Au cours de la décennie passée, les régimes de retraite européens ont atteint leurs objectifs sociaux. La situation relative des revenus des retraités s’est nettement améliorée. Entre 2005 et 2018, le taux de risque de pauvreté des plus de 65 ans a reculé de sept points au sein de l’Union européenne (UE) ; il est même bien inférieur à celui de la population totale dans plusieurs États membres[1]. En 2018, le Danemark et la France affichaient ainsi les taux de pauvreté des personnes âgées le plus bas, à 9,6 % et 9,9 % respectivement.
Cependant, le vieillissement de la population constitue un enjeu majeur pour la pérennité des systèmes publics de retraite en Europe. Le financement des retraites publiques reposant sur le principe de la répartition, la charge croissante des pensions pèsent sur des cohortes moins nombreuses d’actifs.
Nous avons axé notre étude sur l’adéquation des pensions des futurs retraités. Suite aux réformes, déjà réalisées ou à venir, les prestations des régimes publics seront probablement moins généreuses. Or de nombreux actifs ignorent que leurs conditions de départ à la retraite pourraient être moins favorables que pour ceux qui quittent aujourd’hui la vie active. Ils doivent être mieux informés pour pouvoir adapter leur épargne à la pension de retraite attendue.
Les conséquences financières du vieillissement de la population
Les régimes publics européens de retraite sont basés sur un système par répartition. Il s’agit d’un pacte intergénérationnel aux termes duquel les actifs cotisent pour les retraités. S’ils souscrivent à ce pacte, c’est qu’ils s’attendent à ce que les générations futures en fassent autant pour eux, lorsqu’ils prendront à leur tour leur retraite. Ce pacte lie non seulement les générations actuelles de retraités et d’actifs, mais également les générations qui ne sont pas encore en âge de travailler, voire celles qui ne sont même pas nées.
Le graphique 1 illustre l’importance des régimes publics de retraite en Europe. Dans nombre de pays européens, les systèmes publics de retraite constituent quasiment la seule source de revenus pour les personnes âgées. En revanche, dans les pays anglophones et aux Pays-Bas, ils constituent seulement une pension de base que viennent compléter des régimes privés obligatoires ou facultatifs.
Les systèmes publics de retraite sont parvenus à réduire sensiblement la pauvreté parmi les personnes âgées au sein de l’UE (graphique 2). Dans certains pays, principalement ceux de l’UE des Quinze, le revenu des personnes âgées est même meilleur que celui de la population d’actifs âgée de 25 à 54 ans (graphique 3). La situation s’est également améliorée en Europe centrale et orientale. En conséquence, les personnes âgées sont plus indépendantes et nombre d’entre elles bénéficient d’un confort raisonnable à la retraite.
L’une des principales menaces qui pèsent sur le système des retraites est l’augmentation du ratio de dépendance des personnes âgées au cours des trente à quarante prochaines années. Selon les projections démographiques à long terme d’Eurostat, le nombre d’actif par pensionné sera divisé par deux à l’horizon 2050, passant de 3,5 à 1,8 au niveau de l’UE. L’effet démographique des baby-boomers de l’après-guerre commencera à diminuer autour de 2030 pour disparaître, au plus tôt, vers le milieu du siècle.
Ce type de pacte intergénérationnel est fragile : la perspective pour les actifs de percevoir un niveau de pension modeste, en contrepartie de leurs cotisations, pourrait suffire à le briser. Les générations actives pourraient, dès lors, refuser de verser des cotisations aussi élevées, faisant ainsi s’effondrer le système des retraites. Le législateur doit donc veiller à assurer la pérennité du système des retraites sur le long terme. Cependant, devant la résistance de la population aux réformes de retraite, les gouvernements hésitent, en général, à s’engager dans un tel projet. En fait, dans un système par répartition, les gouvernements ne tirent aucun avantage de ces réformes. Ils sont, au contraire, tentés de multiplier les promesses dans ce domaine dans la mesure où cela ne coûte rien à court terme.
Le rapport 2018 du Comité de politique économique de l’UE sur le vieillissement (voir tableau 1, page 17)[2] fournit un éclairage sur les conséquences économiques de l’évolution démographique. Ce rapport présente différents scénarios sur la base des projections et d’hypothèses démographiques d’Eurostat relatives à un ensemble de variables macroéconomiques exogènes couvrant la population active, la productivité de la main-d’œuvre et les taux d’intérêt réels.
