêt réels et du taux de change (voir encadré?1). Dans le cas présent, ces derniers ont significativement contribué à la dynamique d’accroissement de la dette publique.

DYNAMIQUE DE LA DETTE PUBLIQUE

En raison d’une part élevée de la dette libellée en devises étrangères, les États d’Afrique subsaharienne sont exposés au risque de change. Cette vulnérabilité découle du «?péché originel?»[9] (endettement en devises) : les systèmes financiers domestiques peu profonds limitent les opportunités d’investissement en monnaie locale. Même si la part de la dette publique en monnaie nationale a quelque peu augmenté ces dernières années, la proportion moyenne de la dette publique libellée en monnaie étrangère reste prédominante[10]. Les marchés nationaux restent peu développés dans la mesure où ils offrent des conditions d’émission moins favorables que les marchés internationaux. La dépréciation du taux de change réel (soit l’effet du taux de change moins l’effet de l’inflation dans l’encadré 1) a contribué à environ 20 % de la hausse du ratio de la dette des pays à faible revenu[11] entre 2013 et 2019.

Les structures de dette complexes et/ou garanties par un collatéral compliquent également le suivi et la prévention du risque. Lorsque la dette est garantie par un collatéral, les créanciers acquièrent la propriété des infrastructures ou des ressources naturelles en cas de défaillance du pays emprunteur (la Chine impose couramment ce type de garantie).

Ces garanties ont des conséquences considérables en cas de crise car elles entraînent une diminution des recettes publiques. Cela va également à l’encontre du partage équitable du fardeau, principe centrale de l’approche des créanciers du G20.

Dans un tel contexte, la liquidité et la solvabilité (voir encadré 2[12]) sont de plus en plus menacées. Le choc pétrolier de 2015, qui a entraîné une baisse des exportations, un creusement des déficits budgétaires et de la balance courante, ainsi que la dépréciation des monnaies, n’a fait qu’aggraver le problème. La dynamique de la dette s’est encore dégradée dans la région et, en particulier, dans les économies à forte activité pétrolière[13]. En 2015, deux pays étaient en situation de surendettement et six autres présentaient un risque élevé.

Les conséquences de la crise liée à la pandémie

SERVICE DE LA DETTE EXTÉRIEURE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

La crise actuelle exacerbe les vulnérabilités de la dette en Afrique subsaharienne. L’épidémie de coronavirus a, jusqu’à présent, relativement épargné la région mais son impact économique est considérable.

PANDÉMIE DE COVID-19 : RÉCESSION INÉDITE

Les perspectives de l’Afrique subsaharienne se sont dégradées sous l’effet de fortes pressions budgétaires et du financement extérieur. Compte tenu d’une marge de manœuvre déjà très limitée dans la région, la soutenabilité de la dette s’est nettement détériorée.

Ralentissement de la croissance et érosion des perspectives budgétaires

AFRIQUE SUBSAHARIENNE : VULNÉRABILITÉ EXTÉRIEURE ACCRUE

L’Afrique subsaharienne subit les effets de la crise, comme en témoigne la forte contraction du PIB observée dans presque tous les pays de la région. Le continent devrait enregistrer sa première récession depuis vingt-cinq ans : d’après les prévisions du FMI, l’activité économique se contracterait, en moyenne, de -3 % en 2020 (contre +3,2 % en 2019). Le choc est sans précédent, et bien plus significatif qu’en 2009 et 2015. Les prévisions illustrent également la gravité du choc : le PIB ne devrait pas retrouver les niveaux pré-pandémie d’ici 2022 et la reprise économique des plus grandes économies de la région pourrait prendre plus de temps encore (2024/2025).

PAYS AFRICAINS (ASS) LES PLUS ENDETTÉS

Les canaux de transmission de la crise aux économies d’Afrique subsaharienne sont multiples. Sur le plan intérieur, l’activité des pays de la région a été, tout d’abord, pénalisée par l’effet négatif du confinement et des mesures de distanciation sociale. Même si la plupart des mesures de restriction ont été levées, l’environnement extérieur a continué de peser sur l’activité économique. L’effondrement de la demande mondiale et la rupture des chaînes d’approvisionnement dans les pays développés ont freiné la production locale.

