Emmanuel Laborde : Bonjour à tous, et bienvenue dans ce numéro spécial des Études Économiques. Ça y est ! Les élections américaines qui ont tant mobilisé l'attention à la fois des citoyens, mais aussi des acteurs économiques concernés partout sur la planète. Ces élections américaines sont derrière nous, et il est temps de revenir à d'autres sujets d'actualité économique. Je précise d'ailleurs que cette vidéo est enregistrée quelques jours avant les élections aux États-Unis.
Nous n'y ferons donc aucunement référence, vous comprendrez pourquoi. Au programme donc aujourd'hui, trois sujets que vous allez découvrir dans quelques instants, mais juste avant cela, un nouveau visage à découvrir, celui d’Isabelle Mateos y Lago. Elle succède à William De Vijlder en tant que Cheffe économiste de BNP Paribas depuis le mois de septembre et c'est avec elle que nous débutons pour faire connaissance.
Introduction
Emmanuel Laborde : Bonjour Isabelle.
Isabelle Mateos Y Lago : Bonjour Emmanuel.
Emmanuel Laborde : Alors nous avons trois minutes pour faire connaissance, ce qui est toujours un exercice délicat. Mettre beaucoup d'informations sur peu de temps. Il va falloir faire des choix. Première question très simple, qui êtes-vous ? Ou plutôt en trois points saillants, comment pouvez-vous résumer votre carrière professionnelle ?
Isabelle Mateos Y Lago : Premier point saillant, premier tournant en 1999, ce qui ne nous rajeunit pas. Je pars à Washington après un début de carrière assez classique à Bercy. Je pars pour servir auprès de l'administrateur français, au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Et c'est une expérience qui me fait découvrir le regard de hauts fonctionnaires étrangers sur la France et surtout sur l'Europe. Et ça me fait prendre conscience de tout ce qui nous rassemble en Europe et que nous avons tendance à nous cacher à nous-mêmes quand on est sur le sol européen, tellement focalisé sur des différences et des divergences de surface. Et puis ça me fait prendre conscience aussi du fait que pour tous ces hauts fonctionnaires d'autres régions du monde, et bien l'Europe n'est en fait pas du tout au milieu de la carte, contrairement à ce qu'on pourrait croire.
Emmanuel Laborde: D'où l'intérêt d'avoir effectivement un regard extérieur. Après 1999, on s'arrête en 2015. Alors là, changement de secteur et changement géographique puisque des Etats-Unis vous arrivez en Angleterre.
Isabelle Mateos Y Lago : Alors là, le changement le plus important, c'est effectivement le passage dans le secteur privé. Moi, depuis presque toujours, j'avais le sentiment que pour servir l'intérêt général, il fallait travailler dans le secteur public. J'avais envie de servir l'intérêt général. Et en fait, petit à petit, je me suis rendu compte que c'est presque l'inverse et qu'une entreprise du secteur privé, si elle souhaite prospérer, se doit de répondre à un besoin du public le plus large possible. Et que si elle n'y parvient pas, eh bien elle dépérit et une autre lui succède. Et donc c'est assez sain comme processus en fait.
Emmanuel Laborde : Donc, après ces 25 années que vous venez de résumer dans le monde anglo-saxon, vous revenez en France avec quel ressenti ? « Qu'est-ce qu'on ressent quand on rentre chez soi ? »
Isabelle Mateos Y Lago : Oui, c'est très intéressant, ça reste un choc culturel, mais beaucoup plus facile à gérer que les précédents. Parce qu'en fait, je suis un peu comme un smartphone qui revient à ses paramètres initiaux quand on appuie sur les bons boutons. C'est-à-dire que tous les réflexes, tous les codes reviennent assez spontanément, avec l'avantage supplémentaire quand même que naturellement, je n'ai pas oublié les perspectives gagnées à l'étranger. Donc j'espère que ça va être un plus dans mes relations ici avec mes collègues et puis les clients de la banque.
Emmanuel Laborde: Vous venez donc d'arriver chez BNP Paribas, à la tête des Études Économiques, c'était le 3 septembre. Comment est-ce que vous appréhendez aujourd'hui cette mission ?
Isabelle Mateos Y Lago : Eh bien, après avoir beaucoup écouté mes collègues et puis les clients, ce qui me semble très clair, c'est que nous devons faire deux choses. La première, c'est d'offrir un éclairage à peu près continu aux dirigeants de tous les métiers de la banque, mais aussi à nos clients sur ce qui se passe dans l'économie, parce que c'est important pour leur prise de décision au quotidien, mais également, et peut être encore plus important, leur apporter un éclairage stratégique sur les tendances de fond qui affectent l'économie.
L'économie européenne en premier lieu, mais aussi comme l'économie européenne, est très ouverte, ce qui se passe dans les autres régions du monde qui est qui affecte les développements en Europe.