Les projections sont neutres du point de vue des politiques adoptées ; autrement dit, toutes les politiques votées ont été intégrées. Pour tenir compte des circonstances propres à chaque pays, les projections de pensions ont été établies par les États membres à l’aide de leurs propres modèles nationaux.
Dans le scénario de base, les dépenses liées à l’âge – régimes publics de retraite, soins de santé et dépendance – devraient augmenter légèrement de 19,6 % du PIB, en 2016, à 21,4 % du PIB en 2070, en grande partie sous l’effet de la hausse des dépenses de santé et de dépendance. Les dépenses au titre des régimes publics de retraite au sein de l’UE, axe principal du présent article, devraient connaître l’évolution suivante : de 11,2 % du PIB en 2016, elles atteindront un point culminant vers 2040 à 12 %, avant de redescendre à 11 % en 2070. De ce point de vue, les conséquences financières du vieillissement de la population semblent supportables. C’est le cas non seulement pour l’UE dans son ensemble, mais aussi pour les États membres.
Cependant, cette trajectoire centrale s’accompagne de risques importants. Il suffirait de légères déviations par rapport aux hypothèses retenues pour entraîner une grave dérive des finances publiques sur le long terme. L’une des hypothèses, d’une importance cruciale, est celle liée aux gains de productivité. Les scénarios européens supposent que la croissance de la productivité totale des facteurs passera de 0,5 %, au cours de la période 2016-2020, à 1 % à partir de 2040.
Aucune explication n’a été fournie concernant ce choix d’un taux de productivité élevé relatif maintenu sur une période de 50 ans. Il est discutable si l’on se réfère aux performances passées en la matière. En cas d’accroissement de l’incertitude, il aurait été opportun de retenir une hypothèse de productivité plus prudente. Nous n’avons certainement pas exploité tous les avantages liés à la numérisation de l’économie, mais certains auteurs n’en soulignent pas moins que le vieillissement de la population pourrait peser sur la croissance de la productivité[3]. D’autres facteurs pourraient aussi affecter celle-ci : le changement climatique et son impact sur les perspectives de croissance mondiale dans les prochaines décennies ; l’introduction de réglementations environnementales plus strictes[4], entraînant une diminution des gains de productivité ;enfin, les effets négatifs du changement climatique sur la croissance et leur répercussion sur la progression de la productivité[5]. Afin de tester la sensibilité des résultats à cette hypothèse cruciale, des simulations ont également été faites sur la base d’un taux légèrement inférieur de croissance de la productivité totale des facteurs (0,8 %). Dans ce scénario, le coût total des pensions pourrait augmenter à hauteur de 0,8 point du PIB. De plus, même si seules les réformes adoptées ont été intégrées dans les simulations, ces politiques pourraient avoir, dans certains pays, des résultats socialement indésirables, laissant entrevoir une modification probable à l’avenir des règles.
Ainsi, certains pays de l’UE ont lié l’âge de départ à la retraite à l’espérance de vie. En conséquence, l’âge légal de départ à la retraite pour ceux qui entrent à 20 ans dans la vie active sera d’environ 70 ans au Danemark, aux Pays-Bas et en Italie. Il est peu probable que cela puisse devenir une règle générale.
Certains pays réalisent, par ailleurs, des économies en creusant l’écart entre la pension moyenne et le salaire moyen, appelé « ratio de prestation ». Ce ratio est fonction du cadre juridique relatif au calcul des pensions, ou taux de remplacement, et des règles d’indexation. En moyenne, le ratio de prestation diminuerait les dépenses brutes au titre des retraites publiques à hauteur de 3,3 points du PIB. En France, le ratio de prestation pourrait même baisser de près de 5 points entre 2016 et 2070 en raison de l’indexation des prestations de retraite sur l’inflation et non sur les salaires. La diminution relative des prestations servies par rapport au salaire moyen va entraîner, à terme, une augmentation des risques de pauvreté des retraités par rapport à la situation actuelle. La détérioration des revenus des personnes âgées correspond aux calculs de l’OCDE, relatifs aux taux de remplacement actuel et futur (graphique 4).
Comportements d’épargne du point de vue macro et microéconomique
Les projections européennes montrent que les conséquences financières du vieillissement de la population sont supportables, mais que la situation du revenu des personnes âgées va probablement se détériorer du fait des réformes des retraites prévues ou anticipées.