Dans les pays à faible revenu, le secteur des services – notamment le tourisme et l’hôtellerie-restauration – a été particulièrement affecté. Avec la résurgence du virus dans les pays en développement et une mobilité internationale bien inférieure à son niveau habituel, les flux touristiques sont restés très limités. Les économies dépendantes du tourisme ont ainsi été privées d’une source importante de recettes budgétaires, de réserves de change ainsi que d’un grand nombre d’emplois. Les questions de sécurité et d’instabilité politique pourraient par ailleurs entraver la reprise du tourisme à court terme et affecter l’activité économique.

La chute des prix des matières premières a aussi lourdement frappé les économies les plus dépendantes. Avec un prix du baril de Brent estimé à USD 43 cette année (plus de 30 % de baisse par rapport à 2019), les économies à forte activité pétrolière d’Afrique subsaharienne ont été particulièrement affectées par cette dynamique : la contraction du PIB devrait atteindre -4 % dans ces pays.

Par son impact sur les recettes des gouvernements, le choc de croissance a mis à mal le financement public. D’après les estimations, les recettes publiques des pays d’Afrique subsaharienne ont chuté, dans l’ensemble, de 17,5 % en valeur nominale par rapport à 2019. En parallèle, des dépenses exceptionnelles au titre des mesures sanitaires et de protection sociale ont été engagées pour atténuer la crise. Le choc sur les finances publiques a été par conséquent significatif et les vulnérabilités budgétaires, déjà présentes depuis 2008, se sont exacerbées.

Parmi les pays les plus endettés figurent le Cap-Vert, le Mozambique, l’Angola et la Zambie. Dans l’ensemble, les ratios de la dette devraient augmenter d’environ 14 points de pourcentage par rapport à 2019. Le niveau de dette du Mozambique, du Togo, du Burundi sont ceux qui augmentent le plus par rapport à l’année passée. Par conséquent, la situation pourrait devenir insoutenable et les mesures de la dette font ressortir à la fois des problèmes de liquidité et de solvabilité.

La charge d’intérêts devrait représenter en moyenne 32,2 % des recettes en 2020, voire même dépasser 76 % des recettes pour les pays exportateurs de pétrole d’Afrique subsaharienne.

Besoins de financement extérieur en hausse

Alors que la balance des comptes courants n’est pas près de retrouver son niveau antérieur au choc pétrolier, les pays d’Afrique subsaharienne font face à un accroissement notable de leurs besoins de financement extérieurs. De plus, le choc lié à la pandémie a entraîné un tarissement des financements extérieurs, les pays d’Afrique subsaharienne étant dans l’ensemble très dépendants des flux financiers en provenance de pays largement touchés par l’épidémie de coronavirus.

Les recettes de la balance courante ont diminué sous l’effet de la forte contraction des volumes d’échange à l’échelle mondiale. Au premier semestre 2020, la demande mondiale était au point mort et les chaînes de valeur ont été nettement perturbées. Sur l’année 2020, les échanges globaux auraient enregistré une contraction de l’ordre de 9,5%. Certes, la baisse des prix des matières premières a permis aux pays importateurs de compenser la chute des exportations. Cependant, dans les économies dépendantes du pétrole, les déficits de la balance courante se sont creusés et devraient avoir atteint en moyenne -3,8 % en 2020 et rester négatifs en 2021. De plus, les transferts de fonds des migrants ont également diminué (-20 %, selon les estimations en 2020), en raison d’une faible croissance économique et de niveaux d’emploi plus faibles dans les pays hôtes.

Les flux d’investissement directs étrangers (IDE), dont la tendance était à la baisse avant la crise, ont également connu un arrêt brutal. Même si le tarissement de cette source de financement pourrait n’être que temporaire, les IDE nets en Afrique subsaharienne devraient accuser un recul d’environ -20 % cette année.

Les perspectives des balances de base (balances courante+IDE) se sont donc nettement dégradées, à tel point que le déficit de financement extérieur dans la région devrait rester significatif ; il est estimé à USD?290?mds sur la période 2020-2023. Compte tenu du niveau déjà élevé de la dette extérieure et des réserves de change limitées (4,1?mois d’importations en moyenne), la marge de manœuvre pour amortir le choc et s’y adapter est extrêmement limitée.

