En France, le secteur du logement a subi de profondes mutations depuis deux décennies afin de répondre à l’évolution de la demande en faveur notamment de la rénovation et de l’entretien des bâtiments. Cette transformation s’est accélérée à partir de 2016 dans un contexte économique porteur, avec un marché de l’immobilier en croissance et des conditions financières particulièrement favorables (taux d’intérêt bas, peu de défaillances d’entreprises). Cependant, alors que le secteur va devoir continuer de s’adapter (i.e. interdiction progressive de la location des « passoires thermiques »), il fait face à une détérioration de son environnement. La remontée des taux et la hausse des défaillances d’entreprises pourraient compliquer, au moins à court terme, cette nouvelle adaptation.
L’offre de logements peut être alimentée par la construction de bâtiments neufs ou par les transactions immobilières sur les logements anciens (ainsi que les travaux que cela implique), permettant aux acquéreurs de satisfaire leur demande[1]. L’offre dépend donc de la disponibilité des biens mais aussi des ressources nécessaires à leur production : des entreprises, une main d’œuvre ou un investissement. Que tout ou partie de ces derniers soient en quantités insuffisantes et l’offre risquera d’être inférieure à la demande. Ce sont ce manque et ses causes, en d’autres termes les problématiques d'offre, qui sont au cœur de notre analyse. Cet article présentera tout d’abord les mutations importantes dont l’offre de logements en France a fait l’objet depuis deux décennies. C’est devenu un marché de plus en plus mature, marqué par le ralentissement de la croissance du nombre de ménages. C’est aussi, de manière accrue, un marché de renouvellement qui se traduit par un besoin de rénovation. Dans une deuxième partie, nous détaillerons les raisons intrinsèques responsables de la réduction de l’offre, en nous intéressant, notamment, aux capacités de production. La diminution de ces dernières est à l’origine de la difficulté des entreprises du bâtiment à répondre à la demande lorsqu’elle s’exerce.
Moins de construction neuve, davantage de rénovation des bâtiments
La pénurie de logements fait régulièrement la une des médias français. Elle peut, en effet, avoir d’importantes conséquences sur l’économie : l’Insee, en 2018[2], a ainsi confirmé une intuition selon laquelle la rareté des logements disponibles dans les bassins d’emploi contribuait au maintien d’un taux de chômage plus élevé. Cette rareté et son caractère problématique peuvent se manifester dans d’autres contextes, par exemple dans le cadre des études (manque de logement pour les étudiants). Pour le plus grand nombre, la question de l’offre de logements se résume à cette pénurie, avérée ou ressentie.
Un ménage est défini par l’occupation d’une résidence principale : ces deux agrégats sont donc équivalents. Même si la croissance de la population a ralenti au fil du temps, la diminution du nombre de personnes par ménage a soutenu la croissance du nombre de logements. Un autre signe d’une modification du marché concerne la baisse de la part des résidences principales dans les logements additionnels : sept logements sur dix entre 2008 et 2023 contre neuf logements sur dix entre 1993 et 2008 (graphique 1).
Il est important de distinguer le besoin de la demande. Un besoin latent peut exister sans se matérialiser par une demande de logement. Un projet d’achat peut ainsi être reporté en raison du manque de logements disponibles, ou, comme aujourd’hui, parce que les taux d’intérêt sont jugés trop élevés, voire que le prix est perçu comme dissuasif. Autre signe d’un décalage : la proportion de jeunes de 18 à 29 ans vivant chez leurs parents a eu tendance à remonter, ce qui suggère, parmi d’autres raisons, qu’un nombre insuffisant de résidences principales ou leur coût continuent de pénaliser l’installation, voire l’entrée dans la vie active des jeunes générations.
Moins de construction, plus de transactions
Un marché est le lieu où se rencontrent une offre et une demande interdépendantes. Que la demande s’élève/diminue ou change de nature et l’offre devra s’adapter. Que l’offre n’y parvienne pas ou avec retard et la demande sera en partie réprimée.
Le potentiel de demande peut s’appréhender au travers des intentions d’achat de logement des ménages (enquête ménages de l’Insee, graphique 2). Celles-ci permettent d’identifier trois cycles porteurs : 1999-01, 2003-07 et, plus récemment, 2017-22. Ces intentions d’achat ont été mises en parallèle d’un indicateur d’activité dans le logement neuf (le solde d’opinion en termes d’activité de l’enquête mensuelle de conjoncture dans le bâtiment de l’Insee) : on peut observer qu’il n’a pas atteint les mêmes sommets lors de la dernière sous-période que lors des deux précédentes.
