Le Pérou figure parmi les pays d’Amérique latine les plus touchés par l’épidémie de Covid. Après avoir lourdement chuté au T2 2020, le rebond de croissance entamé au T3 se poursuit. Cela dit, le niveau d’activité pré-Covid ne sera pas retrouvé avant la fin 2022. La contraction économique et le plan de relance massif mis en place par le gouvernement ont pesé sur les finances publiques, mais la dégradation devrait rester gérable, au moins à court terme. En revanche, la dégradation du climat politique observée au cours des dernières années pèse sur les perspectives économiques de moyen terme.
Récession très sévère
Le Pérou est un des pays les plus durement touchés par la Covid-19. Les mesures de confinement très strictes adoptées dès mi-mars 2020 n’ont pas suffi à limiter la contagion ni à compenser les capacités limitées du système de santé.
Au total, le pays a recensé plus d’un million de cas depuis début 2020 (pour 32 millions d’habitants), et le taux de mortalité figure parmi les plus élevés (au sixième rang d’après la Banque mondiale). Après avoir atteint un pic en août dernier (près de 8 000 nouveaux cas par jour en moyenne), le nombre de nouveaux cas quotidiens a décru depuis début septembre pour se stabiliser autour de 1 600 en décembre. Le nombre de cas augmente de nouveau depuis début janvier, à 2 300 nouveaux cas en moyenne sur les dix premiers jours du mois.
Sur le plan économique, la récession en 2020 a été très sévère. Le PIB devrait reculer de 12%, après avoir progressé de 2,2% en 2019 et 3,2% au cours des cinq dernières années. À titre de comparaison, le FMI estime une récession de 8% en moyenne pour la région en 2020.
Le PIB réel a très lourdement chuté au deuxième trimestre, -30% en glissement annuel, consécutivement à la mise en place des mesures de confinement, de mi-mars à la fin du mois de juin. Pour le seul mois d’avril, le PIB mensuel et l’indice de production industrielle ont respectivement chuté de 40% et 53% en g.a. Tous les secteurs, y compris le secteur minier, n’ont repris leur activité que de manière très progressive à la fin du mois de mai.
Les bons fondamentaux ont permis l’intervention massive des autorités, afin d’éviter une chute du PIB plus spectaculaire encore, et soutenir le rebond de croissance entamé dès le T3. Au début de l’année 2020, les dettes externe et publique étaient en effet modérées (représentant environ 35% et 27% du PIB respectivement), le déficit courant était très modéré et largement financé par des entrées d’investissements directs étrangers et le niveau de réserves était très confortable (plus de 15 mois d’importations en décembre 2019).
La banque centrale a baissé son taux directeur de 200 points de base (à 0,25%) et s’est engagée à fournir un large montant de liquidités. Dans le même temps, un plan de relance massif a été mis en place par le gouvernement, comprenant à la fois des mesures de court terme (représentant environ 8% du PIB), principalement destinées, outre l’augmentation des dépenses de santé, aux ménages et entreprises les plus vulnérables, et des mesures à plus long terme (pour un montant de près de 4% du PIB), afin de soutenir la croissance. Le gouvernement a également mis en place un programme de crédits aux entreprises « Reactiva Peru », financé par la banque centrale, pour un montant total de 8% du PIB.
Enfin, pour soutenir le rebond de la consommation des ménages, le Congrès a approuvé en mai dernier une loi autorisant les affiliés à retirer jusqu’à 25% du montant de leurs actifs détenus par des fonds de pension privés. Après un débat houleux au parlement, de nouveaux retraits ont été autorisés fin novembre, concernant les affiliés atteints de certaines maladies, ou qui n’ont pas cotisé au cours des 12 derniers mois.
Par ailleurs, le FMI a approuvé à la fin du mois de juin une ligne de crédit flexible, facilité de financement (d’un montant de USD 11 milliards pour une durée de deux ans) destinée à prévenir les crises (le Pérou pourra activer cette ligne de crédit si sa situation économique et financière se dégradait de manière significative) et réservée aux pays dont les fondamentaux macroéconomiques sont particulièrement solides1.