Émission de dette et refinancement

Avec la nécessité de combler leurs déficits budgétaire et extérieur, les pays de la région devraient avoir à contracter de nouveaux emprunts pour se financer. La projection de la dette, qui s’établissait avant la pandémie à 56,4 % du PIB en 2020, atteindrait alors 65,6 %. L’amortissement de la dette extérieure représenterait globalement plus de 50 % des besoins de financement extérieur (estimés à USD 900?mds en 2020/2023) de la région.

Ce choc sans précédent augmente en effet le coût du service de la dette extérieure, exposant les pays à un risque significatif de surendettement. Le service de la dette extérieure a représenté environ 37 % des exportations en 2020 (contre un plafond fixé à 23 % par le FMI).

Dans plusieurs pays, la dynamique de la dette pourrait s’infléchir. Dans d’autres, le retour à une trajectoire viable semble plus incertain. Devant l’impossibilité de faire face aux remboursements de la dette et/ou de refinancer cette dernière, les États ne pourraient avoir d’autre option que de faire défaut. Dans son analyse de la soutenabilité de la dette, le FMI identifie actuellement six pays en situation de surendettement (République du Congo, Mozambique, Somalie, Soudan, Zimbabwe et Zambie). Dans onze autres pays, les pressions subies ont porté le risque de surendettement à des niveaux élevés (Angola, Éthiopie, Kenya, Sierra Leone, Cameroun, Soudan du Sud, Burundi, Gambie, Cap-Vert, Ghana et Tchad).

Pays en situation de surendettement

PAYS AFRICAINS AVEC UN RISQUE ÉLEVÉ DE SURENDETTEMENT (2020)

Une analyse plus approfondie permet de différencier les pays susmentionnés pour mieux mesurer les enjeux. Les indicateurs de liquidité et de solvabilité permettent d’identifier plus précisément les pays exposés à un risque élevé de surendettement : les deux problématiques - liquidité et solvabilité - peuvent être liées mais elles se distinguent aussi l’une de l’autre dans certains cas.

La Zambie en est une bonne illustration : le pays conjugue en effet un ratio de service de la dette extérieure (en % des exportations) et des besoins de financement extérieur (en % des réserves de change) élevés. Ce pays présente à la fois un problème de liquidité et un problème de solvabilité. Le besoin de financement extérieur se traduit par de fortes pressions sur la liquidité car les réserves ne sont pas suffisantes pour combler l’écart entre les ressources et les besoins de financement. Le niveau élevé du service de la dette extérieure rapporté aux exportations reflète l’augmentation structurelle du fardeau de la dette extérieure. Le manque de liquidité de la Zambie s’est récemment matérialisé, le pays ayant fait défaut sur le paiement de deux coupons d’Eurobond en novembre 2020 et janvier 2021. Son insolvabilité nécessite une restructuration de la dette pour en alléger durablement le service.

LIQUIDITÉ, SOLVABILITÉ ET SOUTENABILITÉ

Dans certains pays, le fardeau de la dette est inférieur au seuil indicatif fixé par le FMI (ratio du service de la dette extérieure sur les exportations fixé à 23 %). Cependant, même s’ils sont en capacité de supporter leur dette, ils ne disposent pas de réserves suffisantes en cas de choc. Comme indiqué plus haut, la chute des entrées de devises (tourisme, exportations de matières premières, etc.) ainsi que les pressions inflationnistes ont fortement entamé les réserves de change. Dans ce cas (partie supérieure du graphique 8), les lignes de financement d’urgence, accordées par les institutions financières internationales, et le rééchelonnement du remboursement de la dette dans le cadre de l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) permettent à ces pays de couvrir leurs besoins financiers.

Dans certains pays, en revanche, le service élevé de la dette extérieure traduit un problème plus profond de solvabilité (partie droite du graphique), comme l’illustre le cas de la Zambie. Cela vaut également pour le Cameroun, l’Éthiopie et le Kenya (en bas à droite sur le graphique). Pour ces pays, l’allègement temporaire du service de la dette pourrait ne pas suffire pour surmonter la crise.