Deux causalités peuvent expliquer de façon complémentaire une telle déconnection apparente entre les intentions d’achat et l’activité. Cette dernière a pu être contrainte (point détaillé dans la seconde partie), ou la demande a changé de nature et a, en conséquence, préfiguré une transformation de l’offre.
On peut faire un parallèle entre l’activité plus modérée lors du cycle récent, observée ci-dessus, et l’investissement des ménages (graphique 3). Le niveau en milliards d’euros de ce dernier a été plus réduit dans la phase haute du cycle immobilier récent (2017-22) que dans la précédente phase (2003-07) pour des intentions d’achat voisines (9,3% des ménages ont, en moyenne, déclaré une intention d’achat de logement lors de ces deux périodes).
Une décomposition du taux d’investissement des ménages (en pourcentage de leur revenu disponible brut), entre ce qui est fait pour contrecarrer la dépréciation des logements existants (aussi appelée « consommation de capital fixe[3] » ou CCF) et l’investissement net, montre, tout d’abord, que la CCF a plutôt eu tendance à augmenter et même, depuis les années 2000, plus rapidement que le revenu disponible brut des ménages (graphique 4). En parallèle, l’investissement net a diminué, notamment après 2008, un élément cohérent avec la moindre hausse du nombre de résidences principales après la crise de 2008. Cette évolution est typique d’un marché mature ou de renouvellement, plus que d’un marché en croissance.
Face à cette évolution de la demande, l’offre connait une transformation fondamentale depuis deux décennies : on construit moins mais on entretient et rénove davantage. Le graphique 5 montre un rapport de 1 à 2 qui prévalait entre les mises en chantier et les transactions dans l’ancien jusqu’en 2015 et qui est passé, depuis, de 1 à 3. Ce rapport reste de mise en 2023, alors même que transactions et mises en chantier ont toutes deux commencé à diminuer. Les mises en chantier atteignent même, à 305 000 logements en cumul sur 12 mois à fin octobre, un niveau encore plus faible que les plus bas atteints en 2009 ou en 2015 (à près de 330 000 unités), mais qui reste toutefois supérieur à celui enregistré en novembre 1993 (267 000 unités).
Ce niveau faible des mises en chantier est illustratif de l’adaptation de l’offre à la demande, qui s’est reportée sur les travaux de construction spécialisés[4] qui tirent désormais l’essentiel de la hausse de la production dans le secteur du bâtiment (graphique 6).
L’emploi a accompagné ces mutations, ce déplacement du neuf vers le bien de seconde main à rénover. Le développement concomitant de l’artisanat dans le bâtiment s’est traduit par la présence accrue d’indépendants (graphique 7). L’emploi salarié dans le secteur de la construction a été marqué par des destructions d’emplois ininterrompues entre 2001 et 2017 et a basculé de nouveau dans le rouge depuis début 2023 (avec près de 10 000 destructions nettes de postes sur les trois premiers trimestres). En revanche, le travail indépendant n’a, lui, cessé de se développer depuis la fin des années 1990, dépassant même désormais son précédent plus haut historique (1981). Et il a poursuivi cette trajectoire en 2023 (avec 11 000 créations nettes de postes sur les trois premiers trimestres). Cette dynamique favorable à l’artisanat du bâtiment a notamment été soutenue par la baisse de la fiscalité sur les travaux de rénovation (taux de TVA réduit à 10%, à comparer au taux normal de 20%).
La performance énergétique des bâtiments : un critère qui structure de plus en plus le marché
La transition écologique a semble-t-il commencé à engendrer une nouvelle mutation du marché. De la rapidité avec laquelle cette transition sera mise en œuvre dépendra l’intensité des dépréciations d’actifs qu’elle pourrait entraîner. En pratique, un bâtiment qualifié de « passoire thermique », dont les potentialités de revente, location et/ou habitation seraient remises en cause, perdrait de la valeur de façon prématurée, et se déprécierait bien plus vite qu’escompté[5]. Ce risque peut inciter les ménages à mettre en œuvre une rénovation énergétique nécessaire, solution néanmoins coûteuse. Une autre possibilité pourrait être la vente de ce logement par anticipation, dans la crainte de ne plus pouvoir le louer in fine.
Selon les dernières notes de conjoncture des notaires de France, la refonte du mode de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE) en 2021 ainsi que les annonces d’un calendrier d’interdictions à la location[6] et, depuis août 2022, l’impossibilité d’augmenter les loyers des biens les plus mal notés (F ou G) ont d’ores et déjà modifié le volume des transactions. Dans un contexte général marqué par une diminution des transactions, les ventes des logements affichant des DPE F ou G ont augmenté de telle sorte que leur proportion est passée de 11% au 2e trimestre 2021 à 18% au 2e trimestre 2023 des ventes totales. Au regard de ces pourcentages et des ventes totales dans l’ancien, nous avons ventilé dans le graphique 8 les transactions selon le DPE des logements. Nous représentons également une estimation de l’évolution des prix immobiliers dans l’ancien au regard du DPE[7]. Les notaires ont constaté une décote sur les DPE F ou G plus élevée que par le passé (notamment dans le logement collectif ou dans les zones tendues) qui pouvait dépasser, dans certaines régions, 10% au 2e trimestre 2023. Ainsi, dans le contexte général d’un début de baisse des prix moyens dans l’ancien (-2,1% au 3e trimestre 2023 par rapport au 4e trimestre 2022 selon l’Insee-Notaires), le croisement de l’indice sur les prix des logements anciens avec les données publiées par niveau de DPE par les notaires, montre que les logements classés F ou G voient leur prix diminuer davantage alors que la baisse resterait modérée sur les autres.
Enfin, en plus de leurs effets sur les prix, ces ventes de logements mal notés en termes de DPE contribuent à maintenir le volume des transactions nettement au-dessus des 800 000 unités par an, seuil qu’elles n’avaient jamais dépassé avant 2016. Par effet de vase communiquant, cette demande pour l’ancien pourrait venir en substitution d’une demande pour le neuf[8]. Cette augmentation des transactions sur des logements mal notés depuis la refonte du DPE contribuerait également à retirer des biens du marché locatif, renforçant (au même titre que la baisse de la construction de logements neufs) la rareté des biens disponibles pour les futurs locataires.
Les contraintes pesant sur l’offre
En plus de connaître de grandes mutations, l’offre de logements fait face aussi à un certain nombre de contraintes de production, d’ordre conjoncturel pour certaines mais qui n’en sont pas moins perturbantes. L’offre, telle que nous la définissons dans cette partie, correspond à la capacité de production (qui peut être plus ou moins utilisée), la rentabilité, la situation financière en général (trésorerie notamment) et la pérennité (risque de défaillance notamment) des entreprises du bâtiment. Dans le passé, lors des cycles baissiers et de sous-utilisation des capacités de production, le secteur a été exposé à une augmentation des défaillances : le rétrécissement de l’offre, induit par ces dernières, a, par la suite, contribué à aggraver le retard pris dans la mise en œuvre du carnet de commandes, comme cela a été le cas au cours de ces dernières années. Dans les deux sections qui suivent, nous examinerons d’abord les facteurs généraux qui ont limité la production avant d’aborder la question sous l’angle des capacités de production et de l’impact des défaillances.
Une congestion qui s’est en partie résorbée
La diminution de l’offre dans le neuf est patente depuis la crise de 2008 au regard de l’importante baisse de la construction de logements individuels (graphique 9). Si le logement collectif a pu bénéficier d’un effet substitution, le nombre total de mises en chantier n’a toutefois jamais retrouvé son pic de l’époque.
Lorsque la production de logement ne suit pas la demande, cela peut être dû à trois types de contraintes d’offre : des éléments structurels (tels que le manque de foncier ou la réglementation) ; la disponibilité et le coût des approvisionnements ; le manque de main d’œuvre.
Contraintes structurelles
À partir du début des années 2000, le passage progressif des plans d’occupation des sols (POS) à des plans locaux d’urbanisme (PLU) a contribué au recul du logement individuel en réduisant les surfaces disponibles pour ce type de construction. Il a également compliqué la requalification de l’usage d’un terrain : une fois utilisés les terrains dévolus à la construction, le foncier disponible s’est raréfié.
La loi Elan (2018), dont l’un des objectifs était de faciliter la construction, en s’attaquant notamment aux lourdeurs administratives (nombre, durée et coût des procédures), n’a pas généré l’accroissement attendu du nombre de nouvelles constructions. Les procédures visées ne constituaient probablement qu’une partie des freins et leur réforme n’a pas modifié la politique globale d’aménagement du territoire.
