A défaut d’en signifier la fin, les élections législatives du 12 décembre dernier au Royaume-Uni marquent à coup sûr un tournant dans l’interminable feuilleton du Brexit. Pour la première fois, une majorité claire se dégage au Parlement britannique en faveur d’une séparation du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), qui interviendra au plus tard le lendemain du 31 janvier 2020. S’ensuivra une période de transition de onze mois, peut-être plus, durant laquelle Britanniques et Européens auront à bâtir le cadre de leurs relations futures.
Vers une ratification de l’Accord de retrait
Avec 43,6% des voix et 365 sièges (sur 650) remportés à la Chambre des communes, le Parti conservateur du premier ministre, Boris Johnson, est sorti grand vainqueur de l’élection générale anticipée du 12 décembre. Sa majorité (80 sièges d’avance sur les autres partis) est la plus large depuis celle obtenue en 1987 par Margaret Thatcher, pour son troisième mandat. Elle lui permettra d’honorer la promesse martelée auprès des électeurs durant la campagne : réaliser le Brexit.
L’accord de retrait (AR) conclu avec les vingt-sept autres Etats membres de l’UE (ci-après, les Vingt-Sept) sera soumis au vote des députés britanniques dès le lendemain de l’ouverture par la Reine de la session parlementaire, soit le vendredi 20 décembre. Il pourrait être ratifié avant Noël, conformément au souhait de M. Johnson.
Suivront les votes au Parlement européen (à la majorité simple) puis au Conseil (à la majorité qualifiée) pour une séparation juridique intervenant au plus tard le 1er février 2020. Le Royaume-Uni quittera alors toutes les institutions communautaires (Parlement, Cour de Justice, Commission, etc.), mais pas immédiatement le marché unique, dont il respectera les règles tout au long d’une période de transition prévue de s’achever le 31 décembre 2020. A cette date, Royaume-Uni et UE sont supposés avoir défini le cadre de leur relation future. Ceci implique la reconsidération de 4.600 milliards d’euros d’échanges commerciaux annuels (le double du PIB de la France) [1] et la réécriture des milliers de pages de contrats. Dans les domaines de la sécurité, de l’agriculture, de la pêche, de l’énergie, des transports, des échanges de données, les liens à défaire vont bien-delà de simples accords de libre-échange ; ils recouvrent un vaste corpus de règles, juridiques (droits de la propriété intellectuelle, appellations d’origine…), sanitaires, techniques ou sociales.
Où l’on reparle du risque de « no deal »
Le plus difficile - mettre en œuvre concrètement le Brexit - est donc à venir, de sorte que le soulagement apporté par l’obtention d’un accord de sortie pourrait être de courte durée. Au Royaume-Uni, le mode de scrutin électoral (« first past the post ») ainsi que la division et l’hétérogénéité des partis opposés à la ligne « dure », font que celle-ci s’est imposée tout en étant minoritaire dans la population. Outre la victoire des conservateurs à la Chambre des communes, l’autre fait marquant de l’élection générale du 12 décembre est la poussée des partis nationalistes nord-irlandais, gallois et écossais (cf. graphique 1) globalement opposés au Brexit et favorables à un maintien de leur région dans l’UE. L’option d’un retrait complet (de l’union douanière et du marché unique européens) défendue par M. Johnson risque donc de se heurter à une résistance politique forte.
Elle promet aussi une discussion serrée avec l’UE, dont le négociateur en chef, Michel Barnier, a maintes fois dit qu’il n’accepterait aucun accord qui recouvrirait un risque de dumping britannique, qu’il soit de nature fiscale, sociale, ou environnementale. Obtenir des garanties prendra toutefois du temps. Or, le Brexit ayant été décalé de près d’un an, celui laissé à la négociation est réduit d’autant. Pour nombre d’observateurs européens, une période de transition de onze mois s’achevant le 31 décembre 2020 est trop courte pour parvenir à un accord global. Un prolongement jusqu’au 31 décembre 2022 est bien possible sur le papier, mais l’option a été formellement rejetée par le premier ministre britannique, Boris Johnson[2].
L’accord de retrait ne garantissant pas l’accord commercial, le risque encouru est bien que, par manque d’ambition ou de temps, le Royaume-Uni et l’UE se séparent finalement sans s’accorder. Les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) s’appliqueraient alors, sans bénéfice pour quiconque.
Les principales dispositions de l’Accord de retrait
Le 17 octobre 2019, le premier ministre britannique, Boris Johnson, et les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE parvenaient un accord de retrait (AR). Celui-ci reprend l’essentiel de la version initiale conclue par Theresa May en novembre 2018 (mais jamais ratifiée par la suite) à l’exception des dispositions concernant l’Irlande du Nord, largement réécrites. En résumé, aux termes de l’AR :
1/ Une période de transition est aménagée à la date du Brexit et jusqu’au 31 décembre 2020, pour permettre au Royaume-Uni et à l’UE de négocier le cadre de leur relation future. Durant celle-ci, le Royaume-Uni, bien qu’absent des instances européennes, continue d’avoir accès au marché unique ; il en respecte les règles (ce qui implique, notamment, l’impossibilité pour lui de conclure des accords de libre-échange avec des pays tiers) et se soumet aux décisions de la Cour de Justice européenne.
2/ Le statut des résidents étrangers est sécurisé. Les 4 millions de citoyens de l'UE installés au Royaume-Uni, tout comme le million de citoyens britanniques installés dans l’UE à la date du Brexit, seront libres de rester et poursuivre leurs activités, et verront leurs droits garantis (en matière d’accès aux soins, à l'éducation, ou au travail, de perception des retraites, de regroupement familial…).
3/ Le Royaume-Uni s’engage à régler financièrement l’UE, au titre de ses engagements pluriannuels (budget 2014-20, programmes européens). Bien que l’AR ne précise aucun montant (celui-ci dépendra des termes de l’accord sur les relations futures) ce règlement financier est estimé, de source britannique, aux environs de EUR 40 milliards.
4/ L’Irlande du Nord bénéficie d’un statut particulier, de manière à respecter les accords du « Vendredi saint » (1998) et éviter le retour d’une frontière physique avec la République d’Irlande. Contrairement aux dispositions du premier Accord, l’Irlande du Nord pourra former avec le reste du Royaume-Uni sa propre union douanière après la période de transition (i.e. appliquer les droits de douane britanniques). Le « filet de sécurité », qui maintenait temporairement l'UE et le Royaume-Uni dans un territoire douanier unique, est donc abandonné, mais non sans contreparties ni restrictions importantes. L’Irlande du Nord continuerait ainsi d'appliquer le code des douanes européen pour les produits qui entreraient sur son territoire et risqueraient, par la suite, d'être introduits sur le marché unique. La frontière entre les deux Irlande étant ouverte, ceci implique inévitablement des contrôles sur les importations en provenance du Royaume-Uni ou des pays tiers. L'Irlande du Nord continuerait par ailleurs à se conformer aux règles de l'UE dans un certain nombre de domaines, comme l’agriculture, l’énergie (elle reste dans le marché unique de l’électricité) les aides d'Etat, le traitement de la TVA. Le protocole est prévu de s’appliquer pour 4 ans renouvelables. Il sera soumis au contrôle d’un comité mixte britannique et européen, l’Assemblée d’Irlande du Nord s’étant vue conférer un droit de regard sur son renouvellement.