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Marché immobilier en Espagne : un optimisme à relativiser

28/04/2022
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Le marché immobilier espagnol fait de nouveau preuve de dynamisme après sa forte correction de 2008 à 2013 qui a effacé une partie des excès créés au début des années 2000. Le volume des transactions a atteint en 2021 son niveau le plus élevé en douze ans. Les prix des logements enregistrent depuis six ans une croissance proche de 5% par an en moyenne. L’activité bénéficie aujourd’hui de multiples soutiens : rebond économique post-Covid, épargne des ménages plus importante, progression de l’emploi, taux d’emprunt bas.

La hausse des prix immobiliers s’explique surtout par une limitation sur l’offre de logement qui risque de perdurer avec l’accroissement des coûts de construction lié au renchérissement des matières premières. Un resserrement des conditions de crédit sera moins problématique qu’en 2008 : l’endettement des ménages et la charge de la dette se sont nettement réduits ces dernières années. Néanmoins, cette augmentation des prix constitue un facteur d’inégalité de plus en plus important. Le projet de loi sur « le droit à l’accès au logement », en cours de procédure parlementaire, vise à réglementer différents domaines du marché immobilier (aides à l'accès au logement, régulation des expulsions, hausse du nombre de logements sociaux, encadrement des loyers), mais ne règle que partiellement le problème du déficit de construction.

Un rebond marqué en 2021

Transactions et prix immobiliers

L’activité immobilière en Espagne a rebondi de façon spectaculaire en 2021, après un plongeon en 2020 en raison des mesures de confinement pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Près de 670 000 transactions immobilières ont été réalisées l’an passé, du jamais vu depuis 20071 (cf. graphique 1). Selon l’INE, les prix immobiliers ont progressé de 3,7% en moyenne annuelle en 2021, poursuivant ainsi le rythme soutenu des six dernières années (+4,9% en moyenne annuelle entre 2015 et 2020). Si les prix des logements restent près de 10% inférieurs au pic de l’été 2007, leur croissance s’accélère. Cette hausse s’est poursuivie au premier trimestre 2022, selon les chiffres de Tinsa, qui montrent une augmentation en glissement annuel de 6,8% en mars. Cet indicateur est très bien corrélé avec l’indice trimestriel de l’INE.

Permis de construire de logements résidentiels

Ces chiffres masquent néanmoins des divergences importantes entre les régions. Dans la communauté de Madrid ainsi que dans les régions touristiques et/ou plus fortement peuplées (Ile Baléares, Melilla, Ceuta), les prix immobiliers ont enregistré depuis 2015 une progression rapide ; dans certaines régions, le niveau des prix est même supérieur à 2007/2008. À l’inverse, dans les régions rurales et moins densément peuplées (Estrémadure, Castille-et-León, Navarre, Aragon), les prix oscillent encore très en dessous de leurs niveaux d’il y a quinze ans, au moins 20% en dessous. Cela dit, le nombre de transactions immobilières, dans la plupart de ces régions, est également reparti à la hausse, ce qui laisse présager une augmentation des prix plus rapide cette année.

À quel point doit-on s'inquiéter de la hausse des prix?

Endettement des ménages et service de la dette (% du revenu disponible brut)

Si dans certaines régions, les prix immobiliers ont désormais dépassé leur niveau de 2008 ou s’en rapprochent, les deux périodes offrent peu d’éléments de comparaison. Lors de la précédente phase d’expansion (2000-2008), l’endettement des ménages avait doublé, passant d’un ratio sur revenu disponible brut (RDB) de 65% en 2000 à un pic autour de 135% en 2008. Depuis le redémarrage du secteur immobilier en 2013, l’endettement des ménages a baissé quasi continuellement, passant de 126% du RDB à 93,7% du PIB en milieu d’année 2021 (graphique 3).

Endettement des ménages (% du PIB)

Leur taux d’endettement a augmenté durant la crise sanitaire en 2020, mais cela a été de courte durée ; la courbe est de nouveau repartie à la baisse en 2021. En parallèle, la forte diminution des taux d’intérêt, aujourd’hui à des niveaux historiquement bas, a contribué à réduire le poids du remboursement de la dette qui est passée de 11,4% du revenu disponible des ménages en 2008, à 6,2% à l’automne 2021. Alors qu’ils étaient parmi les plus endettés d’Europe en 2010, les ménages espagnols sont désormais au niveau de la moyenne européenne (graphique 4).

