À l’issue des « deux sessions », temps fort de la vie politique chinoise, Pékin a annoncé ses objectifs économiques pour 2021 ainsi que les priorités du nouveau Plan quinquennal. En fixant pour cette année une cible de croissance simplement « supérieure à 6% », soit un taux en dessous des prévisions, les autorités signalent que le redressement de l’activité à la suite du choc de la Covid-19 est désormais moins au centre de leurs préoccupations. Elles devraient donc poursuivre le resserrement prudent de la politique monétaire et réduire progressivement les mesures de soutien budgétaire. Surtout, les autorités réaffirment leur stratégie de développement à moyen terme visant, notamment, à accroître fortement l’innovation et l’indépendance technologique de la Chine.
Le rebond a atteint son pic, la croissance reste vigoureuse
L’économie chinoise a fini l’année 2020 sur une croissance solide (+6,5% en glissement annuel au T4). La production industrielle et les exportations affichaient une performance toujours robuste, au-delà du rattrapage. La consommation privée et les services continuaient de combler leur retard après un redémarrage beaucoup plus tardif suite à la période de confinement du premier trimestre.
La lecture des indicateurs conjoncturels du début d’année est compliquée par d’importants effets de base liés à l’arrêt brutal de l’activité au T1 2020. Ainsi, sur les deux premiers mois de 2021, les taux de croissance de la production industrielle, de l’activité des services, de l’investissement et des ventes au détail, calculés en glissement annuel (g.a.), sont tous hors normes (supérieurs à 30%).
Du côté de l’offre, la production industrielle est manifestement restée solide, en dépit de quelques signes de ralentissement dans le secteur automobile (environ 15% de l’activité industrielle) résultant de la pénurie mondiale de puces électroniques. La production industrielle a continué de bénéficier du dynamisme de la demande extérieure. La progression des exportations a de fait atteint 60% en g.a. en janvier-février 2021, toujours soutenue par les ventes de biens technologiques et de matériels médicaux, ainsi que de biens de consommation courante et de pièces automobiles.
En revanche, la demande interne a légèrement perdu en vigueur en début d’année, à l’exception notable de l’investissement immobilier. La consommation privée de biens et de services a été freinée par les nouvelles restrictions de déplacement imposées fin janvier et au mois de février en réponse à la hausse des contaminations dans les régions autour de Pékin et au nord-est du pays.
En outre, les ménages restent fragilisés par la détérioration de leurs revenus l’an dernier et un marché du travail encore dégradé. Après avoir baissé continûment depuis le printemps 2020, le taux de chômage urbain a augmenté en janvier-février (passant à 5,5% contre 5,2% en décembre). De plus, le taux de précarité est supérieur à son niveau d’avant-crise. Enfin, environ 5 millions de travailleurs migrants qui avaient perdu leur emploi au T1 2020 (non comptabilisés comme chômeurs) n’ont pas encore retrouvé de poste (286 millions d’emplois étaient occupés par les travailleurs migrants fin 2020).
Il est probable que la consommation privée se renforce à nouveau à court terme, ne serait-ce qu’en raison du contexte sanitaire. L’épidémie est sous contrôle, les restrictions de déplacement sont levées et la campagne de vaccination, très lente jusqu’à mi-mars, devrait accélérer. Les autorités semblent aussi envisager quelques mesures ponctuelles pour encourager les dépenses des ménages.
Du côté de l’investissement, les entreprises du secteur manufacturier ont été très prudentes en début d’année. L’investissement manufacturier devrait néanmoins également se renforcer à court terme, puisque les perspectives d’exportations restent bonnes, que les taux d’utilisation des capacités de production sont élevés (78% au T4 2020, soit le niveau le plus haut depuis trois ans) et que les profits sont en hausse. Cette dynamique accompagne le rebond des prix à la production (+1% en g.a. en janvier-février après 18 mois de déflation), entraînés par la hausse des prix des matières premières industrielles. En outre, les efforts prévus par les autorités pour augmenter l’investissement dans les secteurs technologiques devraient être visibles rapidement.
Normalisation prudente de la politique économique
À l’issue des sessions plénières annuelles en mars de l’Assemblée nationale populaire et de la Conférence consultative politique du peuple chinois – deux institutions centrales du système politique chinois – les autorités ont dévoilé leurs principaux objectifs macroéconomiques pour 2021. Le taux de croissance du PIB devra être « supérieur à 6% » et l’inflation s’établir à 3%. En fixant une cible de croissance bien en dessous des prévisions, les autorités signalent que le redressement de l’activité est désormais moins au centre de leurs préoccupations. Elles élargissent la marge de manœuvre de la politique économique afin, notamment, de mieux combattre les risques dans le secteur financier.