Dès lors, une question importante se pose : comment les actifs réagiront-ils à l’évolution de la générosité des retraites ? Vont-ils travailler plus longtemps ou préféreront-ils accroître leur épargne et quitter la vie active le plus tôt possible ?
L’approche économique traditionnelle est celle de la théorie du cycle de vie de la consommation, développée par Franco Modigliani[6]. Selon cette théorie, des agents économiques prévoyants, opérant sur des marchés parfaits, planifieront de façon rationnelle leur consommation sur leur durée de vie en vue d’optimiser l’utilité de cette dernière. Pendant leurs années d’activité, ils constitueront une épargne suffisante, qui, ajoutée à la pension perçue, leur permettra de maintenir leur niveau de consommation une fois à la retraite.
Le modèle du cycle de vie de Modigliani établit un lien entre l’épargne des ménages et la pyramide des âges. Au niveau macroéconomique, il existe de nombreux exemples montrant que les pays à la population plus âgée, qui ont un faible taux d’épargne voire puisent dans leurs épargnes pour couvrir leurs dépenses, ont tendance à afficher des taux d’épargne plus faibles[7].
Cependant, d’après des données microéconomiques, le comportement d’épargne selon l’âge semble en contradiction avec les prévisions du modèle du cycle de vie. Poterba montre ainsi que le taux d’épargne des particuliers selon l’âge, dans les pays du G7, est positif pour toutes les tranches d’âge[8]. Le taux d’épargne des plus de 64 ans est supérieur à 15 %, un taux que seuls les 50-64 ans dépassent. Les ménages ne semblent pas désépargner une fois à la retraite. De plus, de nombreux actifs à l’approche de la retraite ne disposent pas d’une épargne substantielle et les prestations servies par les régimes publics de retraite sont leur principale source de revenus.
Ses résultats ont été précédemment confirmés aux Pays-Bas[9]. Cette étude montre que la plupart des ménages ne disposent que d’une épargne de précaution limitée. La consommation est entièrement financée par la protection sociale et les revenus générés par les systèmes de retraite obligatoire. S’agissant des ménages dotés d’une épargne substantielle, il existe peu d’éléments indiquant une désaccumulation de patrimoine. Ce type de comportement des ménages aisés semble être dicté par le motif de transmission.
David Miles suggère que le taux d’épargne élevé rapporté dans ces micro-études pourrait être en partie lié à son mode de calcul[10]. Normalement, le taux d’épargne est calculé en rapportant l’épargne au revenu.
Supposons qu’un retraité possède deux sources de revenus, un revenu de pension, soit une annuité constante à un niveau P et un revenu provenant d’autres sources Yt.
Dans l’hypothèse de la consommation d’une partie du revenu, l’on peut écrire l’équation suivante :
Dans ce cas, le taux d’épargne est égal à 1 - a.
Le montant de l’annuité versée est calculé au moyen d’une table de mortalité sur la base de l’épuisement total des actifs au moment du décès de la personne concernée. Le véritable taux d’épargne de Miles tient compte de la diminution (notionnelle) des actifs de la personne jusqu’à sa mort. Prenons des valeurs plausibles (a = 0,85, taux d’intérêt r = 0,04) et supposons que la personne a une espérance de vie d’à peine dix ans ; le taux d’épargne classique est alors de 0,15. Cependant, lorsque l’on suppose l’épuisement complet des actifs au décès de la personne, le taux d’épargne corrigé est de -28 %. Plus une personne se rapproche de la date de son décès, plus la désaccumulation patrimoniale est élevée et le taux d’épargne, faible. Cinq ans avant son décès, le taux d’épargne corrigé s’établit à -44 %.
