L’économie qatarie débute l’année 2021 dans des conditions relativement favorables : l’embargo régional a pris fin, mais l’épidémie de Covid-19 est toujours active. Malgré la baisse des prix du pétrole en 2020, les déficits budgétaires et courants sont restés modérés. À moyen terme, le développement de nouvelles capacités d’exportation de gaz devrait significativement renforcer une situation macroéconomique déjà solide. Le principal facteur de vulnérabilité demeure l’endettement extérieur net des banques, qui est très élevé et qui n’a cessé de croître avec le développement accéléré de l’économie. Néanmoins, le soutien gouvernemental est assuré, et la position extérieure des banques devrait se rétablir avec le ralentissement attendu du crédit et la croissance des dépôts.
Rebond modéré de l’activité en 2021
Deux évènements aux conséquences contraires marquent ce début d’année 2021 : la fin de l’embargo qui touchait le Qatar depuis 2017 et une seconde vague de pandémie de Covid-19. Les conséquences économiques de la fin de l’embargo sont positives en termes de flux commerciaux et financiers, mais elles ne doivent pas être surestimées. Durant cette période d’embargo, l’économie qatarie a su diversifier ses sources d’approvisionnement et a augmenté son autonomie. Concernant la situation sanitaire, le taux de mortalité dû à la pandémie est le plus bas parmi les pays du Golfe. Néanmoins, la pandémie reste active et des mesures de restriction ont été remises en place récemment.
Le soutien public à l’économie a été substantiel l’an dernier (environ 14% du PIB), dont une grande partie a consisté en un support à la liquidité bancaire et un système d’aménagement et de garantie des créances. Malgré cela, le PIB a chuté de 3,7% en 2020 en raison d’une légère baisse de 2% en g.a. de la production d’hydrocarbures (40% du PIB), et surtout d’une forte chute de l’activité des secteurs hors hydrocarbures (-4,6% en g.a.), notamment celui de la construction qui constitue 12% du PIB total et qui s’est contracté de 4%.
En 2021, la croissance économique devrait repartir à la hausse, mais le rebond devrait rester modeste (2,8%). La production d’hydrocarbures ne devrait augmenter que modérément, tandis que les progrès de la campagne de vaccination et les conséquences positives de la levée des sanctions devraient bénéficier à la croissance au second semestre. Le PIB devrait retrouver en 2022 son niveau de 2019 avec la fin attendue des restrictions liées à la pandémie et l’effet d’entrainement de l’organisation de la Coupe du monde de football.
Le PIB hors hydrocarbures a été le principal moteur de croissance depuis une dizaine d’années, mais à moyen terme le secteur des hydrocarbures sera le principal moteur de croissance en raison du développement d’importantes capacités de production de gaz naturel liquéfié (GNL). Celles-ci devraient croître de 60% d’ici 2027. Parallèlement, les perspectives de développement des secteurs hors hydrocarbures sont plus contraintes étant donné la taille réduite de la population qatarie et l’attractivité économique limitée en dehors du secteur des hydrocarbures. Les principales sources de diversification économique devraient continuer de se situer dans le secteur de l’aval des hydrocarbures.
Perspectives des exportations de GNL
En 2017, le Qatar a mis fin à un moratoire de douze ans concernant le développement des capacités de production de GNL, et a entrepris un projet d’expansion de USD?50?mds qui devrait augmenter les exportations de GNL de plus de 60% d’ici 2027 pour atteindre 126 millions de tonnes par an. Les contrats de vente de GNL de long terme resteront la base de la politique commerciale qatarie, mais le lancement d’une structure dédiée pourrait accroître les transactions sur le marché spot jusqu’à 20% du total des transactions selon les conditions de marché.
Au niveau mondial, le marché du GNL est de plus en plus concurrentiel, avec notamment la forte hausse des exportations provenant des États-Unis (gaz de schiste), devenus troisième exportateur mondial en quelques années devant la Russie. Néanmoins, les perspectives pour le gaz qatari restent favorables à moyen et long terme.
D’une manière générale, bien qu’émettant des gaz à effet de serre, la combustion de gaz reste moins émettrice que celle de pétrole ou de charbon. Selon l’Agence internationale de l’énergie, seule la demande pour les énergies renouvelables croîtra à un rythme supérieur à celle du gaz naturel à moyen terme. Par ailleurs, la production qatarie bénéficie de coûts de production parmi les plus bas du marché. L’Asie, qui est son débouché traditionnel, devrait rester la zone dont la demande de gaz connaît la plus forte croissance.
Des finances publiques et extérieures solides
En 2020, la chute des prix du pétrole a entraîné celle des recettes budgétaires. Celles-ci dépendent à 85% du secteur des hydrocarbures. Néanmoins, d’après notre estimation, le déficit budgétaire est resté modéré (1,7% du PIB), notamment grâce à la réduction des dépenses d’investissement. Le soutien budgétaire direct à l’activité a été limité, tandis que le gouvernement a évité tout dérapage des dépenses courantes. Pendant la période 2016-19, les dépenses publiques d’investissement ont été très élevées (plus de 40% des dépenses totales en moyenne), et ce cycle semble arriver à son terme avec la réalisation de l’essentiel des infrastructures liées à la Coupe du monde de 2022.
En 2021 et 2022, le budget devrait de nouveau être en excédent étant donné la hausse attendue des prix du pétrole et la modération des dépenses. Le prix du baril de pétrole qui équilibre le budget atteint environ 50 dollars, soit le niveau le plus bas parmi les pays du Golfe. À moyen terme, la forte hausse attendue des revenus issus des exportations de GNL devrait significativement améliorer la situation budgétaire.
Les comptes extérieurs sont dominés par les exportations d’hydrocarbures (plus de 85% des exportations totales, dont 64% pour les exportations de GNL). Le solde commercial enregistre un excédent structurel élevé, équivalant à 25% du PIB en moyenne entre 2015 et 2019. En 2020, le solde courant a enregistré un déficit estimé à 2,5% du PIB. Le rebond des prix du pétrole devrait permettre le retour d’un excédent courant à court terme. À l’instar des comptes publics, la mise en production de nouvelles capacités d’exportation de GNL devrait assurer des excédents courants significatifs à moyen terme.
La dette extérieure totale est très élevée (139% du PIB en 2020) et en augmentation régulière. Ce niveau de dette ne représente pas en lui-même un facteur de risque sur la solvabilité de l’émirat. En effet, le montant des actifs publics dépasse deux fois le PIB.
Quelle vulnérabilité liée à la dette extérieure des banques ?
Cependant, la composition de la dette extérieure constitue un facteur de vulnérabilité économique. Une partie de cette dette (environ 15% du total) a été contractée par le gouvernement et par des entreprises privées non financières. Le reste est constitué de la dette des banques qataries vis-à-vis de l’étranger. La dette bancaire extérieure n’a cessé d’augmenter ces dernières années en raison du manque de ressources locales pour faire face à la demande de crédit intérieur.
En effet, la croissance annuelle du crédit au secteur privé (environ 60% du crédit intérieur total) a été de 13% en moyenne depuis 2015 (+7,4% pour le secteur public), tandis que les dépôts n’ont augmenté que de 2,3% en moyenne sur la même période. Les actifs bancaires totaux représentent environ 240% du PIB. Dans ce contexte, les banques ont recours à des ressources extérieures (37% des ressources bancaires totales en 2020) sous forme de dépôts des non-résidents (37% du passif extérieur total) et de créances interbancaires (48%), le reste étant constitué d’émissions de dette sur les marchés internationaux. La position extérieure nette du système bancaire est négative depuis 2009 et s’est fortement dégradée depuis 2018 avec le doublement de la dette nette vis-à-vis de l’extérieur. Celle-ci a atteint USD 112 mds en décembre 2020, soit environ 75% du PIB.
Cette situation constitue un double facteur de vulnérabilité : pour le système bancaire, et, dans une moindre mesure, pour le gouvernement. La dépendance accrue au financement extérieur rend le système bancaire vulnérable à tout évènement économique ou politique qui pourrait affecter la confiance des créditeurs extérieurs vis-à-vis du Qatar. Par ailleurs, l’implication du gouvernement dans le secteur bancaire est forte, à la fois sous forme de dépôts (environ 30% des dépôts intérieurs totaux) et de participation significative au capital des banques. La dette extérieure des banques peut donc être considérée comme un élément de la dette publique au sens large.
Néanmoins, nous estimons qu’un certain nombre d’éléments relativisent l’ampleur de cette vulnérabilité. En raison de son lien étroit avec l’État, le secteur bancaire bénéficie de notations très favorables au niveau international. En cas de difficulté, le soutien de l’État au secteur est important. Ainsi, le retrait d’une partie des dépôts de non-résidents suite à l’embargo de 2017 a été rapidement compensé par des dépôts du gouvernement qui dispose d’avoirs importants. À moyen terme, on peut envisager une réduction du passif extérieur net des banques. Du côté des emplois, les besoins de financement devraient ralentir suite à la réalisation des principaux investissements en infrastructure. Du côté des ressources, l’augmentation des revenus du gouvernement en lien avec le développement des exportations de GNL devrait rendre les dépôts du secteur public plus importants et moins volatils.