Emmanuel Laborde : Alors justement, restons sur l'actualité et sur les choix éditoriaux qui ont été faits pour cette vidéo que nous allons, que nous avons enregistré d'ailleurs, il faut préciser juste avant les élections américaines. Voilà pour la parenthèse.
Quel est selon vous, l'air du temps économique ? Et en conséquence de cela, quels sont les sujets qu'on va développer aujourd'hui ?
Isabelle Mateos Y Lago : On est dans une ère très compliquée où d'ailleurs l'économie passe au second plan par rapport à des préoccupations géopolitiques nouvelles, par rapport à des problématiques du type changement climatique ou vieillissement démographique qui sont hors de l'économie, mais qui ont un impact très important.
Beaucoup d'incertitudes. Mais au milieu de ces incertitudes, quand même, quelques sujets sur lesquels on a une conviction forte. Le premier, c'est la baisse des taux d'intérêt. On est à l'orée, nous semble-t-il, de manière à peu près certaine d'une phase de baisse des taux d'intérêt des banques centrales. Et puis deuxième sujet à forte conviction, le ralentissement tendanciel de l'économie chinoise, qui va aussi constituer un changement très important pour l'économie mondiale. Et c'est donc ces deux thèmes qu'on va revisiter dans les séquences à venir.
Emmanuel Laborde : Merci beaucoup Isabelle.
Isabelle Mateos Y Lago : Merci !
Emmanuel Laborde: Et nous débutons effectivement avec la baisse des taux et avec Hélène Baudchon.
Baisses de taux : jusqu’à quel point sont-elles bon signe ?
Emmanuel Laborde : La période donc est à la baisse des taux, un sujet dans l'actualité que nous évoquons très régulièrement au sein des Études Économiques. Et c'est toujours avec toi Hélène. Bonjour.
Hélène Baudchon : Bonjour.
Emmanuel Laborde : Alors je vais vous proposer une chronologie sous ton contrôle évidemment, de ces baisses de taux que nous avons pu vivre depuis plusieurs mois. C'est la BCE qui a enclenché la première baisse au début de l'été, suivie par la FED alors qui est allée très très fort avec 50 points de base. Et aujourd'hui, au moment où nous enregistrons cette vidéo, nous sommes dans les dernières semaines de 2024. Nous en sommes à trois baisses côté BCE, trois baisses de 25 points de base. Et cette question qui reste en suspens, c'est le titre, l'intitulé de cette séquence. Est-ce un bon ou un mauvais signe ?
Hélène Baudchon : C'est plutôt un bon signe pour le moment, dans la mesure où les banques centrales sont en train de procéder à une normalisation de leur politique monétaire après avoir porté leurs taux directeurs à des niveaux assez élevés pour combattre la résurgence de l'inflation.
Et on voit bien sur le graphique, cette remontée massive des taux d'intérêt. Mais comme l'inflation a nettement reflué depuis environ deux ans, que le retour à la cible de 2 % se rapproche, eh bien cela ouvre la voie maintenant aux baisses de taux d'intérêt qui viennent accompagner cette baisse de l'inflation. Et donc en termes nominaux, cela permet à la politique monétaire de devenir moins restrictive.
Emmanuel Laborde : Ce qui est important signaler, c'est qu'il y a également de l'anticipation dans cette démarche de baisse des taux.
Hélène Baudchon : Effectivement, l'approche des banques centrales se veut aussi pro-active. C'est-à-dire que la Fed et la BCE ne sont pas en réaction face à une détérioration soudaine de la situation économique, mais en prévention pour préserver l'existant, à savoir l’atterrissage en douceur côté américain et le décollage progressif du côté de la zone euro.
Emmanuel Laborde : Et donc, après une longue période de taux élevé, c'est acté. Nous sommes dans cette nouvelle séquence de baisse des taux avec une question qui reste quand même-là : à quel rythme cette baisse va se poursuivre ?
Hélène Baudchon : Dans notre scénario central, on pense que ces baisses de taux vont se poursuivre à un rythme graduel, relativement régulier à l'horizon des prochains trimestres.
Il faut en effet, d'une part, continuer de soutenir la croissance pour éviter que les signes de vacillement ne s'accentuent. Ce point vaut en particulier pour la zone euro, où la reprise semble battre de l'aile. Ce à quoi d'ailleurs, la Banque centrale européenne s'est montrée attentive lors de son dernier meeting en octobre. Mais cela vaut aussi pour les Etats-Unis, où il faut éviter un ralentissement plus important de leur marché du travail.
Emmanuel Laborde : Sans oublier également l'inflation.
