Trente ans après la réunification
La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, a marqué le début du processus de réunification de l’Allemagne. L’année suivante, la RDA (République démocratique d’Allemagne) votait sa propre dissolution et rejoignait officiellement la République fédérale le 3 octobre 1990. Berlin est alors devenue la capitale du pays réunifié et le nombre d’États (Länder) est passé de dix à seize. Le 30e anniversaire de la réunification du pays est l’occasion d’analyser la convergence entre les nouveaux et les anciens Länder[1].
Trente ans est une longue période. Cependant, en regardant les niveaux du revenu disponible, un rideau invisible semble encore séparer les parties occidentale et orientale du pays (Graphique 1).
Au début des années 1990, les économistes se demandaient combien de temps prendrait la convergence entre l’Allemagne de l’Ouest et celle de l’Est. Dès 1991, dans une tribune du Wall Street Journal, Robert J. Barro mettait en garde contre un excès d’optimisme[2]. La convergence, d’après lui, est un processus long : aux États-Unis, la réduction de l’écart entre États pauvres et riches s’est faite au rythme d’environ 2 % par an[3]. Autrement dit, il faudrait environ trente-cinq ans pour que le fossé initial se comble de moitié. Si l’on regarde les niveaux de productivité de la main-d’œuvre, l’estimation de Barro semble assez juste depuis 1995 (Graphique 2).
Des niveaux de productivité plus faibles dans l’Est
La principale explication de ces disparités tient à des niveaux de salaires et de productivité dans l’ex-RDA qui restent bien inférieurs à ceux de l’ancienne Allemagne de l’Ouest. Entre 1991 et 1996, l’écart de productivité s’est rapidement réduit (Graphique 1). Cependant, après 1996, la progression de la convergence a considérablement ralenti, de sorte qu’en 2018 le taux de productivité à l’est représentait à peine 80% de celui à l’ouest. On observe une évolution similaire en termes de salaires.
La comparaison au plan sectoriel permet des observations intéressantes (Graphique 3). Dans tous les secteurs, le salaire horaire des Länder de l’Est converge peu à peu vers les niveaux de l’Ouest. Le secteur public y a, de toute évidence, largement contribué. Depuis 2014, l’écart est inférieur à 10 %. Les grilles salariales spéciales, en vigueur dans la partie orientale du pays, ont été abolies en 2019. Néanmoins, des écarts de revenus peuvent persister, car la composition des catégories et échelons varie d’une région à l’autre. C’est ainsi que les agents de la fonction publique de Berlin, la capitale fédérale, perçoivent le salaire moyen le plus élevé (en 2017, EUR 33, contre EUR 31 à l’ouest et EUR 29 à l’est).
C’est dans l’industrie manufacturière que le différentiel des salaires est le plus élevé. Dans ce secteur, le niveau des salaires moyens dans les Länder de l’est est égal à 60 % environ de ceux de l’ouest et aucune convergence ou presque n’a été observée depuis 2000. Cet écart significatif trouve son origine dans le douloureux processus de restructuration industrielle qui a suivi la réunification. Les entreprises d’État de l’ex-RDA n’étaient pas en mesure de concurrencer les sociétés de la partie occidentale. Le gouvernement a alors chargé la «Treuhand » de restructurer et privatiser le secteur. Les repreneurs étaient en général des entreprises ouest-allemandes, et les sociétés qui n’ont pas trouvé preneur ont dû être fermées. Au début des années 1990, la part du secteur manufacturier dans le PIB des nouveaux Länder s’est contractée, passant de près de 35 % à un peu plus de 10 %.
Les sièges et centres de recherche, employant un personnel hautement qualifié, sont restés à l’Ouest. Cela a eu l’effet d’un aimant sur la jeunesse de l’Est. De plus, les salaires relativement bas, pratiqués dans les nouveaux Länder, n’ont pas réussi à attirer de nouvelles entreprises. Les industriels à la recherche de sites de production bon marché ont préféré ouvrir des usines dans les économies en transition environnantes comme la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie, où les niveaux des salaires sont nettement plus faibles.
Ce n’est que dans le secteur très étroit de l’agriculture - moins de 1% du total des heures ouvrées en Allemagne - que les salaires versés dans l’Est sont légèrement supérieurs à ceux de l’Ouest depuis 2008. C’est aussi le secteur où le salaire horaire est le plus bas : EUR 17 contre EUR 32 pour l’ensemble de l’économie.
Migrations internes : un important moteur de convergence, mais un coût social élevé
Dans l’ex-RDA, le chômage était inexistant ou presque. Or, peu de temps après la réunification, avec la fermeture des usines, il est monté en flèche dans les nouveaux Länder, atteignant un pic de 27 % en 2004, soit environ 16 points de pourcentage de plus que dans la partie occidentale du pays. Ces dernières années, la situation s’est considérablement améliorée. Le chômage reste plus élevé dans l’Est que dans l’Ouest (cf. graphique 4), mais l’écart s’est fortement réduit. En 2019, d’après la définition nationale, le taux de chômage dans la partie occidentale s’est élevé à 5,4% contre 6,2% dans la partie orientale. À l’est comme à l’ouest, environ un tiers des demandeurs d’emploi était au chômage depuis plus d’un an.