Avec l’augmentation de la charge de la dette et la dépréciation du taux de change, le risque de refinancement pourrait se matérialiser, même si les conditions de financement se normalisaient. Les montants à payer sur les coupons sur des emprunts obligataires des États africains sont significatifs, avec un paiement moyen annuel estimé à USD 4 mds. Qui plus est, l’émission d’obligations souveraines sur les marchés pourrait se révéler difficile car l’enthousiasme pour les marchés émergents est désormais retombé. Même si les rendements souverains d’Afrique subsaharienne ont récemment diminué après avoir atteint un pic en mai 2020, ils restent en moyenne supérieurs de 17 % à leur niveau moyen de 2019[14]. Certes, récemment, la Côte d’Ivoire est parvenue à émettre une obligation de USD 1,2 md, assortie d’une échéance de 12?ans et de conditions historiquement favorables. Cependant, l’économie affiche des fondamentaux assez solides par rapport à la moyenne régionale

Le recours au marché pourrait, par conséquent, ne pas être une solution pour les pays les plus pauvres et prendra probablement du temps. Dans l’impossibilité de refinancer leur dette, ils pourraient considérer que la seule option envisageable est la restructuration. La nature des créanciers est, à cet égard, cruciale étant donné que leur profil détermine la durée et les conditions d’une éventuelle restructuration.

Le Club de Paris répond à une approche coordonnée, équitable, transparente et efficace du traitement de la dette entre des catégories définies de créanciers bilatéraux. Dans ce cadre, les opérations de restructuration sont menées en étroite coopération avec le FMI et elles s’accompagnent de programmes de réformes. Compte tenu de l’existence du cadre de traitement de la dette et de son bilan plutôt positif (voir l’initiative PPTE), on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il puisse s’appliquer dans le contexte actuel, en particulier pour les pays dont la dette est principalement détenue par des créanciers multilatéraux et bilatéraux : Burundi, Tchad, République centrafricaine, Cap-Vert, Gambie et Sierra Leone.

Les négociations sur les restructurations pourraient, néanmoins, s’avérer plus difficiles pour les pays dont l’essentiel de la dette en 2021 est détenu par la Chine, des créanciers non officiels et obligataires. Concernant les créanciers obligataires, d’après l’échéancier de l’Afrique subsaharienne, d’importants engagements arrivent à maturité à partir de 2024. En revanche, les paiements au titre du remboursement de la dette à la Chine représentent un montant significatif en 2020 et 2021[15].

Compte tenu du manque de transparence des pratiques de la Chine, les accords de traitement de la dette pourraient se heurter à des difficultés, comme le montre l’exemple de la Zambie : faute d’approche coordonnée et transparente, les détenteurs privés d’obligations ont refusé d’accorder un allégement de la dette. Devant l’absence d’informations, les investisseurs n’ont pu évaluer le risque lié à l’opération et ont donc rejeté la demande de reprofilage de la dette de la Zambie afin de ne pas supporter unilatéralement le risque. La situation du pays est donc soumise à une forte incertitude, d’autant plus qu’aucun programme de prêt ne sera accordé par le FMI tant que la dette publique sera jugée non soutenable. C’est pourquoi le cadre de restructuration de la dette nécessite une approche adaptative.

Plaidoyer pour la restructuration de la dette

Une action urgente s’impose et implique l’identification des problèmes liés au cadre actuel de restructuration de la dette et à la participation de la Chine.

L’importance de l’analyse de soutenabilité de la dette

Cadre de restructuration de la dette

En novembre dernier, les créanciers du G20 et du Club de Paris ont convenu d’un cadre permettant le traitement de la dette souveraine non viable (le «?cadre commun pour les traitements de dette »), au-delà de l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD). La mise en place de ce cadre répond au principe selon lequel « mieux vaut prévenir que guérir ».

Il existe en effet un large consensus sur le coût des défauts souverains en termes de pertes de production, directement ou indirectement, par le biais de divers canaux (commerce, investissement, crédit, coûts d’emprunt, exclusion des marchés financiers)[16]. Étant donné la gravité de l’impact économique de la pandémie, d’éminents économistes ont non seulement appelé à suspendre le service de la dette, au moins pendant la durée de la pandémie (c’est l’objet de l’initiative de suspension du service de la dette, ISSD), mais ils ont aussi admis que « la dette de nombreux pays devra être restructurée ; il n’existera aucune alternative au défaut partiel négocié »[17]. En octobre 2020, Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, a vivement encouragé les créanciers et les débiteurs à initier, dès que possible, les processus de restructuration, en invoquant une étude universitaire récente selon laquelle la restructuration après un défaut entraîne des pertes de PIB plus élevées (conjuguée à d’autres variables macroéconomiques) qu’une restructuration préventive[18].

