La Malaisie a été l’un des pays d’Asie émergente les plus touchés par la crise de la Covid-19. La reprise est en cours même si le reconfinement instauré devrait la ralentir. Cependant, les finances publiques se sont fortement dégradées et le gouvernement ne semble pas engagé sur la voie d’une consolidation budgétaire. Il privilégie la relance économique et le soutien aux ménages les plus fragiles. Le ratio de dette du gouvernement devrait continuer de se dégrader et l’agence de notation Fitch a abaissé la note du souverain en décembre dernier. Les risques de refinancement sont cependant modérés car la structure de la dette reste peu risquée et le marché de la dette locale est important. Par ailleurs, la balance courante reste excédentaire et le secteur bancaire est solide.
Contraction de 5% en 2020
L’économie de la Malaisie a été fortement affectée par l’épidémie de coronavirus. D’un point de vue sanitaire, le pays a été beaucoup moins touché par la Covid-19 que l’Indonésie ou les Philippines, mais davantage que la Thaïlande, la Corée et le Vietnam.
Dès le mois de mars 2020, le gouvernement a imposé d’importantes restrictions aux déplacements des personnes dans tout le pays. Ces restrictions ont été allégées à la mi-mai, puis de nouveau renforcées sur une partie du quatrième trimestre et depuis la mi-janvier face à une hausse du nombre de cas.
Hormis la baisse de la demande intérieure induite par le confinement de la population, l’économie malaise, très intégrée dans le commerce mondial, a été touchée par les perturbations dans les processus des chaines de valeurs mondiales, l’effondrement des recettes touristiques, et la baisse des prix des matières premières. Ses comptes extérieurs sont toutefois restés solides : fin 2020 les réserves de change et le ringgit étaient proches des niveaux de fin 2019 et la balance courante devait enregistrer un excédent.
Sur les trois premiers trimestres de l’année 2020, la croissance s’est contractée de 6,4% par rapport à la même période en 2019. L’activité a fortement rebondi entre juin et septembre, en particulier grâce à une reprise des exportations, pour ralentir à nouveau en octobre et novembre conjointement à un durcissement des règles de déplacements. En novembre, la production industrielle était inférieure de 2% par rapport à la fin 2019. Sur l’ensemble de 2020, la croissance devrait afficher un recul de 5% par rapport à 2019.
Les perspectives de croissance pour 2021 sont bien orientées, même si le reconfinement instauré va ralentir la reprise alors même que la vaccination ne commencera pas avant février 2021. Hormis un effet de base favorable, la reprise de l’activité domestique sera soutenue par une politique budgétaire expansionniste en faveur des ménages les plus fragiles et par une hausse des investissements publics. L’activité à l’exportation devrait rester dynamique, favorisée par le rebond du commerce mondial et du marché de l’électronique.
À moyen terme, si le gouvernement veut atteindre son objectif de devenir un pays à hauts revenus d’ici 2023, il lui faudra impérativement poursuivre ses réformes structurelles afin de relever le niveau de croissance de la productivité, en baisse depuis de nombreuses années. Pour ce faire, il devra augmenter le niveau de formation et d’éducation des travailleurs et améliorer l’environnement des affaires afin de le rendre plus propice aux investissements privés, domestiques et étrangers, en baisse depuis 2018. Néanmoins, le gouvernement ne dispose que d’une fragile majorité au parlement ce qui n’est pas favorable à l’adoption de réformes. De plus, de nouvelles élections devraient avoir lieu dès que la situation sanitaire le permettra.
Dégradation des finances publiques : quels risques ?
Les finances publiques ont commencé à se dégrader avant la crise de la Covid-19. Dès 2018, les recettes du gouvernement (hors dividendes exceptionnels) ont baissé (avec la suppression de la taxe sur les biens et services par le gouvernement nouvellement élu) et la dépendance du gouvernement aux recettes pétrolières a augmenté sensiblement. En 2019, 39% des recettes provenaient du pétrole. Par ailleurs, la stratégie budgétaire du nouveau gouvernement est devenue beaucoup plus expansionniste. Alors que sur la période 2013-2017 les dépenses avaient baissé de 5,3 points de PIB, elles ont augmenté de 1,6 point de PIB au cours des deux années qui ont suivi, pour atteindre 20,9% du PIB. Cette hausse reflète principalement l’augmentation des dépenses sociales.
Sur les onze premiers mois de l’année 2020, les recettes du gouvernement se sont contractées de 21,6% conjointement à la baisse de l’activité économique et à la contraction des recettes pétrolières. Les dépenses ont été réduites de 10,1% grâce à des coupes dans les dépenses d’investissement au profit des dépenses sociales. L’essentiel du plan de soutien aux ménages et aux PME a été supporté par la banque centrale. Fin novembre 2020, le déficit budgétaire affichait une hausse de plus de 65,6% par rapport à la même époque l’année dernière. Sur l’ensemble de l’année il pourrait ainsi atteindre près de 7% du PIB (contre 3,4% du PIB en 2019).