Miles étudie la question du point de vue des actifs dans le cadre des retraites par capitalisation. Dans la plupart des pays européens, le financement des régimes de retraite repose sur le principe de la répartition.[11] L’analyse ne change pas fondamentalement pour autant. La valeur des actifs de retraite dans un régime par capitalisation peut être considérée comme correspondante à la valeur actualisée du flux de revenus, généré par les actifs et les contributions à venir. Il est évident que cette valeur varie en fonction des anticipations de taux d’intérêt, des indices boursiers, etc. Les pensions publiques servies par un système par répartition peuvent, de la même façon, être considérées comme la valeur actualisée des prestations de retraite. La valeur actualisée des pensions servies par un système par répartition varie également, quoique moins que dans un régime par capitalisation. Cependant, dans la mesure où un système par répartition est financé par l’endettement, l’effet des fluctuations des taux d’intérêts est éliminé : quand les taux diminuent, la valeur actuelle nette (VAN) des prestations augmente, mais les coûts d’emprunt diminuent, permettant au secteur public de faire face à l’augmentation de la VAN. Selon les règles d’indexation, l’évolution des salaires et des prix pourrait, par ailleurs, jouer un rôle. La possibilité d’une modification des règles par le gouvernement, en particulier pour des raisons budgétaires, constitue, enfin, une incertitude majeure[12].
Travailler plus longtemps ou épargner davantage
Les micro-données constituent une mine considérable d’informations pour l’étude de l’épargne et du patrimoine des groupes d’âge. Cependant, comme elles ne sont disponibles que pour des périodes relativement courtes, elles sont d’un usage limité dans l’analyse des conséquences macroéconomiques du vieillissement de la population. Dans ce cas, les modèles à générations imbriquées, introduits pour la première fois par Auerbach et Kotlikoff, constituent une alternative plus prometteuse pour l’analyse des politiques[13]. Ils permettent en effet, en retenant des valeurs plausibles pour les paramètres, d’analyser les canaux de transmission des politiques portant sur le vieillissement de la population et de tester la robustesse des résultats.
Oliveira Martin et al. utilisent des modèles simples à générations imbriquées pour quelques pays de l’OCDE, dont l’Allemagne et la France[14]. Le scénario de base prend pour hypothèse l’absence de réforme. Pour maintenir le système des retraites à l’équilibre, les cotisations de retraite doivent être augmentées. En France, le taux de remplacement reste fixé à 64 % et le taux de cotisation est multiplié par deux aux environs de 40 % à l’horizon 2050[15].
Le scénario de base sert de référence pour les deux scénarios de réforme alternatifs. Dans le premier scénario de réforme, l’âge de départ à la retraite augmente progressivement, plus ou moins en ligne avec l’allongement de la longévité. Les taux de remplacement restent les mêmes et les taux de cotisation sont adaptés de manière à maintenir les régimes de retraite à l’équilibre. Dans ce scénario, le taux de cotisation doit continuer à progresser, mais dans une moindre mesure. En France, le taux de cotisation est appelé à augmenter d’environ 6 points, à 28 % du revenu imposable. En pourcentage, cela représente une augmentation considérable. En Allemagne, les taux de cotisation se maintiennent autour du même niveau, reflétant un régime de retraite moins généreux. En raison du relèvement de l’âge de départ à la retraite, le taux d’activité croît, entraînant une baisse du ratio capital-travail.
Dans le deuxième scénario de réforme, les taux de cotisation sont gelés et les taux de remplacement diminuent progressivement pour les nouveaux retraités. En France comme en Allemagne, le taux de remplacement reculerait de plus de 20 points sur le long terme par rapport au scénario de base, aux environs de 37 % et de 30 %, respectivement. Dans un souci de prévoyance, les actifs accroissent leur épargne pour maintenir leur niveau de consommation à l’âge de la retraite. Résultat, les taux d’intérêt à long terme continuent de baisser.
En termes de PIB, le scénario de base, qui est celui de l’absence de réforme, est le pire de tous. En raison de l’augmentation des taux de cotisation, en particulier en France, en Allemagne et au Japon, les actifs de ces pays privilégient les loisirs au travail. Conséquence, le PIB par habitant diminue dans ces pays par rapport à celui observé aux États-Unis. Les deux scénarios de réforme montrent que les politiques visant à relever l’âge de départ à la retraite ou à améliorer l’épargne-retraite réussissent mieux à atténuer l’impact du vieillissement sur la croissance. Dans ce dernier cas, cela peut être attribué à l'impact positif de la baisse des taux d'intérêt à long terme sur la croissance.
De quel budget avons-nous besoin une fois à la retraite ?