Le cadre commun pour les traitements de dette a été adopté par les pays du G20. Il a pour objet d’assurer : 1/une large participation des créanciers officiels, qui ne faisaient pas auparavant partie du processus établi par le Club de Paris, mais aussi des créanciers privés ; 2/un partage équitable du fardeau entre tous les créanciers (en d’autres termes, les pays débiteurs devront rechercher auprès des autres créanciers, y compris ceux du secteur privé, un traitement de la dette à des conditions comparables, voire plus favorables). La récente demande de restructuration de la dette émise par le Tchad et l’Éthiopie sera soumise à ce cadre commun et permettra de tester l’efficacité de ce processus de réduction de la dette.

Le cadre sera basé sur une analyse de la soutenabilité de la dette (ASD), effectuée conjointement par le FMI et la Banque mondiale, comme c’est déjà le cas actuellement. Le FMI adoptera une approche au cas par cas pour décider quels pays nécessitent une restructuration, en tenant compte de l’analyse de soutenabilité de la dette et du maintien de la disponibilité des financements nécessaires à leur croissance et leur développement à long terme.

De la théorie du debt overhang à l’analyse de la soutenabilité de la dette

SEUIL ET CRITÈRES DE NIVEAU D’ENDETTEMENT DANS LE CADRE DE L’INITIATIVE PPTE

Le raisonnement qui sous-tend la restructuration, voire l’annulation de la dette, n’est pas nouveau. Il a été élaboré dans un cadre théorique, désigné par l’« approche du debt overhang »[19]. Selon celle-ci, il existe, dans un processus de négociation entre un débiteur et un créancier, un niveau de dette au-delà duquel le débiteur n’a pas intérêt à rembourser sa dette malgré les sanctions financières encourues (soit la théorie de la courbe de Laffer appliquée à la dette). Dans ce cas, mieux vaut pour les créanciers proposer une réduction de la dette afin d’optimiser les remboursements.

SEUIL ET CRITÈRES DE NIVEAU D’ENDETTEMENT DANS LE CADRE DE L’AVD

La difficulté consiste ici à fixer des seuils au-delà desquels il serait rationnel de restructurer ou d’annuler la dette, et qui pourraient servir de points de référence pour tous les pays ou des groupes limités de pays, quel que soit le contexte économique et social.

Les méthodes d’évaluation de la soutenabilité de la dette se fondent essentiellement sur l’utilisation de seuils. Il existe un très grand nombre d’études appliquées, fondées sur différentes méthodologies (arbres de décision basés sur des indicateurs macroéconomiques, signaux d’alerte précoces, estimations économétriques) visant à sélectionner des indicateurs de risque de défaut ainsi que les seuils correspondants. Ces études ont fait ressortir un assez grand nombre d’indicateurs de risque et, dans certains cas, des valeurs de seuil différentes pour un seul et même indicateur.[20]

Dans la pratique, les seuils de dette ont été introduits pour la première fois dans le cadre de l’initiative PPTE (voir tableau?1). Les seuils officiels actuels sont ceux utilisés par le cadre conjoint (FMI, Banque mondiale) de soutenabilité de la dette, une méthodologie d’analyse plus flexible qui offre une granularité des seuils en fonction de la capacité d’endettement moyenne du pays. Cependant, pour les pays les plus pauvres, le seuil relatif au ratio dette extérieure/PIB est resté plus ou moins le même (150 % pour l’initiative PPTE, 140 % pour l’ASD). De même, la fourchette du ratio service de la dette/exportations n’a pas changé.

La méthodologie ASD du FMI et de la Banque mondiale est la plus aboutie (cf. encadré?3). Elle a cependant fait l’objet de critiques. Outre la difficulté à fixer des plafonds de dette appropriés, cette méthode se heurte au principe d’impossibilité[21]. L’ASD est, en effet, une méthodologie prospective, avec un horizon très lointain. Les hypothèses macroéconomiques (croissance, inflation, solde budgétaire primaire, taux d’intérêt) sont non seulement incertaines par définition, mais les projections relatives à la dette publique sont très sensibles à ces hypothèses.

