Alors que le Kenya a échappé à la récession en 2020, le choc de la Covid-19 est venu exacerber les vulnérabilités économiques du pays. Le risque de surendettement public est particulièrement élevé et, malgré le soutien financier apporté par les créditeurs multi et bilatéraux, la gestion du budget restera un défi à court et moyen terme. Le niveau mais aussi la structure de la dette exposent le gouvernement à un risque de solvabilité. Heureusement, des réformes sont attendues pour infléchir ce risque, et le programme que le FMI a récemment accordé aux autorités kenyanes pourrait permettre d’appuyer ces efforts et contribuer à rassurer les investisseurs étrangers.
Une reprise dynamique mais incertaine
Le Kenya a échappé à la récession en 2020 mais la pandémie a eu un impact significatif sur l’économie, dont la croissance est largement tirée par le secteur des services. Au pic de la crise, au second trimestre 2020, l’activité s’est contractée de près de 6% en glissement annuel. La banque centrale (CBK) a, en réaction, ajusté son taux directeur à deux reprises pour l’abaisser au total de 125 points de base (pb) à 7%.
D’autres mesures d’injection de liquidités ont par ailleurs été adoptées, avec notamment la réduction du ratio de réserves obligatoires (-100 pb) pour minimiser l’impact du choc et permettre au taux de change de jouer un rôle de variable d’ajustement, en parallèle des mesures de soutien budgétaire (estimées à 0,5% du PIB). Au total, l’activité devrait enregistrer une activité nulle sur l’année 2020.
Le rebond de la croissance du PIB devrait se poursuivre pour atteindre près de 5% sur l’année 2021. Toutefois, l’environnement actuel reste marqué par un niveau important d’incertitude, principalement à cause du risque élevé de nouvelle vague de contaminations et de restrictions sur l’activité.
Début mars, les autorités kenyanes ont d’ailleurs mis en place de nouvelles mesures préventives et des restrictions face à la résurgence de nouveaux cas de Covid-19. La perspective d’un rebond restera donc fonction de l’avancée de l’épidémie et du déploiement de la campagne vaccinale. À ce jour, le pays a reçu près d’un million de doses du vaccin AstraZeneca dans le cadre de l’initiative Covax1. L’ambition des autorités est de vacciner la moitié de la population d’ici mi-2023.
Le programme que le FMI a accordé en janvier dernier permettra de soutenir la phase de relance, avec un financement de USD 2.4 milliards sur 3 ans. L’aide apportée soutiendra en particulier les efforts de consolidation budgétaire afin de contenir le risque croissant de surendettement auquel fait face le gouvernement du Kenya.
Vulnérabilité accrue du budget et de la dette
Déjà structurellement marqué par une gestion budgétaire déficiente, le déficit fiscal s’est creusé dans le contexte de crise de l’an dernier (-8,5% du PIB en 2020 contre -7,9% sur la période 2015-2019). L’accumulation des déficits a alimenté la hausse de l’endettement public. Elle s’est accrue avec la mise sous tension du budget pour gérer la crise : les recettes collectées au cours de l’exercice fiscal 2019/2020 sont bien inférieures aux prévisions, tandis que les dépenses vont au-delà de celles anticipées. La dette publique atteint désormais près de 70% du PIB (+15% en valeur nominale par rapport à 2019), soit le seuil critique défini par le FMI pour caractériser un risque de surendettement élevé.
Déjà présent avant la crise, ce risque représente aujourd’hui une source de vulnérabilité majeure. En atteste la nouvelle dégradation de la note souveraine du pays chez Standard & Poor’s, de B+ à B début mars 2021. Par ailleurs, la structure même de la dette, dont plus du tiers est constitué d’emprunts commerciaux, implique des coûts considérable : les intérêts sur la dette extérieure ont doublé depuis 2015 du fait de la réduction de la part des emprunts concessionnels (qui représente désormais moins d’un quart de la dette).
Or, le gouvernement a fait face à la chute de ses revenus fiscaux et des recettes d’exportations depuis l’an dernier, ce qui a fortement fragilisé sa capacité à assurer le service de sa dette. Par ailleurs, il est aussi particulièrement exposé au risque de change car la moitié de l’encours de sa dette est libellée en devise (67% en USD). Or, le shilling s’est déprécié de -10% sur l’année 2020 par rapport au dollar US.
