Eco Flash

L’espoir d’une relance verte

08/06/2020
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L’Espagne sera sans nul doute l’un des pays le plus touchés économiquement par la crise du Covid-19.[1]

Espagne, valeur ajoutée du secteur technologique

Les derniers chiffres de l’agence pour l’emploi espagnole (SEPE) confirment l’ampleur du choc : bien que la baisse des chiffres de l’emploi ait ralenti en mai, elle totalisait le mois dernier -70 800[2], ce qui porte la chute sur les trois derniers mois à 1 119 000 postes. Au cours de cette même période, le nombre de personnes sans emploi a bondi de 803 668 pour atteindre 3 936 000, plaçant le taux de chômage autour de 17,1%[3]. La création en urgence du revenu minimum vital, voté par décret le 29 mai et opérationnel dès juin, est une réponse directe à l’accroissement du chômage et de la pauvreté que le pays va devoir affronter dans les mois à venir.

Néanmoins, il serait erroné de comparer la situation actuelle aux crises de 2008 et 2011. Les risques systémiques étaient, avant la crise sanitaire actuelle, bien moindres que lors des crises précédentes. Jusqu’à la fin de 2019, on observait une baisse significative de l’endettement des ménages et des entreprises, une résorption du déficit public, et le redressement notable du marché immobilier (+2,1% en glissement annuel au T4 2019, contre une chute record de 10,0% au T4 2012). La crise sanitaire va stopper brutalement cette progression et la récession économique sera importante en 2020. Néanmoins, la régression rapide de l’épidémie en Europe et la réouverture des frontières à l’intérieur de l’espace Schengen permet d’entrevoir une reprise économique plus marquée qu’attendu pour le deuxième semestre de 2020, notamment dans le secteur du tourisme, qui reste un secteur-clé en Espagne.

Transformation technologique : l’Espagne à la traine ?

Part du secteur technologique*, T4 2019 En %

L’économie espagnole a connu des transformations profondes depuis la crise financière de 2008. Le poids économique des secteurs dits « technologiques » s’est accru avec une accélération marquée depuis 2013. Ce phénomène s’observe à différents niveaux :

En termes l’emploi : les emplois dans les secteurs de l’information et de la communication et des activités « professionnelles, scientifiques et techniques » ont augmenté respectivement de 21,7% (+90k) et 14,7% (+302,5k) entre le T1 2008 et le T1 2020. L’emploi total a, à l’inverse, reculé de 8,7% (-1,723k) sur la même période. En part dans l’emploi total, ces deux secteurs combinés représentent désormais 15,7% au T1 2020 contre 12,3% en T1 2008.

En termes de production : la valeur ajoutée de ces deux secteurs représente 13,3% de la valeur ajoutée totale, contre 10,6% en 2008.

En termes d’investissement : la part de l’investissement en produits de propriété intellectuelle (brevets, inventions…) dans le PIB a grimpé de 2,55% au T1 2008 à 3,56% au T1 2020.[4]

Cet accroissement de la part des activités à forte valeur ajoutée s’observe dans la plupart des pays. Il reflète en grande partie l’expansion de l’économie numérique, dans les services (e-commerce, fintech, apps) comme dans l’industrie (automatisation des chaînes de production, robotisation, objets connectés).

L’Espagne a cependant pris du retard par rapport à ses grands partenaires européens. Le tableau 1 compare les pays de l’Union européenne sur ces trois mesures (valeur ajoutée, emploi, investissement). L’Espagne reste sous la moyenne de l’UE-28, et en particulier derrière la France et l’Allemagne. Si on élargit la zone, l’écart est également important avec les États-Unis et le Japon.

Ce retard dans les investissements de pointe explique en partie pourquoi l’Espagne n’a pas réussi à générer suffisamment de nouveaux emplois, à même de « compenser » les pertes dans les secteurs plus traditionnels, fortement touchés par ces transformations technologiques (le secteur manufacturier, la construction et même la finance). L’annonce de Nissan de fermer son usine à Barcelone, causant ainsi la suppression de 2 800 emplois, est le dernier exemple en date des difficultés de l’industrie automobile, confrontée au changement technologique et à la concurrence accrue de la Chine dans le secteur des voitures électriques. La crise du Covid-19 a exacerbé ces difficultés mais n’en est pas la cause principale, qui est avant tout structurelle.

La relance verte, une opportunité à saisir

La crise du Covid-19, les problèmes structurels majeurs (changement climatique, vieillissement de la population) et les relances budgétaires d’ampleur annoncées par les gouvernements et l’UE, devraient accroître significativement le poids des secteurs technologiques dans l’ensemble des économies « développés » dans les années à venir.

