L’épidémie de Covid-19 a été bien contenue l’an dernier et le confinement rapidement allégé. L’activité productive a vite redémarré à partir de mai, particulièrement soutenue par le solide rebond des exportations. D’ampleur modeste, le plan de soutien budgétaire a surtout reposé sur la mise en œuvre accélérée de projets d’investissement déjà planifiés. Au final, la croissance et les déséquilibres macroéconomiques n’ont été que modérément et temporairement dégradés en 2020. Il demeure néanmoins un maillon faible, lié à la vulnérabilité des banques, insuffisamment capitalisées, et à l’excès de dette des entreprises, notamment publiques. Certaines institutions pourraient s’avérer très fragilisées lorsque les mesures d’aide des autorités monétaires prendront fin en 2021.
Crise sanitaire contenue
Le Vietnam a affiché une croissance économique de 2,9% en 2020, soit l’une des plus fortes performances dans le monde. L’épidémie de Covid-19 a été particulièrement bien contenue grâce à un suivi très strict des malades.
Des mesures de confinement ont été mises en place graduellement dès fin janvier jusqu’à l’instauration d’un confinement très strict en avril, d’une durée de trois semaines seulement). Ces restrictions ont été levées progressivement à partir de fin avril, avec des réajustements dans certaines provinces en fonction de l’évolution de la situation sanitaire.
En conséquence, après un ralentissement à 0,4% en glissement annuel (g.a.) au T2, la croissance du PIB réel a pu rebondir à 2,7% au T3 et 4,5% au T4, et les indicateurs de mobilité sont revenus à des niveaux proches de la normale. Les voyages touristiques internationaux restent néanmoins interdits.
À mi-janvier, le Vietnam ne comptait officiellement que 1 515 cas d’infections et 35 décès pour une population de 98 millions d’habitants. Alors qu’une phase d’essais d’un vaccin local sur la population a débuté le mois dernier, une première livraison de vaccins européens vient d’être annoncée.
Les exportations, solide moteur d’activité
Le choc de la Covid-19 a frappé une économie très dynamique, dont la croissance approchait 7% par an en moyenne au cours de la période 2015-2019 et s’établissait encore à 7% en g.a. au T4 2019.
Ce dynamisme a été largement porté par celui du secteur manufacturier exportateur, qui a attiré d’importants investissements directs étrangers (IDE) et est progressivement monté en gamme. Les exportations de marchandises représentaient 80% du PIB nominal en 2019, contre 64% en 2014.
Elles sont dorénavant essentiellement constituées de téléphones, ordinateurs et autres biens électroniques1, dont la demande mondiale a fortement augmenté pendant la crise sanitaire. Les exportations ont, de fait, été un solide moteur du rebond de la croissance après le choc du S1 2020 (graphique 1).
Après une contraction de 7% en g.a. au T2, elles ont rebondi rapidement et affiché une hausse de 6,5% sur l’ensemble de 2020 (contre 8,4% en 2019). Le Vietnam a encore renforcé ses parts de marché, et représentait 1,6% des exportations mondiales sur les neuf premiers mois de 2020 (contre 1,4% en 2019 et 0,8% en 2014). Le secteur exportateur a été en mesure de répondre à l’évolution de la demande en 2020 et a également tiré profit des tensions sino-américaines des trois dernières années, grâce à la substitution de certains produits chinois par des produits vietnamiens et des relocalisations d’usines vers le Vietnam2.
Ces dynamiques devraient se poursuivre en 2021 et 2022, le pays restant bien positionné pour attirer des investisseurs et continuer d’étendre sa base exportatrice. Une ombre au tableau est cependant apparue depuis décembre, lorsque les États-Unis ont qualifié officiellement le Vietnam de « manipulateur de sa devise »3. Cette décision pourrait amener quelques tensions avec les États-Unis, qui absorbent environ un quart des exportations vietnamiennes.
Nous estimons l’excédent courant du Vietnam à 3,2% du PIB en 2020, contre 3,8% en 2019. La hausse de l’excédent commercial a compensé partiellement l’importante détérioration du déficit de la balance des services (chute du tourisme) et la baisse des transferts des travailleurs émigrés. Malgré la diminution des entrées de capitaux étrangers, le Vietnam a continué d’accumuler des réserves de change, qui ont atteint USD 89 mds en septembre, pour enfin couvrir plus de quatre mois d’importations de biens et services. Le dong s’est légèrement apprécié contre le dollar depuis la mi-2020.
Ralentissement modéré de la demande interne
La croissance du secteur manufacturier a atteint 5,8% en 2020 contre 11,3% en 2019, et celle des services s’est établie à 2,3% contre 7,3% en 2019. Alors que les secteurs liés au tourisme (6% du PIB) sont restés sinistrés, les activités de services dépendant de la demande intérieure se sont soit maintenues pendant la période de confinement (information & communications, santé), soit bien redressées depuis mai (commerce en particulier). De fait, après leur contraction pendant le confinement (-27% en g.a. en avril), les volumes de ventes au détail ont rebondi dès la levée des restrictions, pour afficher une baisse inférieure à 1% sur l’ensemble de 2020.
