Après avoir enregistré une contraction de l’activité de 2,1% en 2020, le rebond de l’économie indonésienne devrait être modeste en 2021. La demande intérieure peine à redémarrer. Le moral des ménages reste bas et une recrudescence de l’épidémie pourrait fragiliser la reprise alors qu’une très faible partie de la population est vaccinée. Par ailleurs, en dépit d’une politique monétaire très expansionniste, le crédit bancaire continue de reculer. La situation financière des entreprises indonésiennes était plus fragile que celle des autres pays de l’ASEAN avant la crise de la Covid-19. Elles vont chercher à consolider leurs positions plutôt qu’à investir dans un environnement incertain. Le secteur bancaire reste solide et est en mesure de faire face à la hausse des risques de crédit.
Un rebond modeste en 2021
En 2020, pour la première fois depuis 1998, l’économie indonésienne a enregistré une contraction de son PIB réel (-2,1%). Par ailleurs, son rebond devrait être modeste et inférieur à son potentiel de croissance en 2021.
Au T4 2020, l’activité s’est encore contractée de 2,2% par rapport au même trimestre 2019 et sur les deux premiers mois de l’année 2021, l’activité était toujours inférieure à son niveau de fin 2019. La demande intérieure, principal moteur de la croissance, restait fragile. Les ventes au détail étaient encore 24% en deçà de leur niveau d’avant crise. L’augmentation des prix du pétrole pourrait peser sur la reprise, même si en février, la hausse des prix à la consommation (+1,4% en glissement annuel) restait très inférieure à la cible de 3% +/-1 point de pourcentage (pp) des autorités monétaires.
La confiance des ménages reste faible. Ces derniers ont été durement touchés par la crise en raison des contraintes sanitaires mais aussi des pertes de revenus générées par la baisse de l’emploi, alors qu’une partie importante de la population ne bénéficie d’aucune protection sociale (la part de l’emploi informel est estimée à plus de 60% par l’Agence centrale de la statistique indonésienne). En outre, au regard des derniers résultats d’enquête auprès des ménages comme des entreprises, la situation sur le marché de l’emploi était encore fragile sur les premiers mois de 2021.
Les entrepreneurs semblent plus confiants que les ménages. L’indice PMI dans le secteur manufacturier était au-dessus de 50 en mars, pour le cinquième mois consécutif. La hausse des importations (hors pétrole et gaz) en février, et notamment des importations de biens en capital, confirme la reprise dans l’industrie. Cependant, les investissements ne devraient pas redémarrer de manière significative avant le second semestre. En effet, bien que les conditions financières soient considérées par les entrepreneurs comme étant meilleures qu’avant la crise de la Covid-19, les facilités d’obtention d’un crédit leur paraissent moins souples. En outre, le taux d’utilisation des capacités de production, bien qu’en hausse, reste inférieur à sa moyenne de long terme.
Le rebond pourrait toutefois être fragilisé par une recrudescence de l’épidémie de Covid-19 même si elle semble avoir perdu en intensité depuis le début du mois de février. La vaccination reste encore très insuffisante pour protéger la population contre une éventuelle seconde vague. Fin mars, seulement 2,4% de la population avait reçu une première dose de vaccin.
C’est dans ce contexte que la Banque centrale indonésienne a abaissé ses taux directeurs de 25 points de base (pb) à 3,5% en février dernier afin de soutenir son économie, alors même que d’autres banques centrales commençaient à les relever.
Depuis février 2020, les taux ont ainsi été abaissés de 150 points de base (pb). La politique d’assouplissement monétaire pourrait néanmoins être perturbée par la hausse des prix du pétrole et la remontée des taux longs américains. Celle-ci a généré des sorties de capitaux et des pressions à la baisse sur la roupie (-4,3% face au dollar sur les trois premiers mois de l’année 2021).
Un budget pour soutenir la reprise
En 2021, l’activité économique indonésienne devrait bénéficier de la hausse des dépenses publiques de près de 7% par rapport à l’année 2020[i]. Le ministère des Finances projette notamment d’accroître les investissements en infrastructures (+47,3%), mais aussi les dépenses de protection sociale et de santé, d’éducation, et d’équipements en nouvelles technologie de l’information et de la communication. Pour faciliter le financement des dépenses d’infrastructures, un fonds souverain a été créé et doté initialement de USD 5 mds par le gouvernement, qui espère atteindre la valeur de USD 20 mds grâce aux investissements privés et publics.
En dépit d’un rebond de la croissance compris entre 4,5% et 5%, la hausse des recettes devrait rester modeste (+6,7%) selon le ministère des Finances.
Pour l’année 2021, le gouvernement prévoit donc une baisse limitée de son déficit budgétaire à 5,5% du PIB (contre 6,2% du PIB en 2020). Par ailleurs, à horizon 2023, l’objectif du gouvernement de réduire le déficit à 3% du PIB semble difficile à atteindre, à moins qu’il ne réduise drastiquement ses dépenses. En effet, la baisse du taux d’imposition sur les sociétés et les différents allègements prévus dans le cadre de la Omnibus Law devraient peser sur ses revenus.
Dans un tel contexte, la dette progresserait de près de 3 points de pourcentage en 2021 pour atteindre 43,5% du PIB, mais resterait encore inférieure à celle d’autres pays de l’ASEAN, comme la Malaisie. Néanmoins, deux sources d’inquiétude demeurent : le paiement des intérêts sur la dette va mobiliser plus de 21,4% des recettes et le marché obligataire domestique ne pourra seul couvrir les besoins de financement de l’État. En outre, depuis mars 2020, les investisseurs étrangers ont limité leurs achats de dette indonésienne émise en roupies. Ils en détenaient 24,9% en janvier 2021 (contre 38,6% fin 2019). Pour pallier cette difficulté et contenir les coûts d’emprunt, la banque centrale va continuer d’acheter des obligations d’État sur le marché primaire, comme en 2020.
Une politique monétaire très expansionniste
En 2020, la banque centrale a contribué à soutenir l’économie en menant une politique monétaire très expansionniste. En complément des baisses de taux directeurs, elle a injecté l’équivalent de IDR 750,4 trn dans l’économie (i.e. 4,9% du PIB), non seulement en achetant des obligations d’État pour un montant de IDR 473,5 trn (3% du PIB), mais aussi en abaissant très sensiblement les ratios de réserves obligatoires des banques, générant une hausse de la liquidité de l’ensemble du secteur de IDR 155 trn. Ainsi, au T2 2020, le ratio de liquidité à court terme (liquidity coverage ratio) atteignait 226,2%.
En février 2021, pour soutenir la reprise du crédit, la banque centrale a également supprimé l’acompte requis pour les prêts hypothécaires et les crédits automobiles (pour les banques dont le ratio de créances douteuses était inférieur à 3,5%). Toutefois, la baisse du coût du crédit bancaire a été limitée. Les taux des crédits destinés aux investissements n’ont baissé, en moyenne, que de 90 pb, et les taux des crédits à la consommation de 50 pb.
La politique de soutien à l’économie mise en place conjointement par le gouvernement et la banque centrale a permis de soutenir les agents les plus affectés par la crise, et notamment les petites et moyennes entreprises qui ont bénéficié de restructurations de dette et de prêts garantis par l’État. Pour autant, le crédit bancaire dans son ensemble s’est contracté. En janvier 2021, le crédit aux entreprises affichait encore une baisse de 4% par rapport à la même période l’année dernière, alors que le crédit aux ménages augmentait de seulement 0,6%. Les banques restent donc extrêmement prudentes dans leur politique d’octroi de crédit.
Les risques de crédit restent contenus
Le secteur bancaire est, jusqu’à présent, resté solide, en dépit d’une baisse de la rentabilité. Le rendement par actif et le rendement des capitaux propres se sont ainsi abaissés à seulement 1,5% et 10,2% fin 2020 (contre 2,5% et 16% fin 2019).
Fin 2020, la qualité des actifs restait très satisfaisante : le ratio de créances douteuses atteignait seulement 3,2% en février 2021 (contre 2,8% un an plus tôt). Néanmoins, ce ratio diffère selon les secteurs d’activité (il atteint près de 4,9% dans le commerce) et, surtout, il sous-estime très certainement la réalité car les banques peuvent attendre jusqu’au 31 mars 2022 pour déclarer les prêts comme étant « non performants ». En outre, selon Standard & Poor’s, les restructurations de prêts ont augmenté de 18% en 2020.
Par ailleurs, la situation des entreprises, déjà fragile avant la crise de la Covid-19[ii], s’est détériorée avec la contraction de leurs chiffres d’affaires. Selon la banque centrale, au T2 2020, les bénéfices ne couvraient en moyenne que 0,5 fois le paiement des intérêts sur la dette. Ce ratio était inférieur à 1 dans tous les secteurs d’activité hormis l’industrie minière. Cette dégradation présage d’une forte hausse des risques de crédit.
Les banques dans leur ensemble ont cependant les capacités de faire face à la dégradation attendue de la qualité de leurs actifs. Elles ont augmenté leurs provisions (le taux de provisionnement s’élevait à 66,3% au Q3 2020 selon le FMI contre 53,3% fin 2019) et leur ratio de solvabilité restait globalement très confortable en décembre 2020 (23,8%).