Avec une contraction de 8,5% du PIB en 2020, l’économie tunisienne a été l’une des plus sévèrement touchées de la région. Les perspectives de reprise sont très incertaines. L’économie est de nouveau menacée par la recrudescence de l’épidémie de Covid-19 et le gouvernement ne dispose pas des mêmes marges de manœuvre qu’en 2020. L’envolée du déficit budgétaire et de la dette publique à des niveaux inquiétants appelle une difficile consolidation des finances publiques. Les réserves de change sont restées stables mais la vulnérabilité extérieure s’accroît. Le choc de la pandémie a aggravé une détérioration tendancielle des fondamentaux. Ses conséquences pourraient être durables.
Depuis un peu plus d’un an, la Tunisie fait face à une triple crise : politique, sanitaire et économique. Depuis les élections législatives d’octobre 2019, le pays a déjà connu trois Premiers ministres. Le cabinet en place depuis le 2 septembre 2020 seulement vient d’être largement remanié et doit désormais recevoir l’aval du Parlement.
Sa capacité à gouverner face à une classe politique morcelée reste à démontrer. Il y a pourtant urgence à agir. La pandémie a aggravé dangereusement les grands équilibres macroéconomiques déjà très fragiles. Un accord de financement triennal avec le Fonds monétaire international apparaît désormais indispensable mais la paralysie politique a retardé sa signature qui pourrait intervenir au T1. Les incertitudes demeurent néanmoins fortes alors que le précédent plan signé en 2017 n’était pas arrivé à son terme et avait dû être remplacé par une assistance financière d’urgence lorsque la crise de la Covid a éclaté.
Finances publiques : pression accrue
La dérive des finances publiques est inquiétante. Initialement attendu à 3% du PIB, le déficit budgétaire hors dons devrait au final atteindre plus de 12% du PIB en 2020. Environ deux tiers du choc a résulté de la contraction des ressources budgétaires (5,5% du PIB), tandis que les dépenses ont augmenté en grande partie du fait du remboursement d’arriérés de l’État à des entreprises publiques et d’un nouveau gonflement de la masse salariale des employés de la fonction publique (+15% par rapport à 2019), déjà en hausse structurelle depuis plusieurs années.
Elle a absorbé 67% des ressources budgétaires en 2020 et l’objectif de maintenir sa croissance en deçà de 5% pour 2021 risque d’être difficile à tenir au regard de la forte pression sociale. D’autres facteurs vont continuer de peser sur l’exécution budgétaire en 2021, à commencer par les effets persistants de la récession de 2020 sur les ressources fiscales. En outre, le gouvernement compte sur le retrait de plusieurs mesures de soutien, mises en place lors de la pandémie, pour ramener le déficit budgétaire à hauteur de 6-7% du PIB. Or, la situation est encore loin d’être stabilisée. Même sans dérapage, la couverture des besoins de financements sera compliquée.
En plus d’un déficit budgétaire élevé, l’État devra faire face à d’importantes tombées de dette (voir graphique1). Le plan de financement table sur un montant total d’emprunts de plus de 16% du PIB, dont 70% d’origine externe, soit l’équivalent de 11,5% de PIB. C’est 4 points supérieur à la moyenne des 5 dernières années alors que la Tunisie ne bénéficie pas pour le moment de l’assistance du FMI sans laquelle il sera difficile de mobiliser l’appui des bailleurs de fonds (plus de la moitié des financements extérieurs depuis 2015), voire de retourner sur les marchés financiers internationaux. La contrainte de financement est également domestique. Pour la première fois, l’État a dû solliciter en 2020 la banque centrale pour financer directement une partie du déficit budgétaire. Si le montant est resté modeste (2,5% du PIB), cette stratégie est difficilement reconductible sous peine de fragiliser les gains récents en matière de stabilisation monétaire obtenus ces deux dernières années. Cela pourrait aussi constituer un point d’achoppement dans les négociations avec le FMI.
En outre, un recours accru au financement de marché aggraverait une dynamique d’endettement de plus en plus préoccupante. La dette du gouvernement est attendue à 93% du PIB cette année, soit 20 points de plus qu’en 2019. Malgré un stock de dette encore détenu à 45% par des créanciers officiels, le poids de la charge d’intérêts dans le budget augmente rapidement. Elle a absorbé 15% des recettes du gouvernement en 2020, contre 10% en 2019, et elle ne peut que s’alourdir dans les années à venir. De plus, avec les deux tiers du stock de la dette libellés en devise étrangère, la trajectoire de la dette est également vulnérable au risque de change.
