Le pays devrait enregistrer son taux de croissance du PIB le plus faible depuis 2003. Même si le coronavirus a relativement épargné la population, la conjoncture économique s’est considérablement dégradée : le pays subit à la fois un choc domestique et une baisse des revenus extérieurs qui exerce une pression sur les réserves de change, déjà structurellement faibles. L’aide financière des bailleurs de fonds internationaux limite à court terme le risque de liquidité mais le contexte actuel souligne largement la nécessité de réformes. En parallèle, subsiste un risque politique accru avec l’émergence de tensions socio-politiques dont les enjeux sont significatifs pour la stabilité politique et économique du pays.
Interruption du dynamisme économique
La crise de la Covid-19 est venue interrompre une croissance dynamique, de l’ordre de +10% en moyenne chaque année sur la période 2004/2019.
Le modèle de croissance, qui repose sur des investissements publics de grande échelle financés par des emprunts, a néanmoins atteint certaines limites et nourrit des déséquilibres importants. Le choc actuel souligne ces vulnérabilités et la nécessité d’accélérer les réformes visant à s’appuyer sur les investissements directs étrangers (IDE), à travers une libéralisation de l’économie. En 2020, la croissance resterait positive mais devrait atteindre son plus bas niveau depuis 2003.
La crise économique se manifeste par un choc à la fois intérieur et extérieur. L’agriculture, qui représente 80% des revenus d’exportations et près de 40% du PIB, est particulièrement affectée par une chute importante des récoltes causée par l’invasion de criquets pèlerins, les conflits au nord du pays et une baisse de la demande. La chute de la demande extérieure et les perturbations dans les chaînes de valeur mondiales ont, par ailleurs, des répercussions majeures sur les exportations de services.
En parallèle, l’inflation a bondi et atteindrait 20% sur l’année 2020. Les mesures fiscales et monétaires de soutien à l’économie, qui ont contribué à la hausse des prix, devraient néanmoins s’estomper dans les mois à venir.
En 2021, l’activité économique devrait continuer à ralentir pour atteindre une croissance nulle selon les dernières estimations. La hausse des prix devrait aussi s’atténuer mais rester à un niveau élevé (inflation de 11,5% attendue en 2021). La banque centrale devrait, en effet, continuer d’injecter des montants importants dans l’économie en participant au financement du déficit du gouvernement.
Résurgence des tensions politiques et des conflits
La dégradation des perspectives économiques s’accompagne, par ailleurs, d’une importante détérioration du contexte politique. Ce dernier est marqué par une résurgence des conflits ethniques et rappelle la situation fragile du pays. Avec l’adoption d’une nouvelle constitution en 2010 et l’accord de paix signé avec l’Érythrée en décembre 2018, le contexte socio-politique du pays a connu une certaine période de stabilisation. L’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed en avril 2018 a notamment permis d’amorcer certains progrès de gouvernance.
Néanmoins, depuis quelques mois, on constate une dégradation de l’environnement sociopolitique marqué par un mécontentement croissant envers le gouvernement. Ce dernier a, en effet, suscité d’importantes critiques suite à l’arrestation d’éminents dirigeants de l’opposition, l’instauration d’une loi interdisant l’opposition parmi les fonctionnaires, ou encore l’augmentation du pouvoir exécutif dans le contexte d’état d’urgence.
Les soulèvements et les manifestations, ainsi que les tensions au sein du gouvernement de coalition, ont témoigné de cette frustration, par ailleurs exacerbée par les difficultés économiques, les restrictions sanitaires et le report des élections générales. Ce report (les élections générales étaient prévues en août) et l’extension des mandats électoraux ont particulièrement cristallisé les tensions.
À cet égard, la détérioration de la situation dans la région du Tigré, au nord du pays, est préoccupante. Les autorités locales (Front de libération du peuple du Tigré, TPLF) ont décidé de défier le report des élections générales en organisant des scrutins en septembre. Cela a exacerbé les hostilités entre les autorités régionales et fédérales qui ont abouti au déploiement de forces armées et à des confrontations. Ces affrontements font courir le risque de conflits dans l’ensemble du pays, avec l’émergence de revendications ethniques dans d’autres régions. Outre les conséquences locales, le conflit est aussi susceptible d’avoir des répercussions régionales étant donné le rôle majeur que joue l’Éthiopie en matière de sécurité dans la région.
Ces tensions viennent par ailleurs s’ajouter aux désaccords diplomatiques observés avec le Soudan et l’Égypte concernant la finalisation du grand barrage de la renaissance éthiopienne (GERD).
En effet, l’Égypte et le Soudan accusent Addis-Abeba de menacer leur approvisionnement en eau, déjà irrégulier car exposé aux aléas climatiques. Des pourparlers sont toujours en cours sur la question du remplissage du barrage et sont susceptibles de retarder l’aboutissement du projet prévu en 2023.
Actuellement, ces éléments entament l’optimisme quant aux progrès vers une réelle transition économique. Le contexte est en effet susceptible de ralentir certaines réformes. L’accroissement des tensions pourrait aussi amener certains investissements et projets de privatisation à être reportés, en raison de craintes de la part des investisseurs étrangers.
Une pression accrue sur les finances extérieures
Le report des investissements étrangers pourrait être particulièrement dommageable à l’économie éthiopienne. En effet, le pays souffre d’un manque structurel de devises, qui constitue sa principale source de vulnérabilité. La base d’exportation, faible et volatile, est largement pénalisée par la surévaluation du taux de change et s’est accompagnée d’une demande croissante d’importations ces dernières années. Ainsi, les revenus en devises se sont réduits et le risque de liquidité s’est accru.
Dans la situation actuelle, les niveaux demeurent insuffisants pour permettre aux autorités un ajustement face au choc. Avec la crise, le déficit du compte courant devrait continuer d’enregistrer des niveaux de l’ordre de -5% du PIB.
En effet, malgré une baisse des importations de biens et services et une amélioration des termes de l’échange (grâce notamment à la baisse du cours du pétrole), les exportations ne devraient couvrir que 18% des importations sur l’année 2020. Aussi, les exportations de services devraient fortement se contracter (-24% attendu en 2020) étant donné la baisse des revenus du tourisme qui représentent le principal poste.
Une détérioration de la balance des capitaux est attendue en 2020 en raison, en outre, de l’aversion au risque des investisseurs et du manque d’entrées de capitaux étrangers. Les IDE nets connaissent en effet une diminution et ne devraient couvrir que 40% du déficit du compte courant en 2020 (contre plus de 60 % en moyenne en 2015/2019).
Le besoin de financement est estimé à USD 6,2 milliards en 2020. L’initiative de suspension du service de la dette dont le pays bénéficie (non pris en compte dans cette donnée) permettrait de réduire partiellement ce montant ainsi que le besoin de financement pour 2021. Néanmoins, le très faible niveau des réserves, estimé à 2 mois d’importations, laisse peu de marge de manœuvre aux autorités.
Malgré les efforts initiés pour développer la base à l’exportation à court terme, les importations devraient croître plus rapidement que les exportations et donc creuser le déficit de la balance commerciale.
Le stock total de dette extérieure est estimé à 30% du PIB en 2020 (60% détenu par le gouvernement central). Bien que son niveau demeure limité, son coût devient de plus en plus important. La charge de la dette extérieure devrait atteindre un tiers des exportations, ce qui constitue un niveau d’alerte. La surévaluation de la devise locale limite l’ajustement face au choc. La persistance des déficits courants, les faibles réserves de change et l’augmentation des remboursements de la dette extérieure présentent donc un risque pour la solvabilité de la dette extérieure.
Heureusement, les accords de reprofilage de la dette, dernièrement conclus avec la Chine, et l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) par le Club de Paris permettent à court terme d’atténuer les pressions financières. Les lignes de liquidités d’urgence fournies par le FMI et la Banque mondiale représentent également une aide non négligeable. Néanmoins, étant donnée la part importante de la dette détenue par des créanciers non officiels et obligataires, le risque souverain en devises étrangères reste très élevé car la dette extérieure atteint plus de la moitié (59% du total) de la dette publique totale et son service représente près de 65% des réserves en 2020. Les remboursements de la dette extérieure publique devraient augmenter au cours des prochaines années en raison du refinancement de l’euro-obligation (USD 1 milliard) arrivant à échéance en 2024.
Le programme du FMI conclu fin 2019 est donc déterminant pour renforcer la solvabilité du pays et amorcer les réformes structurelles nécessaires pour assurer l’attractivité de l’économie et donc la soutenabilité de la dette. L’ajustement du taux de change figure notamment parmi les mesures-clefs à court terme. Néanmoins, une telle réforme implique une dégradation de la balance commerciale, un risque inflationniste et un alourdissement du fardeau de la dette. Le pays est financièrement soutenu mais reste sur une ligne de crête.