À court terme, elles devraient viser une stabilisation de l’endettement des entreprises et des administrations publiques, après la forte hausse de l’an dernier (la dette interne du secteur non financier était estimée à 280% du PIB fin 2020, contre 255% fin 2019), et sans pour autant menacer le redressement économique ni aggraver les difficultés des entreprises encore fragilisées par la crise sanitaire.
Cela passera par le resserrement prudent de la politique de crédit (principalement via l’ajustement du cadre prudentiel) ainsi que par le ralentissement des projets d’infrastructures, qui sont essentiellement financés par l’endettement obligataire des collectivités locales sur les marchés locaux. De fait, Pékin a réduit (très modérément) leurs quotas d’émissions d’obligations autorisées en 2021, ainsi que celui du gouvernement central (le total de ces quotas a été fixé à RMB 7 200 mds pour 2021, contre RMB 8 500 mds en 2020). Les autorités ont également abaissé l’objectif de déficit « officiel » du gouvernement, à 3,2% du PIB pour 2021 contre 3,6% en 2020. Ces mesures annoncent un retrait très progressif et prudent des mesures de soutien budgétaires et quasi-budgétaires dans l’année à venir.
L’investissement dans les infrastructures publiques a déjà marqué le pas ces derniers mois, et cette dynamique devrait donc se poursuivre. Au contraire, l’investissement immobilier ne montrait toujours pas de signes de ralentissement début 2021, malgré les nouvelles règles prudentielles imposées aux promoteurs immobiliers depuis août 2020. Les transactions immobilières restent encouragées par des taux d’intérêt faibles et l’épargne élevée des ménages. L’inflation des prix des logements a même légèrement accéléré en janvier-février (+2,7% en g.a.) après avoir été relativement stable depuis le printemps.
Le 14e Plan quinquennal
Les autorités ont également dévoilé le mois dernier les objectifs du nouveau Plan quinquennal pour 2021-2025. Le développement du secteur technologique est au cœur de la stratégie de Pékin. La Chine vise à réduire fortement sa dépendance vis-à-vis des biens et savoir-faire technologiques étrangers et à devenir leader mondial dans le domaine scientifique. Le pays envisage d’augmenter les dépenses en recherche & développement d’au moins 7% par an (elles ont augmenté de 10% en 2020), et d’accroître plus particulièrement les efforts en recherche fondamentale et le nombre de brevets à fort contenu technique (qui devra passer de 6,3 brevets pour 10 000 habitants en 2020 à 12 en 2025). Ceci devrait accélérer le rattrapage de la Chine avec les pays plus avancés. L’industrie manufacturière devra renforcer sa montée en gamme, et la part de l’économie digitale devra augmenter de 7,8% du PIB en 2020 à 10% en 2025. Pour aider les entreprises, les autorités ont annoncé diverses mesures, telles que des déductions fiscales et des aides financières.
Les autres réformes envisagées dans le 14e Plan quinquennal ne sont pas aussi précisément détaillées, mais les défis et les objectifs à moyen et long terme sont identifiés. Pékin vise « la prospérité commune ». Le développement industriel, économique et social reposera certes sur la technologie, mais l’accent sera également mis sur le renforcement du système de santé et de protection sociale, la redistribution des richesses et la réduction des inégalités, ou encore sur la réforme du système de Hukou pour améliorer l’accès de l’ensemble de la population aux services publics.
Le vieillissement de la population est également identifié comme un défi majeur. L’âge médian de la population est passé de 30,8 ans en 2010 à 38,4 ans en 2020 (similaire à celui des États-Unis), la population active est en baisse continue depuis 2013, et le ratio de dépendance a augmenté de 36,5% de la population active en 2010 à 41,4% en 2020. Des mesures sont envisagées pour encourager la natalité, retarder l’âge de départ à la retraite (actuellement de seulement 50-55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes) et allonger la durée moyenne des études. L’amélioration de la qualité de l’éducation, comme les efforts d’innovation, doivent contribuer au renforcement de la productivité. Enfin, l’amélioration de la « qualité de la croissance » passera par le développement des industries vertes et des mesures de lutte contre le réchauffement climatique ; Pékin ambitionne ainsi d’atteindre la neutralité carbone en 2060.