Les prochaines règlementations, comme l’objectif « zéro artificialisation nette » des sols, dont la mise en application n’est pas encore effective, pourraient encore accroître la rareté du foncier disponible et s’ajouter aux contraintes qui pèsent sur l’offre de logement neuf.
Les facteurs conjoncturels limitant la production se sont atténués
De nombreux freins conjoncturels présents jusqu’en 2022, se sont aujourd’hui largement relâchés. Il en va de même pour les coûts de construction dont la hausse s’était singulièrement accélérée en 2022 (graphique 10), en lien notamment avec le renchérissement des matières premières (énergie mais aussi matériaux) et avec la progression de la masse salariale. Durant cette période, les coûts des travaux de rénovation (auparavant plus « sages ») ont même rattrapé le niveau des indices de coûts liés au bâtiment ou aux travaux publics. En 2023, la hausse des coûts de construction s’est largement modérée sous l’effet du reflux du prix des matières premières (métaux et minéraux industriels). L’indice concernant les travaux de rénovation a toutefois suivi l’évolution des prix à la consommation.
Coûts de la construction
D’autres indicateurs confirment que le secteur du bâtiment est celui qui a subi les tensions inflationnistes les plus fortes en 2022 (avec une accalmie désormais). Ainsi, selon l’Insee :
- les prix associés à l’entretien-amélioration des bâtiments ont progressé de près de 19% entre le 1er trimestre 2021 et le 1er trimestre 2023, mais se sont stabilisés au 2e et au 3e.
- la proportion nette (ou solde d’opinion) des entreprises du commerce spécialisées dans l’aménagement de l’habitat[9] (enquête de l’Insee dans le commerce de détail) qui prévoyaient d’augmenter leurs prix de vente a culminé à 82% en mars 2022 (niveau supérieur à tout autre secteur, y compris l’alimentaire), représentait encore 73% en novembre 2022 et n’atteignait plus que 14% en septembre 2023.
Il n’en reste pas moins que ces coûts plus élevés ont contribué, dans un premier temps, à peser sur les marges du secteur (31,3% au 2e trimestre 2022 contre 37,5% en moyenne en 2019). Dans une deuxième phase, à partir du 2e semestre 2022, les coûts ont augmenté moins vite que les prix de vente, ce qui a permis un rebond des marges à 35,1% au 2e trimestre 2023.
Au global, les contraintes d’offre (approvisionnements comme main d’œuvre) ont été prédominantes dans le secteur jusqu’à récemment, notamment lorsque l’on appréhende, au travers de l’enquête de conjoncture de la Commission Européenne, les facteurs limitant la production (graphique 11). Toutefois, la comparaison avec la période de surchauffe de 2004-07 (record historique de mises en chantier) montre que les difficultés de recrutement ont été plus fortes encore à l’époque, avant que le secteur ne devienne nettement plus pénalisé par la demande entre 2009 et 2016.
La baisse de la demande fait son retour en tant que facteur prédominant limitant la production de bâtiments neufs en 2023. Toutefois, cette contrainte continue de peser plus modérément sur la construction spécialisée, où les contraintes de main d’œuvre dominent toujours et continuent même de s’accroître. Cette divergence témoigne une nouvelle fois des différences de situations notables d’un segment du secteur du bâtiment à l’autre, contrairement par exemple à la première partie des années 2010 où la crise n’avait épargné personne (contraintes de demande prédominantes dans tous les segments). Concernant la construction spécialisée, ce manque de main d’œuvre constitue à la fois une limite de nature à retarder la rénovation des bâtiments et le signe que les créations d’emplois pourraient rester soutenues dans l’artisanat du bâtiment.
Remontée des défaillances : un signe précurseur de nouvelles destructions de capacités de production ?
Une spécificité du secteur de la construction réside dans le caractère cyclique de son activité, lui-même dû au rôle et aux fluctuations des taux d’intérêt et de la demande. Ces cycles sont longs : lorsque le marché du logement (transactions dans l’ancien ou construction neuve) est baissier, il l’est pour plusieurs années. Il en va ainsi également de la dynamique des défaillances (graphique 12), sur laquelle se répercutent, avec un décalage dans le temps, les fluctuations de l’activité.