La version améliorée de l’analyse de soutenabilité de la dette répond en partie à la critique, en référence au principe d’impossibilité, avec l’introduction d’outils stochastiques (fan charts) qui fournissent « un spectre de résultats possibles, basés sur les propriétés stochastiques des données propres à un pays »[22]. De plus, « les fan charts intègrent les boucles de rétroaction entre les variables macroéconomiques qui déterminent la dynamique de la dette » permettant d’apprécier la persistance des chocs.

Jusqu’à présent, les fan charts ont été élaborés uniquement pour l’analyse de soutenabilité de la dette des pays ayant accès au marché, c’est-à-dire les pays dits avancés et émergents. Plus récemment, une méthodologie complémentaire a été proposée[23]. Comme la méthode basée sur les fan charts, elle se fonde sur une approche stochastique de la dynamique de la dette mais, contrairement aux fan charts, elle permet d’exclure, au moyen de tests de résistance, des prévisions inhabituelles concernant des variables entourées d’une forte incertitude. L’objet de cette méthodologie n’est pas de déterminer le spectre de la trajectoire de la dette (comme c’est le cas pour les fan charts) mais de définir la distribution des probabilités de défaut pour 1/ un spectre de scénarios macroéconomiques réalisables sur le plan social et politique et 2/ un niveau donné d’endettement.

Cette méthodologie permet ensuite d’évaluer, pour un niveau d’endettement donné, la taille appropriée de l’allégement de la dette correspondant à une probabilité maximale de défaut. La soutenabilité de la dette est définie par le niveau d’allégement de la dette nécessaire ou la probabilité maximale équivalente de défaut.

Selon notre analyse, ces critiques et ces méthodologies alternatives ne remettent pas en question l’ASD, en particulier pour les pays à faible revenu. Pour ces derniers, en effet, l’intérêt des méthodes stochastiques est discutable. Il est plus utile selon nous de tenir compte des spécificités d’un pays et de la définition élargie de la soutenabilité (socialement acceptable) que de simuler la dynamique de la dette à l’aide d’un spectre des différents états de l’économie.

Le cadre d’analyse de soutenabilité de la dette va au-delà de « l’utilisation mécanique » des seuils. L’ASD donne, il est vrai, une notation finale du risque de surendettement (faible, modéré, élevé) qui se fonde sur la comparaison des indicateurs de solvabilité avec les points de référence indicatifs. Cependant, le cadre inclut des tests de résistance, l’exercice du jugement à différents niveaux du processus de décision et, dans une certaine mesure, les spécificités des pays concernés (voir encadré 3). De plus, le processus de notation permet une certaine flexibilité et il a été amélioré avec le temps aux fins d’affiner l’analyse.

Il ne fait guère de doute que pour un nombre croissant de pays subsahariens, la soutenabilité de la dette est menacée comme le montre le graphique 9 (pays à risque élevé et en surendettement). L’initiative ISSD apportera un soulagement temporaire, mais la question de la restructuration de la dette pourrait s’avérer nécessaire dans certains cas. À cet égard, la participation de la Chine soulève des interrogations.

Participation de la Chine : avancées et écueils

ÉVOLUTION DU RISQUE DE SURENDETTEMENT EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE
PAYS ÉLIGIBLES À L’ISSD : PART DES CRÉANCIERS, 2021 (% TOTAL)

Le rôle-clé de la Chine dans les circonstances actuelles rend sa participation à la restructuration de la dette subsaharienne indispensable. Cependant, l’expérience passée montre que la Chine a opté pour des méthodes d’allégement de la dette qui diffèrent de celles utilisées par le FMI ou le Club de Paris. Ces dernières se caractérisent par les principes de solidarité du créancier, de conditionnalité, de partage de l’information et de comparabilité de traitement.

AFRIQUE SUBSAHARIENNE : ÉCHÉANCES DES OBLIGATIONS SOUVERAINES

En revanche, le manque de transparence de la part de la Chine complique l’ambition d’accorder un soutien à la solvabilité des pays subsahariens. La difficulté à apprécier l’ampleur des prêts accordés par la Chine rend difficile l’instauration de la confiance nécessaire à une action collective.