Dans le même temps, la dette du gouvernement fédéral rapportée au PIB devrait augmenter de près de 9 points de pourcentage et excéder 61%. En intégrant l’ensemble des garanties couvertes par le gouvernement ainsi que la dette liée à 1MDB, la dette publique s’élèverait ainsi à près de 88% du PIB fin 2020 (contre 77,4% du PIB en 2019).
Le gouvernement ne semble pas décidé à consolider significativement sa situation budgétaire en 2021. La reprise de l’activité et le soutien aux plus défavorisés restent ses priorités. Ainsi, dans le budget 2021 voté par le parlement en décembre dernier, le gouvernement a comme objectif de réduire le déficit budgétaire de seulement 0,6 point de pourcentage à 5,4% du PIB (contre 6% du PIB dans son budget révisé pour l’année 2020). Ses dépenses devraient rester élevées (20,5% du PIB) et les recettes budgétaires – toujours fortement dépendantes du pétrole – ne devraient pas excéder 15,1% du PIB, en dépit d’une croissance prévue entre 6,5% et 7,5%. Même à l’horizon 2022-2023, le gouvernement ne prévoit pas de réduire le déficit budgétaire au niveau qui prévalait avant la crise de la Covid-19. Il serait de l’ordre de 4,5% du PIB.
Ces projections paraissent peu conciliables avec l’objectif de réduire la dette fédérale sous le seuil de 55% du PIB d’ici 2023. Le ratio de la dette fédérale rapportée au PIB pourrait en effet excéder 65% du PIB d’ici 2023. Bien qu’en hausse, comme l’illustre la dégradation de la note souveraine par Fitch à BBB-, les risques de refinancement restent modérés.
En 2019, la charge d’intérêts sur la dette du gouvernement ne représentait que 12,5% des recettes du gouvernement et bien qu’en hausse, elle devrait rester contenue à 15,1% en 2021 selon le gouvernement. Le coût de financement reste faible. En décembre 2020, le taux à dix ans sur les obligations d’État était de seulement 2,7% (contre 3,3% un an plus tôt). Par ailleurs, la dette du gouvernement est libellée à près de 97% en monnaie locale et reste principalement détenue par les résidents (les étrangers détenaient 21,8% de la dette au T3 2020). La Malaisie possède un avantage important par rapport à d’autres pays, comme l’Indonésie : ses marchés financiers sont très développés et permettent au gouvernement d’émettre facilement de la dette domestique.
Un secteur bancaire et financier suffisamment solide
Le secteur bancaire et financier est solide. Il est en mesure de faire face à la dégradation de la situation financière des agents économiques, du retournement du marché immobilier et de la hausse des risques de crédit provoquées par la crise de la Covid-19. Pourtant, les entreprises, déjà fortement endettées, ont été touchées de plein fouet par la crise de la Covid-19 alors qu’elles avaient été préalablement fragilisées par le ralentissement économique de 2019. Au T2 2020, leur dette s’élevait à 108,1% du PIB. Néanmoins, leurs profits, bien qu’en baisse, couvraient encore 3,7 fois leurs charges d’intérêts mi-2020 (contre 4,8 fois fin 2019).
La situation des ménages s’est elle aussi dégradée. Leur dette a atteint 87,5% du PIB au T2 2020 mais elle est largement compensée par leurs actifs financiers dont la valeur s’élevait toujours à 190% du PIB au T2 2020. Leurs actifs liquides couvraient toujours 1,4 fois leur dette mi-2020.
Comme dans de nombreux autres pays émergents, les ménages et les entreprises ont bénéficié d’un moratoire sur le remboursement de leurs prêts, pour une durée de six mois (d’avril à septembre 2020). De plus, les ménages les plus fragiles et les PME ont pu demander un réaménagement de leur dette fin septembre, pour une durée de six mois. Pour faire face à la hausse attendue des risques de crédit, les banques ont fortement augmenté leurs provisions, pesant sur leur profitabilité. Leurs ROA et ROE, bien qu’en baisse, atteignaient toujours 1,2% et 10,1% au T3 2020. Selon la banque centrale, 60% des défauts de paiement des ménages auront lieu au deuxième semestre 2021 et le ratio de créances douteuses pourrait s’élever à 4,1% fin 2021 contre 1,4% au T3 2020. Fin octobre, les banques disposaient de suffisamment de capitaux pour y faire face. Leur ratio de solvabilité s’élevait à 18,4%. Par ailleurs, leur liquidité restait abondante (leur ratio de liquidité s’élevait à 153% fin octobre).