Hélène Baudchon : Les banques centrales, effectivement, doivent continuer de compter avec l'inflation, car celle-ci n'a pas encore totalement disparu. Elle a baissé, mais elle n'a pas encore totalement disparu. Il y a encore des poches de résistance, notamment du côté des services où l'inflation reste relativement élevée et baisse assez peu. Et donc, c'est pourquoi il ne faut pas non plus baisser trop vite les taux d'intérêt.
Emmanuel Laborde : C'est vrai que ce fine-tuning, cet équilibre à trouver entre gestion de la croissance et de l'inflation, c'est toujours le sujet qui revient lorsqu'on parle des taux d'intérêt. Alors quelle est la cible ? Jusqu'où les banques centrales vont-elles baisser leurs taux ?
Hélène Baudchon : Une fois encore, dans notre scénario central, on s'attend à ce que la Fed et la BCE reviennent aux alentours du taux neutre, ce fameux taux d'intérêt théorique qui ne stimule ni ne freine l'activité économique.
On resterait quand même dans un scénario relativement positif dans la mesure où ça signifie que la politique monétaire n'aurait pas besoin de devenir véritablement accommodante pour soutenir plus franchement l'activité économique. Mais si on considère les risques qui entourent ce scénario central, pour la BCE, il est possible qu'une détente monétaire plus importante s'avère nécessaire, tandis que c'est le risque inverse aux Etats-Unis.
Emmanuel Laborde : Merci beaucoup Hélène de cet éclairage et on va suivre ce sujet durant les semaines et les mois à venir. En poursuivant cette discussion avec Laurent Quignon.
Les effets de la baisse des taux sur les banques européennes
Emmanuel Laborde : Après une longue période défavorable de taux bas de près de six années, les banques européennes ont globalement vu leurs marges d'intérêt et leur rentabilité s'améliorer avec la hausse des taux de la BCE en 2022 et 2023. Bonjour Laurent.
Laurent Quignon : Bonjour Emmanuel, bonjour à tous !
Emmanuel Laborde : On arrive maintenant dans une période de baisse des taux. Nous venons de l'évoquer à l'instant. Quels en seront les effets sur les marges d'intérêts des banques européennes selon toi ?
Laurent Quignon : Il n'y a pas de réponse univoque, dans les systèmes bancaires à taux fixe comme en France, en Allemagne, en Belgique. La baisse des taux entraîne un allégement du coût des ressources bancaires et cette diminution du coût des ressources bancaires est amplifiée par la réduction des arbitrages de la clientèle vers les produits mieux rémunérés.
Et dans le même temps, le rendement moyen des actifs bancaires demeure relativement stable. En l'absence de renégociations massives. A contrario, les systèmes bancaires à taux variable, comme en Italie, en Espagne ou au Portugal, qui avaient connu un élargissement visible de leurs marges d'intérêts avec la hausse des taux en 2023, devraient plutôt voir ces mêmes marges s'éroder au fil de la révision des contrats de prêt, tout en demeurant supérieures au niveau qui prévalait durant la période de taux bas.
Emmanuel Laborde : Au-delà de la structure des taux fixe ou variable qu'on comprend bien, est ce qu'il y a d'autres facteurs qui sont susceptibles de limiter la sensibilité des systèmes bancaires aux variations ?
Laurent Quignon : Oui. Outre les stratégies de couverture, la plus grande diversification des portefeuilles d'activité ou géographique, ou la plus forte proportion de commissions dans le produit net bancaire sont des facteurs de nature à atténuer l'incidence de la variation des taux d'intérêts sur les revenus bancaires.
Emmanuel Laborde : Ce mode de financement au fixe ou variable est ce qu'il a également une incidence sur l'évolution du coût du risque cette fois-ci ?
Laurent Quignon : Oui. Dans les systèmes bancaires à taux variable, la baisse des taux bénéficie à l'ensemble des emprunteurs, ce qui n'est évidemment pas le cas dans les systèmes bancaires à taux fixe, où seuls les emprunteurs récents en profitent et non les emprunteurs en cours.
Alors certes, des renégociations sont possibles, mais elles ne devraient être intéressantes que pour une proportion limitée d'emprunteurs. Cela étant, il faut garder à l'esprit que dans les systèmes bancaires à taux fixe, les charges d'intérêt supportés par les emprunteurs n'avaient pas suivi la hausse des taux en 2022 et 2023 et qu'en conséquence, le coût du risque, partant d'un niveau initial bas, n'y avait que faiblement progressé.
Emmanuel Laborde : Alors la baisse des taux devrait se poursuivre. Dans ce contexte, quid de la rentabilité des banques à horizon des prochains mois, d’après toi ?
Laurent Quignon : L'impact négatif, pour les banques européennes en moyenne, de la baisse des taux d'intérêt sur les marges d'intérêts bancaires devrait être partiellement compensé par un effet volume positif.