Quels sont nos besoins une fois à la retraite ? C’est là une question centrale. S’agissant des États-Unis, les estimations du taux de remplacement varient entre 65 % et 85 %. Une étude récente de Ghilarducci, Papadopoulos et Webb prend pour hypothèse un taux de remplacement cible de 85 % pour un revenu d’activité inférieur à USD 40 000, de 75 % pour un revenu d’activité compris entre USD 40 000 et USD 115 000, et de 65 % pour un revenu d’activité supérieur à USD 115 000. [16]
Le système de protection sociale américain assure un taux de remplacement d’environ 43 % lorsque le revenu d’activité est inférieur à la médiane ; autrement dit, les actifs se situant dans cette tranche de revenus doivent générer à partir de leur épargne-retraite un complément de 42 % pour arriver au taux de cible de 85% mentionné dans Ghilarducci et al. Pour ceux sans plan de retraite (50 % d’entre eux environ), le risque de basculer dans la pauvreté est élevé. Même pour ceux qui en ont souscrit un, ce dernier ne remplace que 14 % du revenu d’activité uniquement dans le cas des régimes de retraite à cotisations déterminées et 24 % dans celui des régimes de retraite à prestations définies. Cela ne suffit pas pour atteindre le taux de remplacement cible de 85 % dans cette catégorie de revenus.
L’hypothèse classique sur laquelle reposent ces études est la volonté de chacun de maintenir un niveau constant de consommation. Dans une étude très intéressante, Scott, Shoven et Slavov questionnent cette hypothèse[17]. Dans une étude antérieure, ces mêmes auteurs soutenaient déjà que le taux de remplacement cible doit être ajusté en réponse à la faiblesse des rendements et de la croissance salariale. Ils soutiennent qu’une chute du taux de rendement des actifs peu risqués implique une érosion notable de l’accumulation de la richesse. L’effet de richesse induit une baisse de la consommation optimale pendant le reste de la carrière comme à la retraite. En supposant que les préférences temporelles personnelles demeurent inchangées, la consommation future devient plus onéreuse relativement à la consommation actuelle. En effet, il faut plus d'actifs financiers aujourd'hui avec un taux sans risque plus faible pour pouvoir financer les dépenses futures. Une telle évolution encouragerait une consommation anticipée, entraînant une baisse de l’épargne. Cette conclusion va à l’encontre de l’argument souvent invoqué selon lequel les actifs devraient épargner davantage pour maintenir leur niveau de vie à la retraite.
Les modèles de cycle de vie font souvent l'hypothèse simplifiée de maintenir la consommation constante à la retraite. Cependant, un tel comportement n’est peut-être pas un choix optimal pour les retraités. Comme le montrent certains chercheurs, la consommation en début de retraite a tendance à dépasser le niveau de consommation durable pour baisser ensuite rapidement. Le faible niveau des taux d’intérêt (réels) est un facteur important pouvant expliquer ce comportement. Il implique, en effet, que la rémunération de la patience par le marché, c’est-à-dire le taux d’intérêt réel, est nulle, voire négative. Comme presque tout le monde préfère consommer aujourd’hui plutôt que demain, la consommation va suivre une courbe descendante au fil du temps.
Il existe aussi un deuxième facteur : le risque de mortalité et de graves problèmes de santé. De nombreux modèles de cycle de vie ne tiennent pas compte de ces risques et supposent que les agents procèdent à une diminution de leur patrimoine jusqu’à la fin de leur vie. En réalité, les risques de mortalité et de problèmes de santé augmentent avec l’âge. La fin de vie étant incertaine et certains types de consommation, comme les vacances, pourraient être limités à l'avenir pour des raisons médicales, les retraités pourraient être tentés d’avancer leur consommation dans le temps, accentuant ainsi la pente négative de leur consommation.
La rente viagère et le prêt hypothécaire inversé offrent des solutions possibles pour parer au risque de décès avant épuisement des actifs financiers. Cependant, la souscription à une rente viagère est très coûteuse pour des raisons d’antisélection. Dans le calcul du prix de la rente, l'assureur, qui prend le risque de longévité, considère que les acheteurs sont en relativement bonne santé et que leur espérance de vie moyenne est supérieure à la moyenne de leur tranche d'âge. De plus, le versement de l’annuité, un montant constant jusqu’au décès du titulaire, ne correspond pas nécessairement au modèle de consommation optimale d’un retraité. Plus la personne vieillit, plus la consommation personnelle peut être limitée par des problèmes de santé, tandis que les frais médicaux sont en général couverts par l’assurance.