L’indicateur mensuel d’activité rebondit continument depuis le mois de juillet, mais il restait, en octobre, 11% sous le niveau enregistré en décembre 2019 (voir graphique 1). Soutenu par la remontée des prix des métaux (or et cuivre principalement, ce dernier représentant toujours près du tiers des exportations), les perspectives favorables de croissance en Chine (principale destination des exportations depuis 2014) et le plan de relance gouvernemental, le rebond d’activité devrait se poursuivre tout au long de 2021 et 2022. Le PIB devrait progresser de 8% et 3,5% respectivement. À ce rythme, le niveau d’activité pré-Covid19 ne devrait pas être atteint avant fin 2022.
Dégradation du climat politique
Les risques sont orientés à la baisse. La dégradation du climat politique, observée depuis plusieurs années, en particulier s’est accélérée à la fin de l’année 2020 et pèsera sur les perspectives de croissance à court terme, et probablement sur les fondamentaux économiques à moyen terme.
D’une part, le manque de clarté concernant l’approvisionnement en vaccins et le début effectif de la campagne de vaccination limite les perspectives de croissance pour 2021. Le ministère de la Santé avait initialement annoncé être en capacité de débuter la campagne de vaccination au cours du premier trimestre 2021. D’après la presse locale, il semblerait cependant que la crise politique des mois d’octobre et novembre ait non seulement retardé sa mise en œuvre, mais également empêché la finalisation des commandes de vaccins. Le début des vaccinations pourrait finalement être repoussé au début du deuxième semestre.
D’autre part, les faiblesses structurelles en termes de gouvernance ont été exacerbées au cours du dernier mandat (depuis 2016), en particulier la défiance du parlement vis-à-vis du gouvernement et la multiplication des scandales de corruption. Le mandat s’est ainsi caractérisé par la succession de quatre présidents (dont trois en novembre 2020), qui ont été destitués ou poussés à la démission suite à leur mise en cause dans des scandales de corruption, de deux parlements et par une très forte rotation ministérielle. Cependant, d’après la constitution péruvienne, la durée des mandats présidentiel et parlementaire reste fixe. Les prochaines élections générales (présidentielle et législative) auront donc lieu comme prévu, à l’issue du mandat initial.
Mi-novembre, le parlement a élu Francisco Sagasti, député et fondateur du parti centriste Morado. Il devrait rester président intérimaire jusqu’à la tenue des élections. Celui-ci s’est engagé à respecter le calendrier électoral, et donc à maintenir le premier tour des élections le 11 avril prochain, et à quitter le pouvoir le 28 juillet, date de début du prochain mandat présidentiel. Le climat politique n’est pas apaisé pour autant. Les relations entre le parlement et le gouvernement intérimaire devraient rester extrêmement tendues, d’autant plus si le pays devait faire face à une nouvelle vague de contaminations.
À cette date, compte tenu du nombre important de candidats, il est difficile de dégager le potentiel vainqueur des prochaines élections, et la majorité du prochain parlement. Cependant, l’ensemble des candidats semble s’accorder sur une certaine continuité des politiques économiques, concernant par exemple le respect de la discipline budgétaire observée depuis plusieurs mandats. Entre 2015 et 2019 par exemple, le déficit public est resté contenu à 2,2% du PIB en moyenne, en dépit de la chute du prix du cuivre et de plusieurs catastrophes naturelles.
Il est toutefois probable que les relations entre le gouvernement et le parlement restent difficiles au cours du prochain mandat. Les objectifs budgétaires à court terme (mesures de relance en 2021, consolidation dès 2022) et moyen terme (augmentation des revenus via une réforme du système de collecte), ainsi que les réformes destinées à relever la croissance potentielle péruvienne (réforme du marché du travail, diminution de l’économie informelle) pourraient être de nouveau repoussées. À terme, l’instabilité politique et l’absence de réformes pourraient peser sur la croissance potentielle et l’attractivité du pays aux yeux des investisseurs étrangers.
L’augmentation de la dette publique à court terme n’est pas inquiétante
Alors que le gouvernement estime, qu’après une augmentation à 8,5% du PIB en 2020 (contre 1,6% en 2019), le déficit public devrait baisser à 6,5% en 2021, nous tablons plutôt sur un déficit public autour de 7,5% les deux années. Les tensions entre le parlement et le gouvernement ont empêché la mise en œuvre de certaines mesures du plan de relance – dont plusieurs projets d’investissement public – qui seront repoussées à 2021. Le déficit devrait ensuite progressivement se réduire. Logiquement, la dette publique devrait augmenter, de 27% du PIB en 2019 à 35% en 2020 et 37% en 2021. Elle restera donc modérée.