Des mesures de soutien temporaires
Dans cette situation, le pays bénéficie d’un moratoire sur le service de la dette auprès du Club de Paris. D’abord réticent à souscrire à l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD), par crainte d’envoyer un signal négatif aux investisseurs obligataires et de réduire son accès au marché, le Kenya s’est finalement vu accorder un délai sur les paiements de la dette vis-à-vis des créanciers du Club, entre janvier et juin 2021, soit une économie d’environ USD 300 millions. Les paiements de la dette auprès des créanciers chinois sur cette même période sont également reportés et représentent une économie d’environ USD 345 millions. Le montant sera ensuite payé sur 5 ans à partir de 2023. Le gouvernement kenyan s’est engagé à continuer d’honorer les montants dus aux créanciers multilatéraux.
Au total, l’allègement financier reste néanmoins limité et temporaire. Il permettra d’alléger la pression sur les liquidités et de réallouer ces sommes pour soutenir la relance, mais ne résout pas le problème structurel de la soutenabilité de la dette. Les montants économisés ne représentent que 20% (USD 545 millions) du service global de la dette publique extérieure en 2021. En outre, les montants en jeu restent assez limités par rapport aux besoins financiers extérieurs globaux du pays. Ces derniers devraient rester équivalents à environ 6% du PIB en 2021 (USD 6,7 milliards) et, le service de la dette devrait encore représenter environ 27% des exportations (surpassant le seuil prudentiel indicatif du FMI de 23%).
À ces mesures vient s’ajouter l’accord conclu avec le FMI, portant sur un programme de USD 2,4 milliards d’une durée de 38 mois, avec revue trimestrielle. L’aide apportée devrait soutenir les efforts de relance, de rationalisation des dépenses et d’augmentation de la base fiscale. Ces réformes seront nécessaires pour assurer la viabilité de la dette à moyen terme, et notamment contenir les risques associés qui pèsent sur le système bancaire local. Ce dernier, déjà marqué par un ratio de créances douteuses important (14,14% en décembre 2020, soit +2,1 pp par rapport à décembre 2019) est, en effet, largement exposé au risque souverain, ainsi qu’aux entreprises parastatales : près du tiers de l’ensemble des prêts du secteur bancaire est composé de créances publiques. Cela crée d’ailleurs un effet d’éviction vis-à-vis du crédit au secteur privé.
L’agenda politique pourrait retarder la consolidation budgétaire
Les mesures d’amélioration de la gestion des finances publiques resteront au centre de l’attention dans les mois à venir. Le gouvernement a fait part de sa volonté de privilégier les emprunts contractés auprès de créanciers multilatéraux et bilatéraux, ce qui permettrait de sécuriser des taux d’intérêt favorables.
En parallèle, selon les montants obtenus par les créanciers officiels, le Trésor du Kenya envisage aussi de lever des fonds sur le marché obligataire international cette année. Cette émission aura pour but de préfinancer les remboursements à venir dans un contexte où les taux sont encore relativement attractifs, mais susceptibles de se dégrader2. À la mi-mars, le taux de rendement des obligations kenyanes à horizon 10 ans s’élève à 12,8% contre 12,7% mi-mars 2019.
L’agenda politique suggère que les efforts de consolidation budgétaire pourraient être retardés et limités. L’organisation d’un référendum constitutionnel en juin 2021, ainsi que les élections générales prévues en 2022 interrogent, en effet, sur la capacité du gouvernement à se concentrer sur des mesures d’assainissement des finances publiques dans les mois à venir. Les implications du référendum (Building Bridge Initiative, BBI) seront importantes pour les élections qui suivront car il ambitionne de redéfinir la structure du gouvernement. Il demeure toutefois en discussion au Parlement, car sa tenue est controversée, sur le fond et sur la forme, dans un contexte où les rassemblements sont interdits et au vu du coût significatif de son organisation.
Les investisseurs étrangers sont passés outre les aléas politiques au cours des dernières années, et leur attrait pour le Kenya devrait être préservé dans ce contexte. Il demeure nécessaire comme source de financement et relais de croissance. La bonne résilience du marché obligataire privé au cours des derniers mois, relativement au marché régional, illustre la persistance de l’attractivité de l’économie kenyane. L’émission obligataire souveraine attendue cette année donnera le ton. À cet égard, le nouveau programme du FMI agit comme un élément positif.