Comptes extérieurs : une stabilité précaire
Pour l’instant, la chute significative des importations, induite par la contraction de l’activité économique et la baisse des cours du pétrole, a permis d’absorber le choc externe. Malgré l’effondrement des recettes touristiques et, dans une moindre mesure, des exportations manufacturières, le déficit des comptes courants s’est résorbé, les réserves de changes se sont reconstituées et le dinar est resté stable face à l’euro, s’appréciant donc légèrement contre le dollar US. Avec des réserves de change de USD 8,2 mds pour un besoin de financement extérieur estimé à un peu plus de 6 mds en 2021 (dont 1 milliard d’Eurobond sur 2 tranches avec une garantie américaine), le risque d’un défaut imminent de l’État sur sa dette obligataire internationale est faible.
Néanmoins, l’équilibre reste fragile. Même en diminution par rapport à son niveau de pré-crise, le déficit des comptes courants demeure élevé (autour de 7-8% du PIB) alors que l’évolution de la pandémie continue de peser, directement ou indirectement, sur les principaux secteurs pourvoyeurs de devises. En outre, le rebond attendu de l’économie tunisienne, bien que timide, va générer une demande accrue d’importations.
À cela s’ajoutent des pressions baissières sur les investissements directs étrangers qui ne devraient pas excéder 2% de PIB cette année, soit moins de 25% du déficit courant attendu. L’écart à combler reste donc significatif, ce qui pourrait se traduire par de nouvelles tensions sur les réserves de change et sur le dinar si l’assistance financière des bailleurs étaient insuffisantes. La persistance des déséquilibres extérieurs va aussi continuer d’alimenter l’endettement extérieur qui devrait s’approcher de 110% du PIB fin 2021, soit un niveau de moins en moins soutenable.
Croissance : des effets probablement durables
La capacité de l’économie à se redresser est très incertaine. L’année 2020 avait déjà mal commencé avec une baisse du PIB de 2% en glissement annuel au T1. L’activité s’est violemment contractée de 21% au T2 sous l’effet combiné d’un confinement strict, de l’effondrement du secteur touristique et de la chute de la demande européenne (75% des exportations tunisiennes). Malgré une reprise au T3, en particulier du secteur manufacturier, la Tunisie a affiché une des plus sévères récessions de la région (-9,6% en moyenne sur les 9 premiers mois de l’année).
De plus, l’économie est de nouveau menacée par la recrudescence de l’épidémie aussi bien localement (entre 1000 et 1500 cas quotidiens depuis la mi-octobre contre moins de 50 cas lors de la première vague) que chez les principaux partenaires commerciaux du pays. Des efforts importants ont été déployés pour sécuriser l’approvisionnement en vaccins, notamment grâce à l’initiative « Covax » de l’Organisation mondiale de la santé. Néanmoins, la campagne de vaccination ne devrait démarrer qu’au début du T2.
Face à cela, les marges de manœuvre sur le plan budgétaire sont inexistantes. Les dépenses en investissement programmées dans la loi de finances 2021 dépassent à peine 3% du PIB, soit plus de deux points de moins qu’en 2019, et il est à craindre qu’elles ne servent de variable d’ajustement en cas de tensions de trésorerie. À titre de comparaison, la masse salariale des employés de la fonction publique est attendue à 16,6% du PIB cette année.
La politique monétaire est également contrainte. La baisse continue du taux d’inflation grâce à la bonne tenue du dinar a certes permis à la banque centrale de baisser son taux directeur de 150 points de base à 6,25% (voir graphique 2), mais l’approche reste prudente car les taux réels sont encore positifs.
En outre, l’assouplissement monétaire n’améliore qu’à la marge la mauvaise santé du secteur bancaire. Avec un taux de créances non-performantes de 14% fin 2019 provisionnées à 55%, la qualité du portefeuille des banques était déjà dégradée avant la crise, en particulier au sein des banques publiques (un tiers du système). Le moratoire sur le remboursement des prêts a permis de contenir l’impact jusqu’à présent.
Néanmoins, la pression sur le système bancaire va s’intensifier en raison de sa forte exposition aux secteurs les plus vulnérables (industries manufacturières : 23% des encours fin 2019 ; commerce : 16,7% ; tourisme : 4,8%).
Le rebond attendu de la croissance en 2021 (4% après une récession estimée à 8,5% en 2020) reste très hypothétique. Même s’il se confirme, le PIB réel resterait inférieur de 4,8% à son niveau de 2019. Le choc de l’épidémie risque d’être durable car il frappe une économie fragilisée par une décennie de croissance molle (1,6% en moyenne entre 2011 et 2019), conséquence d’un effort d’investissement privé tendanciellement en baisse (de 17,5% en moyenne sur la période 2000-2010 à 15,2% de 2011 à 2019) et de la dégradation de ses fondamentaux. En particulier, la nécessité de consolider les finances publiques va imposer de trouver de nouveaux relais de croissance pour résorber un chômage qui atteint désormais à 16,2%.