Croissance des crédits immobiliers

Cette phase de désendettement important s’explique principalement par le resserrement de l’offre de crédit qui a débuté avec la crise financière mondiale de 2008-2009 et qui s’est poursuivi jusqu’au milieu de l’année dernière (graphique 5). Indication d’une meilleure solidité du secteur bancaire, le ratio du crédit sur les dépôts, qui avait doublé durant le cycle économique du début des années 2000, est retombé aujourd’hui à son plus bas niveau depuis 1997 (date correspondant au début des statistiques actuelles).

Hormis l’endettement, la composition des crédits immobiliers a également connu un profond bouleversement, avec un basculement progressif des emprunts à taux variables vers les taux fixes (cf. graphique 6).

Part des emprunts immobiliers à taux fixe et variable (% du total)

Ces derniers, qui représentaient moins de 5% du total des prêts immobiliers en 2011, comptent désormais pour 70% de l’encours total en janvier 2022. Les ménages ont profité de la période de taux bas pour obtenir et pérenniser des conditions d’emprunt plus avantageuses et stables, ce qui leur permettra d’être mieux protégés face à un durcissement des conditions de crédit qui se rapproche. L’économie espagnole est donc dans son ensemble plus solide pour affronter la remontée des taux d’intérêt qui se profile. Les risques systémiques émanant du secteur immobilier sont, à ce stade, bien moins importants que durant le cycle économique du début des années 2000.

Cependant, la hausse des prix immobiliers a des répercussions sociales. Elle accroit les inégalités entre les propriétaires (dont le patrimoine s’accroît avec l’augmentation des prix) et les primo-accédants.

Prix immobiliers rapportés au revenu disponible (en années)

Un achat immobilier demande un effort financier de plus en plus important, y compris pour ceux qui sont déjà propriétaires (graphique 7), les revenus disponibles n’augmentant notamment pas aussi rapidement que les prix immobiliers, bien que la baisse des taux ait pu contrebalancer l’effet de la hausse des prix.

Au vu de la dynamique actuelle des prix – le pic de 2007 pourrait être bientôt dépassé, si on en juge par les chiffres de l’INE – le creusement des inégalités risque de s’aggraver. Comme mentionné précédemment, ces tensions ne sont pas de même ampleur sur l’ensemble du territoire ; elles se retrouvent surtout dans les grandes villes et les zones balnéaires qui sont des territoires rassemblant néanmoins une grande partie de la population.

Par répercussion, la demande en logement locatif, ainsi que sa part dans le parc résidentiel total, s’est accrue3, ce qui a eu pour effet de tirer les loyers vers le haut.4 Cela a conduit à un intérêt croissant de la part d’investisseurs privés pour la construction de logements à but locatif (build-to-rent), ce qui a eu pour conséquence d’amplifier la demande de logements et la hausse des prix.

Pour lutter contre cette précarité immobilière, le gouvernement a promulgué en mars dernier la « loi pour le droit au logement » (Ley por el Derecho a Vivienda), actuellement en discussion au Parlement national. Elle institue une série de réformes visant à mieux encadrer différents domaines, comme les aides à l'accès au logement, la régulation des expulsions, la création de logements abordables ou encore la limitation des prix des loyers dans les zones dites stressées. Le gouvernement étudie également la possibilité de geler temporairement la possibilité pour les propriétaires d’introduire dans les contrats de location une clause permettant d’actualiser les loyers en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation.

Si ces mesures vont dans le bon sens, elles ne répondent que partiellement au problème de fond du marché immobilier qui est le manque de nouvelles constructions résidentielles dans certaines régions où le marché est en forte tension. Si au niveau agrégé, le marché immobilier espagnol ne pose, à l’heure actuelle, pas de risque systémique important, la hausse des prix et la raréfaction des logements dans certaines régions denses constitue une source de fragilité importante, notamment dans le contexte actuel d’érosion du pouvoir d’achat.

1 Source: Ministère du logement espagnol

2 Le nombre combiné de ménages de célibataires et de familles monoparentales a augmenté de 12% entre 2013 et 2020, passant de 6,12 millions à 6,83 millions, Ils représentaient 36,4% des couples en 2020 contre 33,6% sept ans auparavant (source: INE)

3 En Espagne, la part des logements locatifs dans le parc résidentiel total a at- teint 18,3% en 2019, avant de fléchir à 17,3% en 2020. Elle n’était que de 16,1% en 2013 et 11,4% en 2001 (source: INE). 4 Autre conséquence de ce phénomène d’éviction, la part des jeunes adultes vivant avec leurs parents a augmenté significativement, passant, entre 2013 et 2020, de 48,5% à 55,0% pour les 25-29 ans, et de 20,5% à 25,6% pour les 30-34 ans. Cette hausse se déroule paradoxalement dans un contexte de baisse progressif du chômage des jeunes dans le pays, mais dont la croissance des revenus est bien inférieure à la hausse des prix immobiliers.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE