Le fort rebond de l’activité au dernier trimestre a permis de limiter la contraction du PIB à 8,2% en 2020, d’enregistrer un déficit public moins important qu’attendu et d’améliorer les perspectives de croissance pour 2021. Mais la reprise reste fragile : la consommation privée et l’investissement ont été durablement fragilisés par la crise en 2020, et le secteur exportateur ne profitera pas pleinement du rebond de croissance attendu aux États-Unis. Dans le même temps, les inquiétudes concernant la vulnérabilité des finances publiques et le recul de l’investissement ont été exacerbées par la crise et pèseront sur les perspectives de croissance à moyen et long terme.
Rebond plus fort qu’anticipé
Le PIB mexicain a reculé de 8,2% en 2020. L’économie a souffert de l’effondrement de la demande interne, consécutif aux mesures de confinement, et de la chute de la demande externe, principalement en provenance des États-Unis (80% du total des exportations).
Après que les perspectives se sont continûment dégradées au cours des trois premiers trimestres (on s’attendait à un recul du PIB de plus de 10% à la fin du T3), le fort rebond d’activité enregistré au T4 a permis de limiter la chute du PIB en 2020 et d’améliorer les perspectives de croissance pour 2021 et 2022.
Néanmoins la reprise restera fragile, et le PIB ne devrait progresser que de 4% en 2021. Les exportations seront le principal moteur de la croissance, stimulées par le rebond de croissance et le plan de relance aux États-Unis. En revanche, la demande interne restera durablement affaiblie par l’effondrement de l’activité au T2 2020 (le PIB a reculé de 18,7% en g.a.), et le soutien des autorités devrait être très limité. La progression de la dépense publique sera très faible cette année encore, le gouvernement ayant renouvelé son souhait de se conformer à la politique d’austérité annoncée au début de son mandat. Dans le même temps, après avoir massivement soutenu l’économie en 20201, l’intervention de la banque centrale devrait être limitée en 2021. Nous prévoyons un maintien du principal taux directeur à 4%.
La situation sanitaire reste fragile
Les risques sont orientés à la baisse, notamment du fait de la fragilité de la situation sanitaire. La campagne de vaccination a pris du retard sur les objectifs initialement annoncés, et le nombre de nouveaux cas quotidiens reste relativement élevé. Fin mars, le nombre de premières doses administrées était légèrement inférieur à 5,5 millions (moins de 4,5% de la population totale), et 750 000 personnes avaient reçu les deux doses (soit à peine plus de 0,5% de la population). D’après les récentes annonces gouvernementales, le rythme de vaccination devrait accélérer dans les prochains jours. L’objectif est de vacciner (deux doses) la moitié de la population d’ici la fin du premier semestre, et la totalité de la population avant la fin de l’année 2021. Compte tenu des difficultés rencontrées par le gouvernement à obtenir les doses nécessaires et le rythme de vaccination observé jusqu’ici, ces objectifs paraissent difficilement réalisables.
Par ailleurs, l’état d’urgence sanitaire déclaré en février 2020 est toujours en vigueur, ainsi que le système de couleurs2 mis en place au mois de mai dernier pour indiquer le niveau de restrictions en vigueur dans chaque État.
Le nombre de nouveaux cas quotidiens a progressé continûment entre la mi-novembre (il était alors stable autour de 5 500 depuis le mois de juin) et la fin du mois de janvier (atteignant un pic de 17 000 nouvelles contaminations) ; la quasi-totalité des États était alors classés « rouge ».
Le nombre décroît depuis. Fin mars, il était légèrement inférieur à 4500. À cette date, huit États étaient encore « orange », trois étaient « vert » et tous les autres (21) étaient « jaune ».
Inquiétudes concernant les finances publiques
La très forte limitation des dépenses publiques (l’ensemble des mesures de soutien à l’économie a représenté à peine plus de 1% du PIB en 2020), la hausse des revenus au dernier trimestre (grâce à la hausse du prix du pétrole, et dans une moindre mesure au rebond d’activité), et l’ajournement d’un transfert financier au profit de l’entreprise publique d’exploitation pétrolière Pemex ont permis d’enregistrer un déficit public moins élevé qu’anticipé en 2020, à 2,3% du PIB (après 1,7% en 2019). Logiquement, la hausse de la dette publique a été modérée, à 50,8% du PIB contre 46,4% en 2019.
En dépit de cette relative bonne performance, les pressions à court et moyen terme sur la situation budgétaire demeurent, voire s’accentuent. Au contraire des objectifs annoncés par le gouvernement dans le budget 2021 (stabilisation du déficit autour de 2,5% du PIB pour les deux années à venir), nous attendons une hausse du déficit public à 4,1% du PIB en 2021. Comme lors des précédents budgets, les prévisions retenues par le gouvernement nous paraissent trop optimistes et difficilement réalisables, qu’il s’agisse de la croissance du PIB, de la situation financière de Pemex ou de la production pétrolière. Pour cette dernière, l’objectif pour 2021 est de produire 1,86 million de barils par jour (b/j). En 2020, l’objectif était fixé à 1,95 million b/j, et la production n’a finalement été que de 1,65 million.
Le faible rebond de la demande interne ne laisse entrevoir qu’une hausse limitée des revenus budgétaires. En outre, la pression sociale et la dégradation continue de la situation de Pemex, qui nécessitera probablement des transferts importants et récurrents de la part du gouvernement dans les trimestres à venir, devraient augmenter significativement les dépenses dès 2021. Par ailleurs, le gouvernement a déjà largement puisé dans le fonds souverain pétrolier pour compenser la perte de revenus en 2020. Le solde sera probablement utilisé en 2021, mais le montant restant (0,2% du PIB fin 2020, alors qu’il représentait plus de 1,5% du PIB fin 2019) ne suffira pas. Le reste de l’épargne fiscale disponible et d’éventuels transferts de la banque centrale ne pourront pas constituer une solution suffisante et pérenne, renforçant encore la nécessité d’engager une réforme fiscale.
Dans ce contexte, la dette publique devrait dépasser 52% du PIB en 2021 et continuer à augmenter en 2022, atteignant le ratio le plus élevé depuis plus de 40 ans. La dégradation de la dynamique de la dette publique, la hausse des risques contingents associés à Pemex, l’érosion du fonds souverain et l’absence de réformes structurelles pourraient accroître la vulnérabilité du gouvernement aux changements de sentiment des investisseurs. Si le profil de la dette publique reste favorable et qu’environ 80% est libellé en monnaie locale, plus de 30% de la dette est néanmoins détenu par des investisseurs étrangers.
Nouveau recul de l’investissement
Les fragilités structurelles observées bien avant le début de la crise liée au Covid-19 (le faible niveau d’investissement, la détérioration du climat des affaires par exemple) restent d’actualité et pèsent sur les perspectives de croissance à court et moyen terme. Certaines fragilités ont même été exacerbées au cours des 12 derniers mois, comme le manque de lisibilité de la politique économique et de participation du secteur privé à certains secteurs clés de l’économie. Ainsi la réforme du secteur de l’électricité votée début mars 2021, qui renforce la place des entreprises publiques au détriment des acteurs privés du secteur, pourrait durablement pénaliser l’investissement.
Les résultats des élections prévues pour le mois de juin prochain, élections législatives et élection d’un nouveau gouverneur pour 15 États, pourraient renforcer cette défiance. Les sondages montrent que le président Andres Manuel Lopes Obrador (AMLO) reste très populaire (popularité supérieure à 60% depuis le début du mandat), et il est personnellement impliqué dans la campagne législative, ainsi que dans celle des 15 candidats à la gouvernance issus de son parti. Le parti présidentiel (Morena) et ses deux alliés (PT et PVEM, respectivement parti de centre gauche et parti centre, écologiste) devraient conserver la majorité au sein de la Chambre des députés (les trois partis recensent actuellement 300 sièges sur les 500). Dans cette configuration, les réformes souhaitées par le gouvernement pour la deuxième partie du mandat devraient facilement être mises en œuvre.
À moyen terme, la défiance des investisseurs, locaux et étrangers, pourrait concerner tous les secteurs de l’économie. Nous prévoyons en 2021 un nouveau recul de l’investissement, le taux d’investissement ayant déjà diminué de 23,6% du PIB en 2016 à 19,3% en 2020, selon les derniers chiffres du FMI. De même, les entrées nettes d’investissements directs étrangers, en baisse depuis le milieu de l’année 2018, devraient encore diminuer en 2021. Au total, en dépit du rebond de la croissance à très court terme, le PIB mexicain ne devrait retrouver son niveau de fin 2019 qu’à la fin de 2022. L’estimation de la croissance potentielle, proche de 2,5% à la fin de 2019, est à présent abaissée à 2%.