Enfin, la faiblesse de l’épargne-retraite peut être imputée à la générosité du système de protection sociale. Hubbard et al. estiment qu’en cas d’incertitude, les programmes d’aide sociale soumis à des conditions de ressources et fondés sur les actifs ont un effet modérateur sur l’épargne, et ce, pour deux raisons distinctes[18]. Tout d’abord, en levant l’incertitude face à des événements indésirables comme le paiement d’importants frais médicaux, les programmes sociaux diminuent la nécessité, pour les ménages, d’accroître l’épargne de précaution. Ensuite, les ménages dont les ressources sont suffisantes ne sont pas éligibles à ces programmes et, en cas d'événement adverse, doivent payer eux-mêmes le coût de ces dépenses. Cela peut être perçu comme une taxe lourde sur leur richesse.
Préparer sa retraite
Il est intéressant de se demander dans quelle mesure la population active est préparée aux changements en cours et à ceux qui le seront ultérieurement. Combien de jeunes qui entrent aujourd’hui dans la vie active sont conscients du fait que leur pension pourrait être moins généreuse que celle des générations précédentes ?
Selon l’enquête AVIVA 2016 sur les attitudes des consommateurs, menée dans plusieurs pays européens, la moitié des actifs sont inquiets à l’idée d’avoir des revenus insuffisants une fois à la retraite. Cependant, seul un tiers d’entre eux prend des mesures pour y remédier. Parmi les stratégies citées figurent l’épargne régulière et le recours à des régimes de retraite privés, ces derniers étant en particulier privilégiés en Irlande et au Royaume-Uni. De plus, nombre de personnes interrogées – environ 30 % en Italie, en France et en Espagne – envisagent d’utiliser leur résidence comme source de revenus à la retraite, bien que ce type de bien soit moins liquide. Par ailleurs, un nombre croissant de personnes âgées travaillent au-delà de l’âge légal de départ à la retraite. Plus de la moitié des personnes interrogées dans l’enquête AVIVA déclarent avoir continué à travailler, car elles avaient besoin d’un complément de revenu. Résultat, après avoir baissé pendant plusieurs décennies, l’âge de départ effectif à la retraite est reparti à la hausse dans les pays de l’OCDE (graphique 5).
Plusieurs études indiquent que l’information et la formation financière pourraient contribuer à une nette augmentation de l’épargne-retraite. Ainsi, en Allemagne, l’administration des régimes publics de retraite envoie chaque année, depuis 2005, un courrier aux personnes de plus de 27 ans pour les informer de leurs prestations de pension prévisionnelles. Un groupe de chercheurs a étudié la réaction des salariés à la réception de ce courrier en analysant, en particulier, l’évolution des comportements d’épargne entre 26 et 27 ans[19]. Après avoir reçu ce courrier, les salariés de plus 27 ans ont davantage épargné.
L’augmentation totale ne se matérialise pas immédiatement, car ces jeunes actifs doivent au préalable recueillir des informations sur le meilleur moyen d’accroître leur épargne. En outre, les chercheurs n’ont pas mis en évidence le fait que l’augmentation de l’épargne-retraite privée exerçait un effet d’éviction sur les autres formes d’épargne.
Aux États-Unis, la recherche confirme qu’une meilleure information sur le revenu perçu à la retraite est un bon moyen de doper l’épargne-retraite. Esther Duflo et Emmanuel Saez ont, à ce sujet, réalisé une expérience dans une grande université[20]. Cette université propose un plan d’épargne retraite complémentaire à impôt différé (Tax Deferred Account plan ou TDA). Pour encourager la participation de ses employés, l’établissement organise un salon annuel. Il est évident que les personnes qui s’y rendent sont également celles qui sont le plus susceptibles de souscrire à un tel régime ou de modifier leurs choix de prestation. E. Duflo et E. Saez ont sélectionné un échantillon aléatoire d’employés n’ayant pas encore adhéré au plan TDA et leur ont envoyé une lettre d’invitation promettant une récompense d’USD 20 à tous ceux qui se rendraient au salon. Il s’est avéré que ces personnes ont été trois fois plus nombreuses à y participer que celles du groupe témoin. De plus, les personnes du groupe témoin qui travaillaient dans les mêmes départements que celles ayant reçu la lettre d’invitation ont été deux fois plus nombreuses à assister au salon que celles d’autres départements, alors même qu’elles n’avaient pas reçu la récompense de USD 20. Cela montre l’importance de l’influence des pairs.