L’Espagne possède de véritables atouts pour profiter de cette vague d’investissement :

DESI indice (2019)

Dans les énergies renouvelables : l’Espagne dispose d’un territoire et d’un climat propices au développement de l’énergie renouvelable, et de l‘énergie solaire en particulier. En 2019, l’Espagne était déjà le premier marché en Europe pour l’éolien terrestre.[5] Le pays est aussi devenu l’an dernier le premier marché pour l’énergie solaire en Europe : 4,5 GW ont été installés dans le pays, contre 4 GW en Allemagne et 0,9 GW en France.[6] La crise du Covid-19 pourrait causer un ralentissement, voire une chute des investissements à court terme (2020-2021).[7] Cependant, l’avance de l’Espagne dans ce secteur peut à moyen ou long terme constituer une source d’emplois significative pour le pays. En effet, l’énergie solaire pourrait générer 1,73 million d’emplois en Europe, soit près de la moitié des nouveaux emplois dans les énergies renouvelables de la région (entre 3,3 et 3,4 millions).[8]

Les signaux envoyés par le gouvernement sur ce sujet sont positifs : le mois dernier a été présenté un plan national pour l’énergie et le climat qui vise la neutralité carbone d’ici à 2050. Ce plan doit encore être approuvé par le parlement. En cas d’accord, il interdirait tout nouveau projet basé sur les énergies fossiles et il viserait à atteindre 100% d’électricité renouvelable d’ici à 2050. Selon les estimations du gouvernement, ce projet requiert EUR 200 milliards d’investissement dans les 10 années à venir et pourrait générer 350 000 nouveaux emplois chaque année.

Fintech : l’Espagne reste un pôle majeur de la Fintech en Europe. Selon la Banque d’Espagne, en 2019, le nombre d’entreprises dans ce secteur basées en Espagne (224) était proche de celui de l’Allemagne (261) et le plus élevé en Europe en nombre par habitants.[9] La sortie du Royaume-Uni de l’UE – le Royaume-Uni domine très largement la scène européenne avec 1171 Fintech en 2019 – pourrait aussi « rebattre les cartes » en Europe et permettre à l’Espagne d’attirer davantage d’investissements et d’emplois dans ce secteur.

Plus largement, dans le secteur de l’économie numérique, l’Espagne se positionne plutôt favorablement par rapport à ses principaux partenaires européens. Le Digital Economy and Society index (DESI) de la Commission européenne plaçait, en 2019, l’Espagne à la 11e position en Europe derrière, entre autres, les Pays- Bas (3e) et le Royaume-Uni (5e), mais devant l’Allemagne (12e) et la France (16e).[10] L’Espagne est avancée en matière de digitalisation de ses services publics (4e) néanmoins elle affiche un retard important dans la formation de la population au numérique (17e). Entre 2014 et 2019, le DESI de l’Espagne a progressé de la 13e à la 11e place.

Les obstacles sont néanmoins nombreux pour que l’Espagne saisisse pleinement ces opportunités. Le déficit public va se creuser cette année, resserrant davantage les marges budgétaires du gouvernement. La nécessité de faire face à la montée du chômage pourrait en effet réduire, à court terme, les investissements d’avenir, ainsi que la volonté politique de

poursuivre un agenda ambitieux dans ce domaine. Le retard pris dans la formation de la main d’œuvre (comme souligné par le DESI index) ne sera pas comblé avant longtemps et pourrait limiter l’offre de travail nécessaire au développement de ces nouveaux secteurs.

À cet égard, le pacte vert européen et le fonds de relance européen de EUR 750 milliards (500 mds en subventions et 250 milliards sous forme de prêts) peuvent constituer de véritables soutiens à l’économie espagnole. Avec le fonds de relance, l’Espagne bénéficierait ainsi de EUR 77,3 mds en subvention, un montant très important et équivalant à 6,2% du PIB annuel.[11]

Les défis structurels auxquels est confrontée l’Espagne ne sont pas des cas isolés. L’Allemagne (secteur automobile, charbon), la France (secteur automobile, commerces), les États-Unis (secteur pétrolier, commerces) et la Chine (industries métallurgiques, charbon) font face à des problèmes similaires de transformation de leurs économies. La question n’est pas de savoir quand mais à quelle vitesse l’Espagne réussira cette transition indispensable pour rester compétitif et créer des emplois de long terme, et de surcroît mieux rémunérés pour la plupart.

[1] Pour une analyse en détail de ces fragilités, voir EcoFlash Zone euro : à chaque pays, sa reprise, 20 mai 2020.

[2] Nombre de travailleurs inscrit à la sécurité sociale. Données corrigées des variations saisonnières.

[3] Dans l’hypothèse que la population active (16 ans et plus) soit identique au T1 2020 (22 994 200 ; source INE).

[4] D’autres sources d’investissement devraient être prises en compte, telles que l’investissement en software et dans les technologies de l’information et de la communication. Cependant les données manquent pour de nombreux pays et l’harmonisation est insuffisante pour une comparaison objective.

[5] Renewable energy market update May 2020, Agence Internationale pour l’Energie, pages 35-37.

[6] Ibid.page 26-27

[7] Selon l’IEA, l’installation de nouvelles capacités solaires en Europe va chuter de 18% par rapport au scénario d’avant crise (voir Renewable energy market update May 2020, Agence Internationale pour l’Energie).

[8] Voir Ram M. et al. Job creation during the global energy transition towards 100% renewable power system by 2050, Technological Forecasting and Social Change, February 2020.

[9] Financial Stability Review, Spring 2020, Banque d’Espagne, pages 31-36.

[10] https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/desi

[11] PIB de 2019

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE