En ce début d’année, les pays émergents bénéficient d’une conjonction d’éléments favorables à la poursuite de la reprise (rattrapage du commerce extérieur, dollar faible, prix des matières premières en hausse, coûts de financement domestiques plus bas qu’avant la crise). Cependant, de nombreuses incertitudes ou menaces demeurent : la rapidité de couverture des campagnes de vaccination contre la Covid-19, le risque de multiplication des cas d’insolvabilité des pays à faibles revenus, malgré le soutien financier des institutions internationales et créanciers officiels, la montée des prêts non performants dans les systèmes bancaires dès 2021. À moyen terme, le risque principal est la concomitance d’une perte probable de croissance potentielle liée à la pandémie et d’un endettement record du secteur privé.
L’éventualité d’une rechute de l’activité dans les pays émergents après le rebond du 3e trimestre semble être écartée. On observe, en effet, une amélioration générale des indicateurs économiques et financiers au dernier trimestre.
Le ciel s’éclaircit …
Les indices PMI dans le secteur manufacturier ont continué de s’améliorer. Pour quelques pays (Chine, Brésil, Hongrie), ils se sont dégradés en décembre mais à partir de niveaux supérieurs à 50. Seul le Mexique affiche toujours un indice suggérant une poursuite de la récession industrielle. Pour la majorité des pays, l’évolution sur un an des exportations est redevenue positive au cours de l’été ou au début de l’automne. En Asie, où les échanges extérieurs ont été les plus dynamiques grâce à la Chine, le rattrapage des exportations est achevé. Il s’est intensifié en Europe centrale. En revanche, la reprise reste très fragile en Amérique latine (y compris pour les produits manufacturés) et en Afrique et Moyen-Orient. Mais, ces derniers vont bénéficier de la poursuite du redressement des prix des matières premières : consolidation de ceux des métaux et reprise plus franche des prix du pétrole, que l’annonce récente d’une réduction de la production de l’Arabie saoudite devrait consolider.
L’amélioration des indicateurs financiers (flux d’investissements de portefeuille, taux de change, primes de risque) est plus spectaculaire. D’après l’IIF, les investissements de portefeuille, encore hésitants durant l’été, ont atteint un record de près de USD 60 mds par mois en moyenne (USD 42 mds hors Chine) au T4, effaçant très largement les sorties de début d’année. En cumul depuis le choc du printemps, les flux nets atteignent USD 250 bn alors que, sur le même intervalle de temps après les chocs de la crise financière de 2008-2009 et du mini krach boursier chinois en 2015, ils étaient simplement revenus à leur niveau de départ. Les émissions de dette obligataire n’ont connu qu’un trou d’air en mars et, au deuxième semestre, le rythme des émissions surpassait celui de 2019.
À quelques rares exceptions, les taux de change se sont réappréciés contre dollar entre fin septembre et fin décembre (avec une médiane à 4% contre 2% au T3). Dans un contexte d’amélioration des comptes extérieurs, les devises émergentes ont également bénéficié de la faiblesse de la monnaie américaine. À quelques exceptions près également, les rendements sur la dette souveraine en monnaie locale et les primes de risque (spread CDS) se sont comprimés alors même que les baisses de taux d’intérêt directeurs ont été plus rares qu’au T3. Les pressions se sont atténuées, y compris pour les pays qui avaient montré une plus forte vulnérabilité au choc (Afrique du Sud, Brésil et Turquie mais, pour ce dernier, au prix d’un revirement de la politique monétaire).
… mais l’horizon n’est pas totalement dégagé
Globalement, les pays émergents bénéficient d’une conjonction d’éléments favorables à la poursuite de la reprise à court terme (dollar faible, prix des matières premières en hausse, coût de financement plus bas qu’avant la crise). Mais de nombreuses incertitudes ou menaces demeurent.
À court terme, les contraintes logistiques et la taille des populations font craindre une course de vitesse déséquilibrée entre les campagnes de vaccination et l’extension de la contamination (notamment au Brésil et en Russie), même si cette dernière ne se traduit pas forcément par une aggravation des taux de mortalité. La deuxième menace, potentiellement de très court terme, est la multiplication des cas l’insolvabilité des pays à faibles revenus malgré le soutien financier des institutions financières internationales (IFI) et des créanciers officiels via les fonds d’urgence ou les mécanismes de suspension de service de la dette (DSSI). Même étendue à 2021, l’initiative DSSI n’allège que de 20% les besoins de financement des pays qui y sont éligibles. Enfin, les banques vont devoir absorber la montée des prêts non performants. Dans ces trois cas, on peut espérer que les acteurs concernés (gouvernements, IFI, créanciers officiels bilatéraux voire créanciers privés, banques) sauront se mobiliser et/ou faire preuve de résilience pour gérer ces risques.
Au-delà de 2021, l’érosion de la croissance potentielle consécutive à la pandémie reste l’incertitude majeure. On pourrait considérer la crise sanitaire comme un choc transitoire, contrairement aux chocs générés par une baisse structurelle des termes de l’échange (pour les pays producteurs de matières premières) ou une crise financière et/ou bancaire. Cependant, la pandémie a été mondiale et non pas régionale comme dans les cas précédents. Même dans un scénario de maîtrise de cette pandémie grâce à la vaccination, la Banque mondiale évalue la perte de croissance potentielle à 0,6 point de PIB par an pour l’ensemble des pays émergents et en développement (Chine comprise) sur la période 2020-2029, croissance potentielle qui s’était déjà réduite de 1 point au cours de la décennie passée. Cette perte supplémentaire proviendrait d’une moindre contribution des investissements. La Banque mondiale cite comme principales raisons l’incertitude, l’aversion au risque et la baisse des profits des entreprises. On peut y ajouter le fait que la dette du secteur privé atteint un record (y compris hors Chine) sachant que la relation de causalité entre croissance potentielle et endettement est à double sens.