Les pratiques de la Chine ne répondent pas non plus au principe de solidarité entre créanciers et de traitement comparable. Les accords de traitement de la dette par Pékin sont souvent soumis à des conditions de non-divulgation. Les négociations sont, la plupart du temps, menées à huis clos et sur une base bilatérale. Les clauses de garantie impliquent également que les créanciers chinois pourraient bénéficier d’un traitement préférentiel, faussant ainsi les règles sur la séniorité de la dette dans l’ordre de paiement des créanciers. Les programmes de restructuration de la Chine sont souvent conclus parallèlement aux programmes d’aide du FMI. Cependant, les études montrent que les conditions de restructuration sont souvent plus strictes que celles accordées par le G20 et semblent ne pas correspondre aux critères de surendettement établis par le FMI.

PART DES CRÉANCIERS CHINOIS (% CRÉANCES TOTALES EN AFRIQUE)

L’allongement de la durée de remboursement de la dette est largement utilisé, mais d’autres méthodes de restructuration comme la réduction de la valeur nominale de la dette (haircut), la diminution des taux d’intérêt ou le refinancement ne font pas partie des pratiques courantes de la Chine. Cela a donc suscité des doutes sur les motivations réelles des prêteurs chinois et alimenté les reproches quant à l’absence de soutien durable. C’est ainsi qu’est né le concept de « diplomatie du piège de la dette »[24] selon lequel la Chine utiliserait son pouvoir financier pour accabler les pays africains sous le poids de la dette et renforcer ainsi son influence.

L’exposition de la Chine est telle qu’il est crucial pour elle de partager avec les autres créanciers le principe de traitement comparable. Avec la crise, l’attitude la Chine évolue. Le pays semble peu à peu s’orienter vers un plus grand multilatéralisme, comme le montre sa participation à l’initiative de suspension du service de la dette du G20 en avril 2020. Malgré tout, la Chine reste prudente dans ses engagements. Elle ne classe pas, en effet, ses banques publiques – en particulier EximBank et CDB (qui détiennent 80 % du total des prêts en Afrique) – parmi ses créanciers officiels, qui sont donc exemptées des mesures de moratoire. Le pays négocie par ailleurs jusqu’à présent le reprofilage des prêts sur une base bilatérale : les déclarations officielles récentes font état d’accords bilatéraux avec onze pays africains et de l’annulation des prêts sans intérêt de quinze pays africains, arrivant à échéance en 2020. Pékin a, en particulier, accordé à l’Angola un moratoire de trois ans au titre du remboursement de la dette, ce qui représente un allégement considérable. Cependant, l’allégement reste temporaire et il est neutre en valeur nette présente (pas de réduction de la valeur faciale de la dette). Les pressions financières vont probablement réapparaître lorsque le moratoire prendra fin. Cela pose, par conséquent, la question de l’efficacité de l’initiative actuelle et de son adéquation aux défis liés à la dette en Afrique subsaharienne aujourd’hui. Même si le cadre commun pour le traitement de la dette a été étendu, sa capacité à permettre une gestion ordonnée de la crise reste à démontrer.

***

La crise met en évidence le risque de soutenabilité de la dette dans un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne. Dans les cas où les pressions sur la liquidité sont les plus marquantes, la suspension du service de la dette et les lignes de financement d’urgence pourraient empêcher la concrétisation du risque de surendettement. En revanche, pour les pays exposés à des problèmes de solvabilité, la restructuration de la dette pourrait s’avérer inévitable. La dette publique doit, en effet, être ramenée à des niveaux soutenables pour ne pas compromettre la croissance à long terme. Ainsi, une restructuration préventive serait préférable à une action curative.

La décision de restructurer une dette repose sur des analyses de soutenabilité (ASD) menée conjointement par le FMI et la Banque Mondiale. La méthodologie soulève des questions théoriques et pratiques. Elle repose fondamentalement sur le dépassement de seuils d’alerte dans différents scénarios, et il existe toujours un risque de conclure à tort à la non éligibilité de certains pays à la restructuration. De plus, de par sa nature prospective, l’évaluation de la soutenabilité de la dette est rendue très difficile compte tenu de l’incertitude actuelle sans précédent. L’ASD reste néanmoins l’outil le plus abouti car il prend en compte des spécificités des pays.

