Après deux années de déficit, la balance commerciale de l’UE est repassée dans le vert en 2023, soutenue, notamment, par la baisse des prix de l’énergie. L’excédent commercial dans les secteurs traditionnellement porteurs (industries pharmaceutiques, automobile) se maintient à des niveaux historiquement élevés. La montée en gamme de la Chine dans des secteurs à plus haute valeur ajoutée a conduit, au fil des années, à une dégradation du solde commercial de l’UE vis-à-vis de ce pays. Les importations de véhicules automobiles en provenance de Chine ont notamment triplé entre 2019 et 2023.
La balance commerciale de l’Union européenne avec le reste du monde s’est nettement redressée en 2023. Après deux années marquées par une détérioration sans précédent débouchant sur un déficit record de EUR 436,1 mds (2,7% du PIB de l’UE) en 2022, le solde est repassé dans le vert à EUR 37,9 mds en 2023 (cf. graphique 1).
L’UE retrouve ainsi la position excédentaire qui prévalait avant la crise énergétique. L’excédent s’est d’ailleurs accru cet hiver pour atteindre, en cumul sur douze mois, EUR 102,9 mds en février.[1]
Cette amélioration reflète essentiellement les effets conjugués de la baisse des prix de l‘énergie (amélioration des termes de l’échange) et du recul plus important du volume des importations par rapport aux exportations.
Selon les comptes nationaux, le volume des exportations de biens de l’UE a, en effet, reculé de 1,7% en 2023 (moyenne annuelle), contre une chute des importations de 3,6%. Mis à part l’année 2020 (confinement), il faut revenir à la crise financière mondiale de 2008 pour trouver la trace d’une telle baisse des importations sur une année. L’amélioration actuelle du solde commercial européen traduit donc en partie la fragilité de la demande intérieure au sein du Vieux Continent, une fragilité qui a pesé sur la croissance de la région en 2023 (+0,4% seulement).
Néanmoins, des dynamiques plus positives ont influé sur ce résultat. Les efforts de sobriété énergétique, qui se sont traduits par une baisse de la consommation en électricité de 2,7% en 2023 par rapport à 2022[2], ont aussi joué sur la baisse des importations.
Moins d’énergie, moins de déficit
Le passage d’un solde commercial déficitaire en 2022 à un excédent en 2023 a été avant tout alimenté par la résorption du déficit sur le gaz naturel qui a reculé de près de EUR 142 mds en 2023 (cf. graphique 2).
Cette amélioration, bien qu’importante, n’efface qu’une partie de la détérioration subie sur ce poste en 2022 (+EUR 204 mds de déficit supplémentaire). Le gaz naturel constitue encore le deuxième poste de déficit de l’UE avec le reste du monde, après le pétrole brut, dont le déficit s’est réduit également significativement l’an passé (-EUR 57,5 mds). Si l’on y ajoute le charbon, les trois plus grands postes d’amélioration du solde commercial de l’UE en 2023 sont des composantes énergétiques.
En termes d’équilibre bilatéral, cela a permis de renforcer l’excédent commercial de l’UE vis-à-vis des États-Unis et du Royaume-Uni (cf. graphique 3) – deux pays vers lesquels les Européens se sont tournés pour importer du gaz naturel comme substitut aux importations russes – et plus largement, de réduire le déséquilibre commercial avec les principaux pays fournisseurs en hydrocarbures de l’UE (Norvège, Algérie, Arabie saoudite, Azerbaïdjan, Qatar).
D’autres postes, pesant comparativement peu face à l’énergie, ont également tiré le solde commercial vers le haut en 2023. C’est le cas notamment du textile-habillement, les machines et appareils industriels dites à « usage industriel général » [3].
À l’inverse, les produits médicinaux et pharmaceutiques et, dans une moindre mesure, le papier et le bois ont pesé le plus négativement sur la balance commerciale européenne l’an dernier.
L’Allemagne a été, sans surprise, le pays qui a influé le plus sur le rétablissement du solde commercial de l’UE : sur les EUR 474 mds d’amélioration à l‘échelle de l’UE en 2023, près d’un quart (+EUR 115 mds) est imputable à la première économie européenne. Cependant, l’Italie (+EUR 74,5 mds), les Pays-Bas (+EUR 64,5 mds) ainsi que la France (+EUR 52,1 mds) ont aussi largement amélioré leur position avec l’extérieur de l’UE[4].
