En Éthiopie, la pandémie du coronavirus a déclenché une crise économique qui remet en cause le modèle de développement du pays de ces dix dernières années. Les réformes tardives, les coûts logistiques importants et la pénurie de devises étrangères ont fortement ralenti la modernisation de l’économie. De plus, le conflit interne dans la région du Tigre menace la stabilité politique du pays et aggrave la crise humanitaire. Sans ressources, le pays n’a pas les moyens de faire face aux conséquences économiques de la pandémie et il reste fortement dépendant des aides étrangères. L’endettement en devises est devenu trop important par rapport aux recettes d’exportation. Le pays a demandé une restructuration de sa dette extérieure dans le cadre commun proposé par le G20. Mais la crise diplomatique en cours avec ses partenaires internationaux retarde pour l’instant sa mise en œuvre.
Un modèle de développement très fragile
La modernisation de l’économie de ces dix dernières années, basée sur une stratégie d’industrialisation, n’a pas permis au pays de résister au choc de la pandémie. Le modèle de développement promu par le gouvernement a reposé sur la création de parcs industriels gérés par l’État, proposant une fiscalité avantageuse et un coût très faible de la main d’œuvre. En réalité, ces zones franches présentent de gros problèmes logistiques (en particulier le raccordement aux réseaux d’eau et d’électricité), un taux élevé de rotation du personnel et, au final, une productivité médiocre.
Selon les données publiées par la banque centrale, la croissance du PIB a ralenti à +6,1% en 2020, contre 9% à l’année précédente, malgré le soutien des dépenses publiques (voir graphique1).
Du côté de l’offre, seule l’agriculture a enregistré une contribution à la croissance en hausse (1,4% contre 0,9% en 2019) grâce à des récoltes abondantes. La production industrielle et l’activité dans la construction, déjà structurellement handicapées par un approvisionnement en électricité aléatoire, ont dû être suspendues. Aucun confinement n’a été décrété pendant la pandémie mais les restrictions à la mobilité, imposées à la population pendant l’état d’urgence, ont affecté les activités commerciales. Les secteurs du transport et du tourisme ont souffert le plus de la suspension des vols.
Les effets récessifs de la pandémie devraient se poursuivre en 2021, avec une croissance attendue à seulement 2%. En effet, malgré la levée de l’état d’urgence en septembre 2020 (il aura duré 5 mois), la consommation des ménages devrait rester déprimée à cause des pressions inflationnistes toujours importantes. Malgré la baisse des exportations, le déficit du compte courant continuerait de se réduire en raison de la faiblesse des importations.
Dans le même temps, les investissements directs continueraient de se contracter. Le déficit budgétaire ne peut que se creuser avec une nouvelle hausse des dépenses sanitaires. En effet, la ministre de la Santé vient de confirmer la présence du variant delta dans le pays et sa propagation rapide, compte tenu de la faible couverture vaccinale.
Les incertitudes liées à la pandémie pèsent donc sur les perspectives de croissance. Les efforts en matière de lutte contre la pauvreté pourraient être anéantis. En particulier, le risque alimentaire est exacerbé par les perturbations dans la filière agricole dues à une importante invasion de criquets.
En situation de surendettement
Les exportations de textile et de produits horticoles ont été très affectées par la pandémie. Les retards dans les projets de privatisation ont réduit les investissements directs étrangers (2,6% du PIB en 2020 contre environ 5% avant la pandémie), de sorte que les réserves de change diminuent en tendance depuis 2019. Les pressions sur la monnaie locale (le Birr, ETB) ont augmenté et les faibles réserves de change laissent le pays fortement dépendant des aides internationales. Le ratio de dette publique externe sur PIB s’élève à 35% en 2021, mais à presque 200% rapporté aux recettes d’exportations. Le service de la dette externe a atteint 26% des revenus d’exportations (contre 17% en 2015) avec la fin des prêts concessionnels. De fait, le pays est aujourd’hui en situation de surendettement.
L’Éthiopie a demandé officiellement une restructuration de ses créances aux pays du G20 dans le cadre commun de traitement de la dette1. La Banque mondiale et le FMI ont conclu que la dette de l’Éthiopie était soutenable mais qu’un rallongement des échéances sur la dette extérieure atténuerait le risque de surendettement à la fin des programmes en cours avec le FMI.
Pour rappel, l’Éthiopie bénéficie actuellement de deux dispositifs du FMI : une facilité élargie de crédit concessionnel, qui expire en septembre 2021, et un mécanisme élargi de crédit non concessionnel qui reste opérationnel. Le comité des créditeurs s’est constitué le 16 septembre dernier pour examiner la demande de restructuration mais les négociations tardent à aboutir car elles se heurtent notamment au traitement comparable des créditeurs privés. Pour rappel, le pays a émis un eurobond d'une valeur nominale d'un milliard de dollars, dont la valeur s’est effondrée depuis l'annonce de la participation de l'Éthiopie au cadre commun2.
Risques politiques très élevés
Les élections générales du 21 juin dernier ont confirmé la victoire du Parti de la prospérité. Il s’agit de la nouvelle formation politique du Premier ministre sortant, Abiy Ahmed, arrivé au pouvoir en avril 2018 au sein d’une coalition de quatre partis, liée aux groupes ethniques régionaux mais dominée par un parti minoritaire, le Front populaire de libération du peuple du Tigré (TPLF). Fin 2019, Abiy Ahmed a mis fin à cette coalition pour la remplacer par un seul parti dominé par les Amharas. Dans les faits, trois régions sur dix n'ont pas pu participer aux élections en raison de la guerre civile qui sévit dans le nord du pays; ce conflit inter-ethnique démarré dans le Tigré en novembre 2020 s’est vite étendu aux États voisins de Afar et Amhara, et menace la stabilité de l’ensemble de la région.
L'ampleur des violences s'expliquent par les frustrations de l’ethnie du Premier ministre Abiy Ahmed (Oromo), qui attendait une amélioration des conditions de vie et une plus grande inclusion dans la vie politique. La récente coopération militaire entre les deux principaux mouvements d'insurrection en Éthiopie3 met le gouvernement fédéral sous pression.
Les États-Unis ont imposé le 23 mai dernier des sanctions économiques au pays (restrictions des visas, suspension d'une partie de l'aide et pression sur le FMI et la Banque mondiale pour geler les futurs décaissements). Ils s’inquiètent de l’insécurité persistante dans la région, qui entrave les opérations humanitaires. Ils attendent le résultat d’une enquête du Conseil de sécurité de l’ONU sur des accusations de violation des droits de l’homme pouvant constituer des crimes de guerre. Entre-temps, Abiy Ahmed a fustigé l’ingérence américaine qui traite son gouvernement au même titre que les insurgés, considérés désormais comme organisations terroriste. Conforté par sa large victoire électorale, le Premier ministre éthiopien cherche désormais à renforcer les autres relations diplomatiques, notamment avec les pays de l’Union africaine et la Turquie, avec qui des accords de coopération militaire et économique ont été signés récemment.
Achevé de rédiger le 30/09/2021