Au-delà de l’ASD, le cadre de restructuration de la dette pourrait se heurter à des défauts pratiques. L’histoire montre, jusqu’à présent, qu’il est possible de mobiliser les créanciers avec succès. Actuellement, la participation de la Chine à ce processus est sans précédent et essentielle pour certains pays d’Afrique subsaharienne afin qu’ils évitent de faire défaut sur la dette.

Jusqu’à présent, la Chine faisait preuve de peu de transparence sur ses engagements et les restructurations qu’elle a accordées ne répondaient pas au principe de solidarité entre créanciers et de comparabilité de traitement. Avec la crise, elle fait preuve d’une meilleure volonté de coopération. Les premières demandes de restructuration présentées par le Tchad et l’Éthiopie, qui seront traitées dans le nouveau cadre commun pour le traitement de la dette, constitueront un test pour juger de l’efficacité du cadre commun et de la coopération effective de l’ensemble des créanciers.

[1] Krugman, Financing vs. Forgiving a debt overhang, Journal of development Economics (1988)

[2] C’est-à-dire en incapacité de répondre à leurs engagements.

[3] Selon le cadre conjoint FMI-Banque mondiale de soutenabilité de la dette des pays à faible revenu (CVD PFR). Voir annexe.

[4] Le seuil de 55 % correspond au point de référence de la dette publique (en valeur actuelle nette), utilisé dans le cadre conjoint FMI-Banque mondiale de soutenabilité de la dette. Il correspond à une capacité d’endettement moyenne.

[5] L’Angola, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et le Sénégal représentent l’essentiel des émissions.

[6] Groupe de la Banque mondiale, Africa Pulse, volume 17 (avril 2018).

[7] C. Calderón & A.G. Zeufack, Borrow with Sorrow? The Changing Risk Profile of Afrique subsaharienne’s debt, Policy Research Working Paper 9137, groupe de la Banque mondiale, région Afrique (janvier 2020).

[8] S. Horn, C.M. Reinhart& C. Trebesh, China’s Overseas Lending, Working Paper 26050, NBER (juillet 2019).

[9] B.Eichengreen, R. Hausmann & U.Panizza, The Pain of Original Sin (2003);

[10] C.Calderón & A.G. Zeufack, Borrow with Sorrow? The Changing Risk Profile of Subsaharan Africa’s debt, Policy Research Working Paper 9137, groupe de la Banque mondiale, région Afrique (janvier 2020).

[11] Ce chiffre comprend les pays non subsahariens.

[12] Cet aperçu reprend, en grande partie, les définitions et développements figurant dans un article de Charles Wyplosz sur la soutenabilité de la dette (“Debt sustainability assessment: Mission impossibleReview of Economic Institutions (2011).

[13] Angola, Nigéria, Cameroun, Congo, Guinée équatoriale, Tchad, Gabon, Soudan du Sud.

[14] Indice S&P des obligations souveraines africaines libellées en devises.

[15] Les engagements de prêt, qui ont atteint un point culminant en 2013, étaient en général assortis d’un délai de grâce de cinq à dix ans indiquant que les pays africains sont à présent confrontés à des charges de remboursement significatives (CARI, estimations de John Hopkins).

[16] Enquête de U. Das, M. Papaioannou et C. Trebesh, Sovereign debt restructurings 1950-2010 (2012)

[17] Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, Suspendre la dette des pays émergents et en voie de développement, Project Syndicate (avril 2020)

[18] Asonuma, Chamon, Erce, Sasahara, Costs of sovereign defaults: restructuring strategies and the credit investment channel (avril 2020)

[19] Eaton et Gersovitz (1981), Eaton & al (1986), Cohen & Sachs (1986), cités dans Raffinot, La dette des tiers mondes (2008)

[20] Voir l’enquête de U. Das, M. Papaioannou et C. Trebesh, Sovereign debt restructurings 1950-2010 (2012)

[21] Wyplosz, Debt Sustainability Assessment : Mission Impossible (2011)

[22] Voir note d’orientation du FMI sur le cadre d’analyse de soutenabilité de la dette des pays à faible revenu

[23] Guzman & Lombardi, « Assessing the Appropriate Size of Relief in Sovereign Debt restructuring » (2017), International Monetary Fund SPRDP Seminar

[24] B.Chellaney, China’s Debt Trap Diplomacy (2017)

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE