Eco Emerging

Des réformes structurelles à défaut d’un soutien budgétaire

17/01/2021

L’activité économique a fortement rebondi depuis le mois de juillet, tirée par une reprise dans l’industrie qui s’est étendue aux services à partir du mois d’octobre. Même si la reprise semble encore fragile, la banque centrale a révisé à la hausse ses prévisions de croissance pour l’année budgétaire 2020/2021 à -7,5%. L’année 2021/2022 devrait être marquée par un important rebond mécanique de l’activité. À défaut de pouvoir soutenir la reprise par un programme de relance budgétaire, le gouvernement s’attelle à créer un environnement favorable aux investissements afin que la croissance à moyen terme renoue avec des rythmes proches de 7%. Les dernières réformes vont dans ce sens. Cependant, leur adoption ne garantit pas leur application et encore moins leur succès.

Rebond fragile

PRÉVISIONS

Au deuxième trimestre de l’exercice budgétaire 2020/2021 qui s’achèvera le 31 mars 2021 (juillet-septembre 2020), la croissance économique indienne a reculé de « seulement » 7,5% en glissement annuel (g.a.) après avoir enregistré une contraction de 23,9% au trimestre précédent.

Elle a accéléré dans l’agriculture (+1,4% en g.a.) et, dans une moindre mesure, dans l’industrie (+0,6% en g.a.) alors qu’elle a continué de se contracter dans les services (-11,4% en g.a.). Fin septembre, l’activité restait toujours inférieure de 9% à ce qui prévalait sur l’ensemble de l’année 2019/2020.

PRODUCTION INDUSTRIELLE

Au début du troisième trimestre budgétaire, la reprise d’activité s’est poursuivie et étendue aux services. Au mois d’octobre, l’activité a sensiblement accéléré dans l’industrie, même si, la production industrielle en novembre était encore inférieure de 6% par rapport à son niveau de la fin 2019. Par ailleurs, la demande d’électricité est repassée au-dessus des niveaux qui prévalaient en 2019. Le taux de chômage a poursuivi sa décrue (6,5% alors qu’il avait atteint un point haut de 23,5% en avril). Finalement, les recettes de TVA ont augmenté de près de 15% par rapport à la même époque l’année dernière après plusieurs mois de baisse.

Les indicateurs du mois de novembre laissent toutefois penser que la reprise reste fragile, tant du côté des ménages que des entreprises, même si l’Inde n’a, pour l’instant, pas été touchée par une deuxième vague de Covid-19. En effet, si les indices de confiance des entrepreneurs dans l’industrie comme dans les services sont restés au-dessus du seuil de 50 (ce qui indique une accélération de l’activité), ils ont légèrement diminué dans les services. Par ailleurs, le crédit bancaire dans l’industrie s’est contracté pour le deuxième mois consécutif (-0,7% en g.a.).

Du côté des ménages, l’indice de confiance a légèrement rebondi en novembre mais reste très inférieur au niveau d’avant-crise. Le taux de chômage est désormais proche des niveaux qui prévalaient fin 2019 mais le taux de participation sur le marché du travail reste inférieur de 2 points de pourcentage au niveau d’avant-crise. Par ailleurs, l’emploi dans la construction, l’hôtellerie, la restauration, le tourisme et le textile reste en berne. Finalement, il semble y avoir une dichotomie entre la consommation des ménages urbains et celle des ménages ruraux. Les ventes de véhicules à moteur (automobiles et deux-roues) ont affiché un recul en novembre après deux mois de hausse. En revanche, la consommation des ménages dans les zones rurales semble robuste, comme l’illustre la forte hausse des ventes de tracteurs, portée par une bonne mousson et la hausse des salaires ruraux (comprise entre 8 et 10%) dans le cadre du Mahatma Gandhi National Rural Employment Generation Act.

Sur l’ensemble de l’année 2020/2021, le FMI et la Banque mondiale prévoient une contraction du PIB de l’ordre de 10% et la Banque mondiale redoute une forte hausse de la pauvreté car 90% des travailleurs ne bénéficient pas d’une protection sociale suffisante.

L’année budgétaire 2021/2022 devrait enregistrer un important rebond (mécanique) de la croissance. La consommation des ménages devrait accélérer, favorisée par un reflux de l’épidémie et une vaccination de la population qui devrait débuter mi-janvier. De même, l’activité devrait progressivement rebondir dans les petites et moyennes entreprises. Même si les risques d’une nouvelle vague ne sont pas à exclure, il apparaît peu probable que le gouvernement mette en place un confinement aussi strict qu’en mars-avril 2020.

Mesures pour stimuler la croissance à moyen terme

L’économie devrait pouvoir absorber le choc de 2020/2021. Le secteur bancaire et financier, bien que fragile, pourra supporter la hausse attendue des créances douteuses, même si cela nécessite une nouvelle injection de capitaux par le gouvernement. Par ailleurs, malgré l’augmentation du déficit budgétaire, les risques de refinancement restent encore modérés. En revanche, au-delà de 2021, la situation pourrait se dégrader si le rythme de croissance se trouvait contraint à ne pas dépasser les 5% alors que les marges budgétaires seront encore plus faibles.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Narendra Modi s’est attaqué dès 2019 au ralentissement de la croissance. Son objectif de devenir une puissance industrielle est toujours d’actualité. Aussi, à défaut de pouvoir mettre en place un programme budgétaire de soutien à la croissance à court terme, le gouvernement, a adopté de nouvelles réformes pour stimuler sa croissance à moyen terme.

Les réformes adoptées en 2019 et poursuivies à l’automne 2020 ont pour objectif de créer un environnement plus favorable aux investissements privés (domestiques et étrangers) et à l’emploi, en particulier dans le secteur formel. La baisse de l’investissement est un des facteurs à l’origine du ralentissement de la croissance enregistré ces dernières années. Le taux d’investissement était de seulement 26,9% avant la crise de la Covid-19 en comparaison à 35,8% en 2008.

Pour stimuler les investissements (domestiques et étrangers), le gouvernement a abaissé fin 2019 le taux de la taxe sur les entreprises de 30% à 22% (de 25% à 15% pour les entreprises nouvellement créées dans le secteur manufacturier). Cet alignement des taux d’imposition sur les sociétés avec ceux pratiqués dans les autres pays asiatiques est positif.

Par ailleurs, le gouvernement a adopté d’importantes lois pour alléger les contraintes qui pèsent sur le marché du travail et ainsi favoriser les créations d’emplois réguliers. Les entreprises pourraient ainsi développer une activité plus intensive en main d’œuvre, à l’image de ce que la Chine a fait dans les années 80-90, et accroître sa participation au commerce mondial dans les activités d’assemblage intensives en main d’œuvre peu qualifiée.

Pour accroître la productivité dans le secteur agricole, le gouvernement Modi a fait adopter trois projets de loi en septembre 2020. L’État devrait permettre aux agriculteurs de vendre leur production au prix que ces derniers fixeront avec leurs acheteurs sans passer par l’intermédiaire du gouvernement (ce qui est le cas d’une majorité d’entre eux aujourd’hui). Cette réforme a comme objectif d’accroître les investissements et la productivité dans le secteur agricole. Néanmoins, elle a été très mal perçue par le monde agricole qui redoute une suppression du prix de vente minimum (pourtant garanti par le gouvernement). Ainsi, après plusieurs mois de manifestations, la cour suprême a annoncé le 12 janvier dernier la suspension de ces trois projets de loi afin de trouver un compromis entre le gouvernement et les agriculteurs. Enfin, le gouvernement a annoncé qu’il souhaitait privatiser toutes les entreprises publiques des secteurs considérés comme non-stratégiques, ce qui inclut le transport ferroviaire et les entreprises de distribution d’électricité.

Si l’ensemble de ces réformes était mis en œuvre, cela pourrait avoir un effet positif sur la croissance de moyen terme. Mais l’adoption des réformes en Inde reste problématique comme l’illustrent les résultats en demi-teinte de la mise en œuvre de la TVA unique depuis 2017.

Secteur bancaire : le soutien à la reprise pourrait être difficile

Après plusieurs années de consolidation, le secteur bancaire indien semble plus apte à faire face à la crise qu’il y a trois ans. En revanche, il pourrait ne pas être assez solide pour soutenir la reprise. Entre mars et fin août 2020 les banques ont accordé six mois de moratoire sur les remboursements de dette. Aucune créance n’a été enregistrée en tant que prêt non performant.

CRÉANCES DOUTEUSES ENCORE CONTENUES

Ainsi, au T3 2020, en dépit de la contraction de l’activité économique, le ratio de prêts non performants a poursuivi sa baisse à 7,5% par rapport à un point haut de 11,5% au T1 2018. L’impact de la crise de la Covid-19 sur le secteur bancaire ne commencera à se faire sentir qu’à partir du T4 2020. L’agence de notation S&P estimait, en novembre dernier, que le ratio de créances douteuses pourrait augmenter de 2 voire 3 points de pourcentage à 10-11% d’ici la fin de l’année budgétaire 2020/2021. Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, la banque centrale a estimé, pour sa part, que ce ratio pourrait atteindre 13,5% d’ici septembre 2021 (16,2% au sein des banques publiques), même dans un scénario de rebond marqué de la croissance (de 0% en g.a. au deuxième semestre budgétaire 2020/2021 à 14,2% en g.a au premier semestre 2021/2022).

Les banques indiennes sont mieux capitalisées qu’il y a trois ans. Au T3 2020, les provisions couvraient 72,4% des créances douteuses et le ratio de solvabilité dans l’ensemble du secteur bancaire s’élevait à 15,8%. Les banques publiques restent néanmoins beaucoup plus fragiles que les banques privées (leur ratio était de 13,5%). Selon la banque centrale, sans injection de capital, quatre d’entre elles ne seraient pas en mesure de satisfaire les exigences réglementaires en matière de fonds propres d’ici septembre 2021.

En effet, la banque centrale considère que le ratio de solvabilité pourrait globalement diminuer de 1,6 point de pourcentage à 14% d’ici septembre 2021. Moody’s estimait par ailleurs fin août 2020 que les banques publiques auraient besoin de nouvelles injections de capital, comprises entre INR 1,9 trillion et INR 2,2 trillions (1% du PIB FY2020) au cours des deux prochaines années, afin de maintenir un ratio de provisionnement proche de 70% et de respecter les exigences réglementaires en matière de fonds propres.

Leur situation financière étant plus confortables qu’il y a quelques années, les grandes banques publiques ont déjà lancé des opérations d’augmentation de capital. Elles pourront par ailleurs toujours bénéficier du soutien du gouvernement, lequel a déjà injecté INR 2,8 trillions entre 2016/2017 et 2019/2020. Certaines d’entre elles pourraient néanmoins être beaucoup moins enclines à accroître leur offre de crédit tant que leur position financière ne sera pas consolidée, comme cela fut le cas en 2017 et 2018.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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