La crise sanitaire continue de s’aggraver et de pénaliser l’activité économique, au point d’entretenir un risque récessif au premier semestre 2021. Dans ce contexte, la confiance s’érode et les marchés financiers se replient. La campagne de vaccination, après avoir a été confrontée à d’importants défis logistiques, accélère depuis mi-mars et laisse présager, à l’aune des nouvelles mesures de confinement, une inflexion de la courbe épidémique dans les deux prochains mois. Face à une remontée de l’inflation et des anticipations, la banque centrale a entamé son cycle de resserrement monétaire, aggravant les risques budgétaires compte tenu du ralentissement économique et de la forte charge d’intérêts qui pèse sur la dette souveraine. Bien que fragilisés par la crise, les indicateurs de la solidité financière du système bancaire restent très favorables.
Covid-19 : situation sanitaire critique …
Confronté au variant P1 du coronavirus (en provenance d’Amazonie) et à des pénuries de médicaments et d’oxygène, le Brésil connaît le pire moment de la pandémie. L’épidémie continue d’accélérer dans toutes les régions du pays à l’exception de certains États du sud où la situation se stabilise. Le variant, plus contagieux, serait responsable de la majorité des nouveaux cas et toucherait des malades de plus en plus jeunes (plus de 30% ont moins de 60 ans).
Le taux de mortalité a doublé en un mois de sorte que fin mars le pays représentait un quart des nouveaux décès dans le monde ; 17 États sur 26 affichent des taux d’occupation des lits en soins intensifs de plus de 90%, dont trois qui n’ont plus de lits disponibles. Des études montrent que le variant pourrait échapper aux anticorps produits par des infections antérieures et certains vaccins, facilitant ainsi les réinfections.
Les vaccinations ont débuté mi-janvier et sont à date très insuffisantes pour freiner la progression de l’épidémie. Fin mars, 8,5% de la population aurait reçu une première dose du vaccin (et environ 2% aurait reçu 2 doses). Plusieurs États ont fait face à des pénuries de vaccins et ont dû interrompre leur campagne (y compris à Rio de Janeiro). Depuis la mi-mars, le rythme des vaccinations s’est toutefois accéléré et devrait monter en régime en avril grâce à une plus grande disponibilité de doses (le pays a fait appel à la quasi-totalité des fournisseurs de vaccins et a autorisé les gouvernements locaux et des entreprises privés à passer des commandes). En supposant que la vaccination se maintienne à 600 000 doses par jour en moyenne et que les restrictions mises en place par les élus locaux au cours des dernières semaines portent leurs fruits (couvre-feu, fermeture de commerces non essentiels, avancement des vacances scolaires, etc.), l’épidémie pourrait atteindre un point d’inflexion en mai. Le Brésil espère vacciner la moitié de sa population d’ici fin 2021.
… à forts enjeux politiques
Face à un contexte sanitaire très dégradé, la remontée de l’inflation et le retour de l’ex-président Lula (2003-2011) sur la scène politique, le président Bolsonaro est de nouveau sous pression et sa popularité – un temps portée par les aides d’urgence – s’effrite, y compris au sein d’une partie de sa base électorale. La décision prise, en février dernier, par le procureur de la République de démanteler l’opération anti-corruption Lava Jato (qui avait envoyé Lula en prison) et l’annulation début mars de la condamnation de l’ancien président par un juge de la Cour suprême1 a par ailleurs relancé les spéculations quant à une possible bataille électorale entre les deux hommes en 2022.
Vers une contraction de l’activité au T1...voire au T2
Marqués par l’aggravation de la pandémie et le retrait des soutiens budgétaires, les indicateurs d’activité s’essoufflent et pointent vers une contraction du PIB au T1. La bonne tenue de l’activité en janvier aura, en effet, été de courte durée – en témoigne la production industrielle, qui s’est repliée en février (-0,7% m/m) pour la première fois depuis 10 mois, tirée par la baisse de la production automobile et minière. En mars, les indices PMI montrent que l’activité dans les services a continué de se contracter (3e mois consécutif) et que la production dans le secteur manufacturier a reculé. Du côté de la demande, la fin des aides d’urgence a entamé les capacités de consommation des ménages. Enfin, malgré la baisse du real et le fort redressement des termes de l’échange, la contribution du commerce extérieur à la croissance devrait être limitée par la hausse plus rapide que prévu des importations (hausse liée en grande partie aux achats de plateformes de forage pétrolier).
Les perspectives à court terme se sont assombries et pourraient se solder par une récession technique au S1. Certes, la consommation des ménages devrait profiter de l’extension de l’aide d’urgence aux plus vulnérables votée en mars, mais elle sera plus limitée que lors de la première vague. En outre, la remontée de l’inflation et la forte chute des indicateurs de confiance des ménages laissent présager un surcroît de prudence de la part des consommateurs.
Du côté de l’offre, si l’agriculture devrait continuer de bien se tenir, les services vont pâtir des récentes restrictions de déplacement. L’activité industrielle devrait subir les effets du repli des nouvelles commandes dans le secteur manufacturier, de la poursuite du ralentissement de la construction civile observé depuis janvier et des suspensions d’activité de sept gros producteurs automobiles pendant une partie du mois d’avril. Le secteur automobile, qui a vu ses ventes s’effondrer en 2020 (-21,6%), a aussi été marqué par la fermeture en janvier des trois usines du constructeur Ford qui a décidé de se retirer du pays. Au S2 2021, les perspectives devraient s’améliorer (déploiement plus large de la vaccination, croissance mondiale plus forte), mais la prolongation des mesures de confinement demeure un risque baissier fort (d’après l’IFI, celles-ci couteraient 1 point de PIB lorsque 50% de l’activité est paralysée).
Le repli de la Bourse (-6%) et de la monnaie (environ 10%) depuis le début de l’année est symptomatique des inquiétudes qui pèsent sur l’économie. Il est aussi le reflet d’une montée des risques politiques du fait d’un plus grand interventionnisme d’État (la nomination par Bolsonaro d’un militaire de réserve à la tête de Petrobras a temporairement fait perdre 20% au cours boursier du géant pétrolier), mais aussi d’un risque de montée du populisme alimentant des craintes de dérapages budgétaires. La perception en hausse du risque souverain (depuis janvier le CDS à 5 ans est passé de 145 à 224 points de base [pb] et la prime de risque sur les rendements à 10 ans est proche de son pic de 2015) intervient alors qu’environ BRL 350 mds (4,7% du PIB) de dette obligataire arrive à échéance en avril, un record.
Resserrement monétaire et pressions budgétaires
La remontée plus rapide que prévu de l’indice des prix IPCA (+5,2% en février, tiré par la hausse du cout de transports) a poussé la banque centrale (BCB) à remonter ses taux en mars, une première depuis 6 ans. La hausse de 75 pb du taux SELIC (maintenu à 2% depuis août 2020) pourrait s’accompagner d’un resserrement de même ampleur en mai. La BCB anticipe une inflation à 5% en fin d’année, proche de la borne supérieure de la cible (3,75% +/- 1,5 point).
La BCB souhaite éviter un décrochage des anticipations d’inflation dans un contexte marqué par la hausse du prix des matières premières, la faiblesse continue de la monnaie et la hausse des primes de risque sur la partie longue de la courbe des taux. Cette hausse intervient aussi à un moment où l’appétit des investisseurs pour les actifs émergents se réduit du fait de la remontée des taux longs réels américains. L’appréciation du dollar US qu’elle entretient pourrait en effet faire encourir un risque inflationniste plus important en renchérissant le prix des importations.
Au moment où l’épidémie s’emballe et l’économie ralentit, la hausse des taux représente un risque budgétaire supplémentaire pour l’État. Une hausse d’un point du SELIC équivaut à une charge d’intérêt supplémentaire d’environ BRL 30 à 35 mds pour le Trésor, soit environ 2/3 du montant de l’aide d’urgence approuvée en mars. D’autant que les marges de manœuvre pour engager des dépenses discrétionnaires sont déjà très faibles (environ 5% du budget) et devraient s’amoindrir davantage encore cette année2.
Secteur bancaire : de bonnes capacités de résistance
L’arrivée des échéances de remboursement des prêts restructurés devrait entraîner une hausse des créances douteuses au bilan des banques en 2021, d’autant que les capacités de paiements des entreprises et des ménages se sont affaiblies. La dette des ménages s’est creusée et le chômage a augmenté (14,7% en janvier). La participation au marché du travail a chuté de 5,1 point de pourcentage en 2020, tandis que la masse salariale en termes réels continue de se contracter poussant les ratios de service de dette des ménages à augmenter rapidement. Les entreprises, déjà fragilisées par trois récessions au cours des 6 dernières années, affichent aussi des niveaux d’endettement plus élevés. Toutefois, grâce à la hausse de l’épargne de précaution et aux programmes d’urgence de soutien au crédit (Pronampe, PEAC), elles affichent de meilleurs ratios de trésorerie, notamment par rapport à leur dette à court terme.
Les banques – en dépit de la forte chute de leurs profits et de leurs rendements sur fonds propres – demeurent bien positionnées pour absorber des pertes et des chocs de liquidité. Le système bancaire affiche en effet i/ des ratios de solvabilité élevés (16,7% de fonds propres sur actifs pondérés), ii/ une très bonne couverture des engagements à court terme par des actifs liquides, iii/ une faible dépendance au financement de marché avec un ratio de crédits sur dépôts de plus de 90%, iv/ de faibles taux de créances douteuses à 90 jours (entre 3% et 4% depuis 5 ans), et v/ des bilans peu exposés au risque de change. Même si elles ont baissé, les marges d’intermédiation des banques restent élevées (spread de taux à 15,6 pp). En outre, les stress-tests de la BCB montrent une bonne résistance des portefeuilles bancaires à une remontée des taux.