Eco Emerging

En attendant le retour des touristes

15/04/2021
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Après une récession sévère en 2020, le rebond de la croissance en 2021-2022 sera modéré. Les principaux moteurs (consommation privée, secteur du tourisme) ont été fragilisés par la brusque rupture d’activité à partir du T2 2020, et la dynamique de la reprise reste soumise aux aléas de la situation sanitaire. Comme en 2020, les autorités profiteront des confortables marges de manœuvre dont elles disposaient avant la crise pour soutenir l’activité. À moyen et long terme, les tensions politiques, exacerbées par la crise économique, continueront de peser sur le potentiel de croissance thaïlandais.

Une reprise sans dynamisme

PRÉVISIONS

Après avoir reculé de 6,1% en 2020, le PIB devrait progresser de 3,2% en 2021 et 4,0% en 2022. L’arrêt de l’activité au T2 2020 (le PIB a reculé de plus de 12% en g.a.) et le maintien de mesures de distanciation sociale strictes pour une large partie du deuxième semestre ont pesé sur la demande interne.

En dépit du soutien massif des autorités, la consommation privée et l’investissement ont reculé de 1% et 4,8% respectivement en moyenne sur l’année. Dans le même temps, l’absence de touristes étrangers, les ruptures d’approvisionnement et la désynchronisation des chaines de valeur asiatiques ont provoqué un effondrement des exportations de biens et services (-19,4%).

Au-delà de l’effet de base, le rebond de la croissance devrait rester modéré en 2021. Les secteurs manufacturier et exportateur, dont les données mensuelles indiquent une reprise depuis le mois de juillet, soutiendront la croissance. Mais la composition des exportations thaïlandaises ne permettra pas de profiter à plein du dynamisme du secteur électronique observé dans les autres pays de l’ASEAN (les biens électroniques représentaient en 2019 moins de 15% du total des exportations thaïlandaises).

La dynamique de la reprise à court terme restera dépendante de l’évolution de la situation sanitaire. Une nouvelle vague de nouveaux cas, et les restrictions associées, pourraient freiner, voire interrompre, une reprise déjà fragile.

Bien que le pays ait été peu touché jusqu’ici (début avril 2021, 95 décès et moins de 30 000 cas avaient été recensés, soit seulement 419 cas pour 1 million d’habitants), le gouvernement a rétabli des restrictions strictes entre la mi-décembre et la mi-février (couvre-feu, fermeture des écoles, bars et restaurants, etc., mesures qui avaient progressivement été levées entre mai et août 2020). Le nombre de nouveaux cas quotidiens s’est établi à plus de 300 en moyenne au cours de cette période, après être resté inférieur à 5 entre mai et novembre. Depuis la mi-février, leur nombre s’est stabilisé à un niveau légèrement inférieur à 100.

Consécutivement, le rebond de la demande interne s’est interrompu au premier trimestre 2021. Alors qu’ils ont continûment progressé depuis le mois de juillet dernier, les indices de confiance des consommateurs et de consommation des ménages ont reculé au cours des mois de janvier et février. La consommation et l’investissement privés, fragilisés par la baisse du revenu des ménages en 2020 et la sous-utilisation des capacités de production, devraient rester atones au moins au premier semestre 2021. Les taux d’utilisation des capacités de production industrielle progressent depuis le mois de juin 2020 (de 51% en mai à 64% en février) mais restent nettement inférieurs à leur niveau de 2019 (68%).

TOURISTES ÉTRANGERS (MILLIONS PAR MOIS)

Le secteur du tourisme, dont le poids au sens large est estimé à plus de 20% du PIB, restera cette année encore très affaibli. Le gouvernement a annoncé plusieurs mesures destinées à favoriser la reprise de l’activité : au début du mois de décembre, les visiteurs étrangers en provenance de 56 pays ont été autorisés à se rendre en Thaïlande (les frontières étaient jusque-là demeurées fermées), mais à des conditions très contraignantes : le séjour devait durer un mois minimum, dont une période d’isolement de quatorze jours. À l’exception des pays dans lesquels des variants du Covid-19 circulent majoritairement, cette période d’isolement a été ramenée à dix jours depuis le 1er avril.

Surtout, le gouvernement a annoncé l’objectif d’ouvrir plus largement les principales destinations touristiques du pays dès le 1er juillet prochain, trois mois avant le reste du pays. Pour cela, les habitants de ces zones (les îles de Phuket et Koh Samui notamment) seront prioritaires dans la campagne de vaccination et les touristes vaccinés verront leur période d’isolement réduite à une semaine.