Même lorsque le secteur connait son « rythme de croisière » (quand l’activité est satisfaisante, ce que l’on peut observer sur le graphique 2), les défaillances restent comprises dans une fourchette s’établissant entre 800 et 1 000 par mois (soit environ 10 000 par an), comme jusqu’en 2006 ou à partir de 2017 (en dehors de la parenthèse très particulière de la Covid, où les aides d’État ont contribué à une baisse supplémentaire temporaire). Entre ces deux dates (de 2007 à 2016 donc), le secteur a connu une forte hausse des défaillances, affecté par le triple choc de la remontée des taux d’intérêt à partir de 2006, de la récession de 2008 et, après une courte accalmie, de la contraction additionnelle du marché de la construction à partir de 2012. Ainsi, d’un étiage de 10 000 défaillances par an le secteur est passé à une moyenne de 15 000 défaillances par an entre 2009 et 2015.
La mise en place du quantitative easing par la BCE en 2015 et le redémarrage de l’activité, l’année suivante, ont permis progressivement de résorber cette crise et donc aux défaillances de revenir dans leurs proportions précédentes. Au sortir de la période de Covid, elles sont même restées assez longtemps très contenues, alors que la demande diminuait depuis plusieurs trimestres. Les indicateurs concernant la trésorerie des entreprises sont restés en effet relativement satisfaisants. De plus, il existe un décalage entre le moment où la demande se retourne et celui où apparaissent des difficultés de paiement dans le secteur. Ce décalage a été récemment accru par le niveau record des contraintes d’offre : celles-ci ont permis aux entreprises de bénéficier plus longtemps d’un niveau d’activité convenable associé à leurs carnets de commande bien remplis, alors même que les nouvelles commandes se réduisent depuis plusieurs trimestres.
Toutefois, il apparaît que le niveau des défaillances dans la construction a franchi depuis deux mois (septembre-octobre 2023) le seuil symbolique des 1 000 unités par mois et donc que les difficultés en termes d’activité commencent à se traduire désormais par davantage de sinistres.
Cette évolution peut être mise en parallèle avec la détérioration des comportements de paiement. En effet, l’Insee mesure chaque trimestre dans son enquête de conjoncture dans le bâtiment, la proportion d’entreprises déclarant subir des retards de paiement. Cette proportion, dont le niveau est resté faible jusqu’en 2022, a récemment augmenté (graphique 13), d’abord dans le second œuvre, et, depuis mi-2023, dans le gros œuvre, tout en restant nettement inférieure à son plus haut historique.
Les difficultés du secteur du logement ne se limitent pas à la construction neuve. Avec la diminution du nombre de transactions, les agences immobilières connaissent également un regain de défaillances (+5% sur les neuf premiers mois de 2023 par rapport à la même période – avant-Covid – de 2019).
Les coûts associés à un nombre plus important de défaillances d’entreprises sont de divers ordres : à court-terme, cela expose à un risque de créances non recouvrées et de pertes d’emplois. À moyen-terme apparait une autre problématique : celle de la capacité de production du secteur, comme cela a été le cas après 2009. En effet, les défaillances font diminuer cette dernière, avec en plus un effet d’hystérèse : ces capacités ne réapparaissent pas ensuite lorsque l’activité repart (graphique 14) ou seulement très lentement comme en témoigne la période récente (2017-22). Cette atrophie du secteur, lorsque la demande redevient élevée, aggrave alors les contraintes d’offre. Trop peu d’entreprises sont présentes et elles manquent de main d’œuvre (au terme de 10 années de crise, sur 2007-16, une partie de la main d’œuvre s’est détournée du secteur).
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L’offre de logements a subi de profondes mutations. La diminution de la construction neuve au profit du secteur de la rénovation a eu un impact important, modifiant le secteur et entrainant des divergences de situation : actuellement, quand la construction neuve connait une forte baisse d’activité, la rénovation des bâtiments reste en tension. Le secteur subit cependant de plus en plus le cycle baissier affectant la construction neuve et les transactions dans l’ancien depuis maintenant près de 18 mois. Si l’on se réfère à la durée habituelle de ces phases baissières (de 5 à 10 ans, notamment lors de la crise des années 1990 ou celle intervenue entre 2008 et 2015), la contraction pourrait se prolonger. Le risque serait alors que cela ne pénalise encore davantage la situation des entreprises du secteur et ne vienne encore réduire des capacités de production déjà diminuées par les difficultés passées et les contraintes pesant sur le secteur. Un redressement de ces capacités de production est pourtant nécessaire à la construction et à la rénovation des logements de demain, au regard des impératifs de performance énergétique des bâtiments liés à l’adaptation au changement climatique.
Achevé de rédiger le 7 décembre 2023