Les flux migratoires d’est en ouest, induits par les inégalités de niveaux de vie et de rémunérations ont, dans une large mesure, contribué à cette convergence. Entre 1990 et 2016, les nouveaux Länder ont perdu 1,2 million d’habitants : 3,6 millions d’Allemands de l’ex-RDA sont partis à l’ouest et seulement 2,4 millions de personnes ont fait le chemin inverse (Graphique 5). La plupart de ceux qui ont migré étant en âge de travailler, la diminution de la tranche d’âge des 15-65 ans a été d’autant plus impressionnante. Entre 1992 et 2016, les nouveaux ainsi Länder ont perdu 2,2 millions de personnes dans ce groupe, soit environ un quart de la population en âge de travailler.
Cela n’a pas été sans conséquence. Avant la réunification, la population des Länder de l’Est était, en moyenne, bien plus jeune que dans ceux de l’Ouest, en raison des politiques natalistes du régime communiste qui encourageaient la procréation à un âge jeune. En revanche, en République fédérale, les mariages étaient plus tardifs et le taux de fécondité est même tombé en dessous du taux de remplacement. En 1991, l’âge médian dans les Länder de l’Est allait de 33,1 ans dans le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale à 37,4 ans en Saxe ; dans les anciens Länder, il se situait entre 36,8 ans dans le Bade-Wurtemberg et 40,9 ans à Hambourg. Avec le départ des jeunes et l’augmentation consécutive de la part des personnes âgées, restées à l’est, on a assisté à un vieillissement démographique rapide dans les nouveaux Länder. Trois décennies plus tard, la population la plus âgée vit dans les Länder de l’Est (Graphique 6). Dans le Brandebourg et en Saxe-Anhalt, l’âge médian est même supérieur à 50 ans. En revanche, c’est dans les villes-États de Hambourg (41), Berlin (41,4) et Brême (43,9) ainsi que dans les Länder méridionaux du Bade-Wurtemberg (44,4) et de Bavière (44,9) que l’on trouve les populations les plus jeunes. Conséquence, les infrastructures sociales ont changé à l’est. Des écoles et des bibliothèques ont dû fermer leurs portes et les transports publics se sont raréfiés. Ces facteurs ont non seulement découragé les familles de s’installer à l’est du pays, mais ils ont aussi créé un ressentiment, qui s’est manifesté par la montée de l’extrémisme politique[4].
Depuis 2014, les flux migratoires entre les deux régions, de l’ordre de 90 000 personnes, sont quasiment équivalents, une situation liée, en partie, à l’amélioration des perspectives d’emploi dans les nouveaux Länder. Une grande partie des personnes qui migrent dans l’Est sont originaires de cette région. Ce sont des Rückwanderer, des migrants de retour dans leur région d’origine. Parmi eux figurent nombre de retraités qui, après avoir passé leur vie active dans l’Ouest, se réinstallent dans leur région d’origine, où le coût de la vie est moins élevé.
Pour les autorités locales, les Rückwanderer et les compétences qu’ils ont acquises dans l’Ouest constituent un atout précieux pour leur région. La chambre de commerce du Land de Saxe a ainsi créé un site web (Sachse komm zurück) pour accompagner le retour de ces migrants.
L’Est et l’Ouest peuvent se rejoindre sur le plan démographique
Trente ans après la réunification, les disparités entre les anciens et les nouveaux Länder se sont considérablement réduites. Dans certains secteurs, les écarts de revenus ont presque complètement disparu et les taux de chômage se sont rapprochés des deux côtés de l’ancien rideau de fer. Le niveau de vie des régions les plus prospères dans l’Est est proche de celui des plus pauvres de l’Ouest.
Depuis quelques années, les flux migratoires s’équilibrent entre l’Ouest et l’Est de l’Allemagne. Aujourd’hui, on dénombre davantage de migrants de Bavière en Saxe que dans le sens inverse. De plus, certaines villes est-allemandes sont très dynamiques. Leipzig, par exemple, est la ville qui connaît la plus forte croissance.
Malgré quelques points positifs, certaines régions des nouveaux Länder continuent d’enregistrer un vieillissement démographique rapide avec le départ des jeunes, tandis que les aînés restent « au pays ». Cependant, ce phénomène ne se limite plus aux Länder de l’Est. Dans l’Ouest aussi, le fossé se creuse entre les zones d’expansion urbaine et leurs périphéries, entre des régions prometteuses et d’autres qui sont en déclin. Pour citer Rudyard Kipling : « L’Orient est l’Orient, et l’Occident est l’Occident », mais les deux pourraient, cette fois, se rejoindre, au moins sur le plan démographique.