De nombreuses entreprises américaines proposent des plans d’épargne retraite à leurs salariés. Pour y adhérer, il fallait autrefois une inscription en bonne et due forme. Malgré les avantages considérables dont bénéficiaient les adhérents en termes de déductions fiscales, beaucoup n’y adhéraient pas en raison des démarches administratives qui consistaient, en général, à compléter un court formulaire. Devenue aujourd’hui la règle, l’inscription automatique est un vrai succès. Concernant l’un de ces plans étudiés par Madrian et Shea, les taux de participation des actifs nouvellement éligibles sont passés de 49 % à 86 %[21]. Cependant, la plupart des nouveaux adhérents ont opté pour un taux d’épargne modeste, d’environ 3 % de leur revenu, qui n’est pas ensuite ajusté. En conséquence, nombre de salariés perçoivent à la retraite des pensions insuffisantes.
Richard Thaler et Shlomo Benartzi ont conçu un dispositif, appelé Save More Tomorrow (Épargnez davantage demain), qui prévoit un ajustement automatique du taux d’épargne[22]. Dans ce type de plan, les participants s’engagent à l’avance à placer une partie des augmentations futures de salaires sur un compte d’épargne-retraite. Il s’agit d’une application judicieuse de la finance comportementale.
Le programme a largement contribué à augmenter l’épargne-retraite. Grâce à Save More Tomorrow, environ quinze millions d’Américains ont pu considérablement accroître leur taux d’épargne.
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Selon le rapport 2018 de l’Union européenne, les conséquences financières du vieillissement de la population sont supportables. Les dépenses au titre des régimes publics de retraite devraient passer de 11,2 % du PIB, en 2016, à 12 %, à leur point culminant, vers 2040. Cependant, les hypothèses macroéconomiques retenues semblent plutôt optimistes. Les scénarios supposent, en particulier, une croissance de la productivité totale des facteurs d’environ 1 % sur le long terme. En appliquant des hypothèses plus prudentes, le coût du vieillissement de la population pourrait sensiblement augmenter en pourcentage du PIB.
Le scénario européen suppose, en outre, des réformes draconiennes, qui ont déjà été votées, mais qui ne seront probablement pas mises en œuvre dans leur intégralité. En particulier, dans certains pays, l’âge légal de départ à la retraite pourrait être relevé aux environs de 70 ans. Le scénario intègre également une baisse substantielle du niveau relatif de la pension moyenne par rapport au salaire moyen. Dans certains pays, le risque de pauvreté parmi les retraités, c’est-à-dire avec un revenu inférieur de 60 % au revenu disponible équivalent médian national, pourrait sensiblement augmenter en l’absence de mesures supplémentaires.
Quoi qu’il en soit, même si les mesures déjà votées ne peuvent pas être entièrement appliquées, on peut présumer que les prestations des régimes publics de retraite des futurs retraités seront nettement inférieures à celles d’aujourd’hui.
Pour éviter une augmentation importante du risque de pauvreté parmi les retraités, il convient de mieux accompagner cette transition. Tout d’abord, il est important que les seniors soient incités à rester actifs plus longtemps. Les entreprises européennes pourraient, à cet égard, tirer les leçons de l’expérience d’autres pays de l’OCDE, comme le Japon ou les États-Unis. Ensuite, les salariés doivent être encouragés à mieux préparer leur retraite. Les autorités pourraient, en particulier, les informer régulièrement de leurs droits à pension. En Allemagne, les organismes de retraite envoient, chaque année, cette information à tous les salariés de 27 ans. Plus les salariés sont informés tôt, plus ils disposent de temps pour constituer leur épargne-retraite.
Enfin, dans les pays où existent des régimes de retraite personnels, les salariés devraient être incités à s’y affilier. Dans certains pays, les employeurs proposent déjà à leurs salariés un régime de pension par défaut. Si les salariés souhaitent y renoncer, ils doivent en faire la démarche. Cependant, comme les cotisations à ces régimes sont assez faibles, il conviendrait d’inviter les salariés à relever régulièrement leur montant. L’Europe pourrait, à cet égard, s’inspirer utilement du plan de retraite Save More Tomorrow, qui a fait ses preuves aux États-Unis.