D’après les estimations de la banque centrale, ces mesures pourraient permettre d’accueillir trois millions de touristes au total en 2021. Pour rappel, le nombre de touristes a progressé continûment au cours des dix dernières années, et était proche de 40 millions en 2019. Ces estimations, même très basses, paraissent encore optimistes. Compte tenu du retard pris dans la campagne de vaccination, aussi bien en Thaïlande que dans les autres pays d’Asie (en 2019, les touristes en provenance des pays de l’ASEAN et de Chine représentaient plus de 55% du total), et des difficultés rencontrées par le gouvernement à obtenir le nombre nécessaire de doses, il est peu probable que le nombre de touristes étrangers augmente rapidement et que les recettes de tourisme redeviennent significatives avant le premier trimestre 2022.

La politique économique reste accommodante

Comme en 2020, les autorités continueront de soutenir l’économie. Au total, l’ensemble des mesures, y compris les garanties gouvernementales, a représenté près de 10% du PIB en 2020. Le gouvernement thaïlandais utilise pleinement les marges de manœuvre dont il dispose : jusqu’en 2019, le déficit budgétaire était contenu (proche de 3% en moyenne entre 2015 et 2019) et l’épargne fiscale conséquente. De plus, le niveau de la dette publique était modéré (à 41% en 2019) et son profil favorable. De nouvelles mesures ont été annoncées début janvier pour un montant de 1,3% du PIB (principalement sous forme d’exemption de taxes et de transferts vers les ménages les plus vulnérables) et d’autres pourraient être annoncées dans le courant de l’année.

Le déficit public devrait rester stable autour de 5% en 2021, et la dette publique progressera pour la deuxième année consécutive (autour de 55% du PIB, après 49% en 2020), sans augmenter significativement la vulnérabilité des finances publiques, au moins à court terme.

De la même manière, la politique monétaire restera accommodante. Après avoir baissé son taux directeur de 75 points de base en 2020 (à 0,5%), la banque centrale a laissé son taux inchangé depuis. De nouvelles baisses sont peu probables en 2021, mais de nouvelles mesures destinées à améliorer l’accès au crédit des PME et des ménages devraient être annoncées.

Persistance des tensions politiques

La crise sociale et politique qui perdure freine les perspectives de croissance à moyen et long terme. Elle dégrade l’attractivité du pays, et pèse sur les recettes du tourisme et surtout l’investissement (domestique et étranger).

Les tensions sociales se sont de nouveau significativement accrues au cours de l’année 2020. La faiblesse d’exécution des réformes promises au moment des dernières élections de 2019 et la crise économique ont exacerbé le sentiment de défiance envers les autorités.

Des manifestations pro-démocratie ont eu lieu à partir du mois de juillet dernier. D’abord à l’initiative d’étudiants, celles-ci se sont rapidement étendues à une part plus importante de la population. Les revendications des manifestants se sont avérées très diverses, allant de la situation économique aux réformes liberticides imposées par le gouvernement militaire. Les manifestations se sont interrompues en décembre et janvier, au moment du rétablissement des mesures de distanciation sociale, Bangkok (principal lieu des manifestations, mais aussi province dans laquelle le taux d’incidence était le plus élevé) étant soumise à des restrictions contraignantes.

Les manifestations ont repris dès le début du mois de février et il est probable que le climat politique reste tendu, voire se détériore encore davantage une fois la situation sanitaire stabilisée. La principale demande adressée au gouvernement - modifier la constitution afin d’amoindrir l’influence de l’armée sur la politique intérieure et les différentes institutions publiques - a peu de chances d’être satisfaite. Pour mémoire, le gouvernement militaire, au pouvoir depuis le coup d’État de 2014, a rédigé en 2016 et fait voter en 2017 une constitution en sa faveur, pérennisant sa présence au pouvoir. La vie politique et économique est encadrée par le « plan stratégique » (rédigé par les militaires dans leur intérêt), inscrit dans la constitution. Les élections de 2019 ont d’ailleurs conforté la présence du gouvernement militaire à la tête du pays.

ENTRÉES D’IDE (% DU PIB)

La recrudescence des tensions politiques et la multiplication des revendications populaires dans les mois, voire les années, à venir ne signifie pas forcément qu’un changement radical de régime se profile. Compte tenu du fonctionnement politique et social du pays, et de son histoire politique récente, Il semble plus vraisemblable que les tensions persistent sans que la crise sociale et politique ne soit résolue.

Le risque politique, faiblesse structurelle de la Thaïlande, reste donc la principale menace sur la croissance. À court et moyen terme, la défiance des investisseurs domestiques et étrangers pèsera sur la reprise, et donc sur l’augmentation des revenus des ménages et les perspectives d’amélioration du marché du travail, mais aussi sur l’évolution du positionnement du pays dans les chaînes de valeur asiatiques. L’instabilité politique chronique du pays continue également d’empêcher la mise en place de réformes structurelles nécessaires pour répondre au vieillissement de la population, au manque d’infrastructures, et au risque grandissant pour le pays de ne pas parvenir à sortir du piège du revenu intermédiaire.

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