Hormis les Pays-Bas, qui accusent un déficit structurel du fait principalement d’importations importantes d’hydrocarbures, la France et l‘Italie enregistrent traditionnellement des excédents vis-à-vis du reste du monde hors UE. Ces deux pays se reposent en effet sur la force de leurs industries pharmaceutiques et du luxe, auxquelles il faut rajouter, pour la France, l’aéronautique et les secteurs des spiritueux et des cosmétiques, et pour l’Italie, l’industrie navale. Dans le cas de la France, cet excédent est néanmoins plus que compensé par le déficit intra-EU, et particulièrement envers l’Allemagne.[5]
La succession d’évènements géopolitiques qui a secoué l’Europe au cours des dernières années a favorisé l’ajustement du solde commercial européen. L’effondrement des échanges commerciaux avec la Russie à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine et la réduction drastique, mais pas totale, des importations d’énergies fossiles et de métaux industriels (cuivre, nickel, aluminium et autres), a effacé mécaniquement une grande partie du déficit de l’UE avec le pays, qui avait tout de même atteint près de EUR 148 mds en 2022. Le déficit est retombé à EUR 12 mds en 2023 (cf. graphique 3).
En parallèle, la guerre en Ukraine a engendré un accroissement important des exportations européennes vers le pays, afin de soutenir Kiev dans son effort de guerre, ce qui s’est traduit par une hausse des exportations en armement et munitions, en machines et équipements (télécommunication, véhicules de transport de personnes et de marchandises, engins et appareils aériens) et en produits chimiques (médicaments, engrais). Dans le même temps, les importations d’huiles végétales qui constituaient jusqu’alors le déficit bilatéral le plus important de l’UE avec l’Ukraine, ont fortement reculé.
La Chine est de loin le pays avec lequel l’UE enregistre le déficit commercial le plus important (EUR 280 mds en 2023) et l’un des plus généralisés (7 des 10 grands postes de la classification SITC sont en déficit). La réduction sensible du déficit bilatéral en 2023 reflète une amélioration de la position de l’UE sur les biens et matériaux industriels. Le déséquilibre des échanges entre les deux blocs reste toutefois aujourd’hui bien plus important qu’en 2021, et a fortiori comparé à la période précédant la pandémie mondiale. Depuis l’entrée de la Chine dans l’organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, le déficit bilatéral de l’UE avec le pays a été multiplié par six.
Les débouchés à l’export restent importants
L’excédent commercial de l’UE s’articule autour de deux piliers principaux en 2023 : l’automobile (véhicules et équipementiers) et l’industrie pharmaceutique. Ces deux secteurs représentaient plus du tiers de l’excédent total européen en 2023 (37% exactement).
La position dominante de quelques grandes multinationales européennes dans l’industrie pharmaceutique et la crise sanitaire ont, entre autres, permis jusqu’en 2022 à l’UE de dégager des excédents commerciaux toujours plus importants sur ce segment, même si un tassement s’observe en 2023 (cf. graphique 4).
Jusqu’à présent, l’excédent commercial de l’UE sur l’automobile a eu tendance, paradoxalement, à s’accroître ces dernières années (cf. graphique 4). La hausse soutenue des exportations vers les États-Unis et le Royaume-Uni est venue, pour le moment, compenser la dégradation rapide du solde commercial avec la Chine. L’entrée des constructeurs chinois sur le marché européen est relativement récente, mais la vitesse de pénétration au cours des dernières années est en effet spectaculaire : les importations de véhicules chinois dans l’Union européenne ont triplé en l’espace de quatre ans (+197% entre 2019 et 2023) quand les échanges en sens inverse n’ont progressé que de 0,4% (cf. graphique 5). D’un peu moins de 7% en moyenne 2019, la part des importations européennes de véhicules en provenance de Chine est passée à 20% en 2023.
Certaines tendances de fond, à l’œuvre depuis plus longtemps, témoignent d’un relatif affaiblissement du rapport de force de l’UE vis-à-vis de l’étranger sur certains produits à forte valeur ajoutée ou stratégiques en matière de souveraineté industrielle. Le solde commercial s’est détérioré au fil des années sur plusieurs postes en machines et équipements technologiques (appareils et équipements de télécommunication, [cf. graphique 4], circuits intégrés, ordinateurs[6]).
L’UE a vu aussi son solde se dégrader sur certains métaux industriels de base (acier, aluminium), une distorsion qui trouve en partie sa source dans la surproduction chinoise, et qui fait l’objet aujourd’hui de mesures de protection de plus en plus poussées de la part de l’UE.
Cette détérioration de la position extérieure de l’UE sur certains biens ou certaines industries ne peut être dissociée du processus de désindustrialisation à l’œuvre dans beaucoup de pays de l’Europe de l’Ouest et qui reste aujourd’hui encore difficile à endiguer[7].
Mais à l’heure où les déclarations sur le décrochage des économies européennes face aux concurrents chinois et américains se multiplient, il ne faut pas non plus perdre de vue que l’UE conserve des avantages comparatifs importants dans un certain nombre de secteurs porteurs à haute valeur ajoutée et générateurs d’emplois (outre l’industrie pharmaceutique, on peut citer l’aéronautique ou encore l’industrie chimique). Les évolutions du solde commercial permettent d’évaluer, sur un temps long et de façon objective, les changements de rapports de force entre les différents blocs économiques. Une analyse plus approfondie de ces changements structurels fera l’objet d’un second article, à paraître prochainement.