D'ailleurs, dans la dernière enquête de la Banque centrale européenne, les banques constatent un assez net rebond de la demande de crédits immobiliers et également une reprise de la demande de financement des entreprises, pour la première fois depuis deux ans, ce qui est plutôt encourageant. Une dichotomie devrait persister selon le mode de financement - taux fixe ou taux variable-, et les banques dont le portefeuille de prêt est davantage à taux fixe, comme les banques françaises, devraient plutôt mieux tirer leur épingle du jeu que leurs consœurs d'Europe du Sud, d'autant qu'elles présentent des portefeuilles d'activité plus diversifiés, qui vont bien au-delà de la seule banque de détail, et que la baisse des taux d'intérêt pourrait soutenir les commissions perçues dans le cadre d'autres activités.
Emmanuel Laborde : Merci de cet éclairage rapide. Merci Laurent et pour notre prochain sujet nous partons en Chine.
Les effets du ralentissement chinois sur les pays émergents
Emmanuel Laborde : Dernier sujet traité aujourd'hui : le ralentissement de la croissance chinoise avec des effets variés en fonction des pays sur la planète. Sur les pays avancés, on attend par exemple un effet plutôt négatif, même si la déflation en Chine devrait générer des gains de pouvoir d'achat. Et a contrario, sur les pays émergents, il faudra compter avec le canal des IDE qui pourrait bien changer la donne.
Nous allons détailler ces différentes situations avec toi, Christine. Bonjour.
Christine Peltier : Bonjour Emmanuel.
Emmanuel Laborde : On va détailler quelques-uns des différents canaux de transmission de ce ralentissement de l'économie chinoise au reste du monde. Le premier, c'est le canal des échanges extérieurs. Est-ce que tu peux nous le décrire précisément ?
Christine Peltier : Oui. Le canal de transmission le plus évident, en effet, c'est l'effet du ralentissement des importations chinoises, et en particulier des importations de matières premières. Ceci affecte les pays producteurs par l'effet combiné d'un affaiblissement de leurs exportations en volume et de la baisse des prix des matières premières exportées.
Emmanuel Laborde : Qui cela va-t-il concerner ?
Christine Peltier : Au sein des pays émergents, ce sont surtout les pays d'Amérique latine et l'Afrique du Sud qui devraient pâtir le plus de cette moindre demande en provenance de Chine.
Emmanuel Laborde : Autre canal très important, c'est le canal des prix. Puisque ce ralentissement de la croissance chinoise va renforcer la concurrence chinoise. Là encore, quelles conséquences et pour qui ?
Christine Peltier : Le ralentissement de la croissance chinoise s'accompagne d'un renforcement de la politique industrielle qui accroît la concurrence chinoise. Pour un pays donné, cette concurrence chinoise s'exerce à la fois sur son marché domestique et sur ses marchés à l'exportation, et cette concurrence est accrue par les pressions déflationnistes en Chine.
Emmanuel Laborde : Qui sera principalement concerné, donc ?
Christine Peltier : Avec la hausse des taxes douanières aux Etats-Unis et le processus de “decoupling” entre Chine et Etats-Unis, la zone euro devient sans doute le principal marché à l'exportation de la Chine.
Si on se concentre sur la zone euro comme marché tiers, et si on croise intensité de la concurrence chinoise sur le marché domestique et intensité de la concurrence chinoise sur la zone euro, alors ce sont sans surprise les pays d'Europe centrale et la Turquie qui sont les plus affectés.
Emmanuel Laborde : Et alors l’Asie ?
Christine Peltier : Les pays d'Asie, eux, sont davantage concurrencés sur leur propre marché domestique.
Emmanuel Laborde : Un ultime canal très important, celui des IDE. Ça fait partie de la stratégie chinoise. C'est important de revenir sur ce levier qui est très fortement activé par la Chine depuis plusieurs années.
Christine Peltier : Oui, les IDE sont une composante essentielle de la stratégie industrielle des entreprises chinoises. Depuis deux-trois ans, on observe une hausse importante des IDE chinois vers des pays afin de contourner des droits de douane ou de gagner un accès à des zones de libre-échange. Dans cette dynamique, ce sont les pays d'Asie du Sud-est, le Mexique, et la Hongrie qui sont parmi les principaux bénéficiaires. Donc finalement, pour certains pays émergents, et contrairement aux pays avancés, l'effet global ne sera pas forcément négatif.
Emmanuel Laborde : Des résultantes contrastées. D'où l'intérêt de s'arrêter précisément sur ce sujet. Merci beaucoup Christine. Merci à vous de nous avoir suivis, et pour approfondir chacun de ces sujets et bien d'autres, n'hésitez pas à vous rendre sur le site internet des Études Économiques. Vous y trouverez énormément de contenu en ligne.
Merci de votre fidélité, à bientôt.