Le marché du travail et les ménages vietnamiens ont été relativement moins affectés par le choc de la Covid-19 que dans les autres pays de la région, étant donné le rebond rapide de l’activité productive dès le T2 2020. Selon la Banque mondiale, seuls 3% de la main d’œuvre auraient perdu leur emploi l’an dernier. Cependant, 33% des ménages auraient subi une perte de revenus (contre par exemple 79% en Indonésie), les inégalités se sont creusées et les aides financières accordées par le gouvernement se sont révélées plus faibles que prévu. En revanche, le ralentissement de l’inflation des prix à la consommation (de 3,7% en g.a. au T4 2019 à 1,4% au T4 2020) a aidé les ménages.
La croissance de la consommation privée a finalement atteint 0,6% en 2020, contre 7,4% en 2019. Elle devrait rebondir vigoureusement dans les mois à venir, sans toutefois retrouver dès 2021 les niveaux affichés avant la crise. Le ralentissement de la croissance de l’investissement a été beaucoup plus modéré (+4,1% en 2020 contre 7,9% en 2019).
D’une part, la perte de vigueur de l’investissement privé a été contenue notamment grâce au maintien de solides perspectives d’exportations. En particulier, les IDE ont mieux résisté au Vietnam que dans le reste de la région. Selon les données de balance des paiements, les entrées d’IDE n’ont baissé que de 4% en g.a. sur les neuf premiers mois de 2020 et avaient déjà retrouvé au T3 leur niveau du T3 2019.
D’autre part, l’investissement public a été renforcé l’an dernier. L’accélération de la mise en œuvre des projets d’investissement (la plupart déjà en cours ou planifiés) a en effet constitué le volet le plus important du plan de soutien budgétaire vietnamien. Alors que les dépenses publiques totales ont augmenté de 8% en g.a. sur les neuf premiers mois de 2020, les dépenses en investissement (un quart du total) ont affiché une hausse de 40%.
Choc temporaire sur les finances publiques
Les finances publiques se sont consolidées au cours des cinq années précédant la crise de la Covid-19, laissant au gouvernement un peu d’espace pour absorber le choc et soutenir l’activité. En effet, grâce à une gestion plus disciplinée des dépenses, à la privatisation partielle de certaines entreprises d’État et à la forte croissance économique, le gouvernement a enregistré une baisse continue de son déficit budgétaire entre 2014 et 2019 (de plus de 5% du PIB à 3,3%) et une réduction de sa dette entre 2016 et 2019 (de 47,6% du PIB à 43,4%, selon les données du FMI).
La crise de l’an dernier ne devrait qu’interrompre temporairement cette tendance favorable. Le plan de soutien budgétaire a été modeste, estimé à environ 3% du PIB, et le déficit ne dépassera pas 6% du PIB en 2020. Il devrait diminuer dès 2021. Le gouvernement a financé ses besoins sans difficulté, sur le marché obligataire local et en utilisant ses réserves. Sa dette reste modérément élevée, estimée à près de 47% du PIB fin 2020, et devrait se stabiliser en 2021.
Un test important pour le secteur bancaire
Il existe un important maillon faible dans l’économie vietnamienne : alors que les banques sont insuffisamment capitalisées et manquent de matelas de protection contre les chocs, les entreprises, en particulier dans le secteur public, sont excessivement endettées (les crédits à l’économie représentaient 145% du PIB en 2020). Certaines de ces institutions pourraient donc être sévèrement fragilisées, constituant alors une menace pour les finances publiques.
Certes, la performance du secteur bancaire s’était améliorée en 2018-2019, notamment grâce au renforcement du cadre réglementaire, un profil de financements plus solide et une meilleure qualité des nouveaux prêts. En outre, depuis le début de la crise sanitaire, l’assouplissement monétaire et règlementaire (baisse des taux d’intérêt, injection de liquidités, allègement des règles macro-prudentielles) et les aides apportées aux banques et à leurs clients (réaménagement des prêts) ont atténué les difficultés (graphique 2).
Cependant, certaines entreprises sont affaiblies et rencontrent des problèmes de trésorerie, notamment dans les secteurs du tourisme et des transports, et les créances douteuses dans les portefeuilles de prêts bancaires ont commencé à augmenter. Leur hausse devrait s’accélérer quand les mesures de soutien prendront fin dans le courant de l’année 2021. Dans ce contexte, certaines petites banques privées en manque de fonds propres et de financements stables pourraient faire face à d’importantes difficultés.