Le scénario d’une reprise partielle et fragile de l’économie russe se confirme sur fond d’expansion de la pandémie. Seule la consommation des ménages a permis à la croissance de repartir mais elle risque de s’essouffler avec l’accélération de l’inflation. Le redémarrage attendu de la production des industries extractives, le redressement des prix du pétrole et l’amélioration des indices de confiance dans le secteur manufacturier permettent d’espérer une assise plus large de la reprise en 2021. Mais les soutiens monétaire et budgétaire resteront limités. Les finances publiques ont plutôt bien résisté et les réserves de change se sont consolidées malgré les sorties de capitaux, le rouble ayant été la variable d’ajustement. D’après la BCRA, les banques disposent de réserves suffisantes pour couvrir la totalité des prêts restructurés.
Expansion de la pandémie fin 2019 et lancement de la campagne de vaccination
Le pays fait face à une poussée de la pandémie de Covid-19 depuis le dernier trimestre 2020. Le nombre de nouveaux cas a été multiplié par 4 entre fin septembre 2020 et début janvier 2021. Jusqu’à présent le décompte officiel fait état de 60 000 décès soit un ratio encore faible de 408 victimes par million d’habitants. Mais les chiffres officiels sous-estimeraient l’ampleur de la pandémie.
La campagne de vaccination a été lancée début décembre avec le Sputnik V, vaccin développé localement, bien que les tests cliniques n’aient pas encore été achevés. La première phase de vaccination cible le personnel médical et des enseignants (après celle des militaires, en cours) et les personnes de plus de 60 ans. Par ailleurs, début janvier, 800 000 personnes ont été vaccinées. Le déploiement de la vaccination, tant en termes de production du vaccin que de couverture de population (140 millions), sera nécessairement long, d’autant plus que les sondages indiquent que près de 60% des Russes se déclarent réticents à la vaccination.
Reprise partielle et fragile
L’économie russe a subi un choc récessif moindre que la plupart des autres pays émergents. Cependant, depuis le deuxième trimestre, l’activité s’est juste stabilisée. En glissement sur un an (g.a.), le PIB affichait toujours une baisse de 4% en moyenne sur octobre-novembre contre -3,4% au T3 2020. Sur la base de ces estimations provisoires, le PIB serait toujours inférieur de 3,5% à son niveau du T1.
En novembre, la production de pétrole (9,3 mds b/j) était encore en recul de 12% par rapport au T1, conséquence des quotas de production de l’OPEP+. La production de gaz est également en repli de 6% par rapport au T1.
Outre les industries extractives, les secteurs de l’hôtellerie et la restauration, des loisirs et du transport ont enregistré des chutes d’activité en volume compris entre 10% et 25% entre janvier et septembre 2020 par rapport à la même période de 2019. En revanche, l’industrie manufacturière et la construction ont mieux résisté. En novembre, l’activité manufacturière progressait même de 1% en g.a.
Cependant, l’analyse des composantes de la demande témoigne de la fragilité de la reprise. En effet, au T3, la consommation privée constituait le seul moteur (+3,7 t/t en données CVS), contrairement à la consommation publique et à l’investissement qui ne s’étaient pas redressés. La contribution des échanges extérieurs nets est même redevenue négative avec la poursuite de la baisse des exportations. De plus, la reprise de la consommation semble s’essouffler. En moyenne sur octobre-novembre, les ventes au détail accusaient encore une baisse de 2,2% en g.a.
La hausse du taux de chômage (6,1% en novembre contre 4,6% au T1) et l’accélération de l’inflation (4,9% en g.a. en décembre contre de 2% au T1) sont des freins puissants. L’envolée des prix des produits alimentaires (+6,7% en g.a. en décembre) a conduit le gouvernement à introduire un contrôle ciblé des prix. L’assouplissement de la politique monétaire jusqu’à l’été et les mesures de subvention des taux de crédit pour les ménages ont surtout permis de relancer le crédit hypothécaire.
Malgré les incitations en faveur de l’investissement dans le logement, l’investissement total est resté déprimé jusqu’au T3, conséquence du climat d’incertitude et de la baisse des exportations. Gazprom a ainsi réduit de 18% ses investissements en 2020.
Les indices PMI indiquent cependant un regain de confiance dans le secteur manufacturier et les exportations hors hydrocarbures (un peu plus de la moitié des exportations totales) ont réaccéléré en septembre-octobre. Si la consommation des ménages résiste, l’investissement pourrait contribuer de nouveau à la croissance, donnant plus d’assise à la reprise. On attend d’ailleurs une amélioration pour les industries extractives avec notamment une hausse programmée, bien que modeste, de la production de pétrole à partir de février-mars (+0,13 mbj soit une hausse de 1,4% par rapport au niveau actuel).
La reprise restera toutefois contrainte par l’absence de nouvelle marge de manœuvre des autorités monétaires en raison des pressions inflationnistes (le taux directeur de la banque centrale (BCR) est resté inchangé à 4,25% depuis juillet) et une politique budgétaire prudente.
Impact limité sur les comptes publics et extérieurs
La dégradation des finances publiques aura été relativement limitée en 2020. Certes, soutien budgétaire oblige, le déficit du budget de l’État central devrait s’élever à 4% du PIB (en cumul sur 12 mois, il n’était que de 3,6% en novembre) alors qu’il affichait un surplus en 2018 et 2019. De plus, le budget a bénéficié d’un transfert de la BCR de 1,1% du PIB. Mais les recettes ont bien résisté.
En conséquence, la dette publique rapportée au PIB restera comprise entre 15% et 20% fin 2020 (elle n’était que de 16% en septembre) malgré la forte dépréciation du rouble (la part de la dette souveraine en devise est encore de 17%). Pour 2021, le gouvernement s’est donné un peu plus de marge de manœuvre en matière de dépenses afin de ne pas freiner la reprise mais, en même temps, les ponctions règlementées sur le fonds souverain (National Wealth Fund) seront limitées (à 1% du PIB), même en cas de rechute des prix du pétrole. Fin octobre, les actifs du NWF étaient valorisés à USD 177 mds (11,5% du PIB) contre USD 125 mds fin 2019.
Les comptes extérieurs courants et financiers portent la trace de la baisse des prix du pétrole et des sorties d’investissements de portefeuille des non-résidents. D’après les estimations de la BCR sur janvier-novembre, l’excédent courant a été réduit de plus de moitié par rapport à la même période de 2019 et le déficit des transactions financières du secteur privé s’est creusé de près de 80%. Pour autant, les réserves de change se sont consolidées. De plus, point positif, une partie des sorties de capitaux s’explique par le désendettement extérieur du secteur privé non financier et des banques (respectivement USD -12,8 mds et USD -4 mds entre fin 2019 et septembre 2020).
En fait, c’est le rouble qui a fait office de variable d’ajustement avec une dépréciation de 17% entre fin décembre et avril et une difficile stabilisation depuis. D’un côté, la monnaie russe est de nouveau fortement corrélée avec les prix du pétrole malgré les interventions à la vente de dollars de la BCR jusqu’à la mi-janvier. Par conséquent, le redressement des prix du pétrole, s’il se poursuit, devrait soutenir le rouble.
Toutefois, la banque centrale a repris ses achats de dollars à partir du 15 janvier. D’autres facteurs plus structurels comme la révision des accords fiscaux avec les centres offshore (notamment Chypre) ou la diversification de l’épargne financière des ménages aisés pour des supports libellés en devises pourraient également limiter le potentiel de réappréciation.
Risque de crédit gérable pour le système bancaire
D’après la BCR, la dette des entreprises a augmenté de 9,3 points de PIB depuis le début de la crise en raison de la récession et l’effet mécanique de la dépréciation du rouble. À 62,6% du PIB, elle reste inférieure à son pic de la fin 2015 (70,8%). Les entreprises du secteur des services et les PME sont évidemment les plus affectées (notamment le transport aérien mais qui bénéficie du soutien de l’État).
Les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration représentent cependant une faible part de l’ensemble des crédits bancaires (1,1%). Les quotas de production et la baisse des prix du pétrole ont fragilisé le secteur des hydrocarbures mais le fardeau de la dette est resté modéré et la situation financière des entreprises du secteur est stable. La hausse des prix du pétrole et, plus marginalement, de la production devrait la consolider.
Malgré la récession, le taux de prêts en défaut (loss loans) et à risque (problem loans) est resté pratiquement inchangé entre mars et octobre (10,7%). Mais, dans le même temps, les banques ont restructuré RUB 6,6 trillions de prêts (environ 9% de l’ensemble des prêts) dont RUB 5 trillions sur le segment des grandes entreprises, 0,8 trillion sur les PME et 0,8 sur les ménages. Les prêts restructurés sont concentrés dans le secteur pétrolier et gazier (14%), la métallurgie (13%), l’immobilier commercial (12%) et les PME tous secteurs confondus (13%).
Les besoins en provisions supplémentaires dépendent de la classification des prêts restructurés avant leur restructuration. Pour l’instant, la BCR a permis aux banques de reporter ces besoins pour l’ensemble des prêts (y compris pour les prêts restructurés) jusqu’au 1er avril pour les prêts aux grandes entreprises et jusqu’au 1er juillet pour les prêts aux PME et aux ménages.
En appliquant le taux de provisionnement moyen observé sur les prêts à risque (52%) et en supposant que ces derniers et ceux de la catégorie juste supérieure aient été restructurés, le besoin de provisionnement serait de RUB 1,6 trillion (soit 2,2% de l’ensemble des prêts)[1]. La charge de provisionnement va probablement continuer d’augmenter mais le rythme de progression des prêts restructurés s’est très sensiblement ralenti au S2 tant pour les entreprises que pour les ménages.
De plus, d’après la BCR, les banques disposent de réserves macro prudentielles qui représentent 9% de l’ensemble des prêts, donc largement suffisantes pour absorber les pertes.