Les perspectives à moyen terme continuent de se dégrader pour l’économie mexicaine. La dynamique de reprise semble déjà s’essouffler et les fragilités structurelles de l’économie (faiblesse de l’investissement et de la compétitivité) ont été exacerbées par la crise liée à la Covid19 – et par le manque de soutien des autorités. La politique économique devrait pourtant peu évoluer au cours des deux prochaines années. D’une part, les élections de mi-mandat ont permis à la coalition gouvernementale de conserver la majorité (simple) à l’Assemblée nationale. D’autre part, la lecture de la proposition de budget pour l’année 2022 confirme la volonté du gouvernement de maintenir une politique d’austérité jusqu’à la fin du mandat, en 2024. Compte tenu des hypothèses relativement optimistes retenues par le gouvernement, et le soutien financier à l’entreprise pétrolière Pemex, il nous semble inévitable que la situation des finances publiques se dégrade, dès avant la fin du mandat.
Continuité politique
L’attractivité et la compétitivité du Mexique continuent de se détériorer. D’après l’institut mexicain IMCO, la compétitivité de l’économie mexicaine chute continûment depuis 2018, pour se trouver au 37e rang (sur un échantillon de 43 pays). Le Mexique se situait à la 31e place en 2018.
D’après cet institut, le pays a régressé dans cinq des dix catégories évaluées (environnement, cohésion sociale, climat politique, relations internationales et innovation), et le rapport souligne le creusement de nombreux écarts entre le Mexique et les autres pays de l’échantillon. Ces écarts ne pouvant être résorbés que si le pays cherchait « continuellement » à attirer de nouveaux investissements.
Il est pourtant peu probable que l’attractivité du pays s’améliore significativement d’ici la fin du mandat d’Andres Manuel Lopes Obrador (« AMLO »), en 2024. La politique économique devrait rester assez peu lisible. Les élections de mi-mandat (qui ont eu lieu en juin dernier) ont en effet permis à la coalition présidentielle (composée du parti du président AMLO : Morena, et de deux partis du centre : PT et PVEM) de conserver 275 députés (sur 500), soit une majorité simple. Le budget devrait donc être facilement voté sans que le gouvernement ait l’obligation de former une nouvelle coalition. À l’occasion de ces élections, le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale ont par ailleurs été remplacés, au profit de personnalités proches de celle du président.
Le président AMLO a annoncé au mois de juillet dernier son intention de présenter aux députés un projet de réforme constitutionnelle, dont l’objectif est de garantir à la compagnie fédérale d’électricité (CFE) une participation minimale de 54% dans la production d’électricité du pays.
Cette proposition fait suite à de nombreuses initiatives du Président depuis le début de son mandat, visant à encadrer et réduire la participation du secteur privé dans le secteur de l’électricité en particulier, et le secteur de l’énergie dans son ensemble, allant à l’encontre de la libéralisation du secteur en œuvre depuis 2013.
Cela dit, la coalition gouvernementale ne possédant plus la majorité qualifiée (soit les deux tiers des voix), de nouvelles coalitions seront nécessaires pour voter cette réforme. Des réformes de grande ampleur, dans d’autres secteurs, apparaissent donc moins probables d’ici la fin du mandat, d’autant que jusqu’ici, la Cour suprême de justice a rejeté la grande majorité des propositions faites.
Au total, le manque de lisibilité de la politique économique pèse lourdement sur l’investissement (domestique et étranger, dans le secteur de l’énergie comme dans les autres secteurs) et l’attractivité du pays depuis le début du mandat.
Essoufflement de la croissance
Après une reprise particulièrement vigoureuse entre le dernier trimestre 2020 et le deuxième trimestre 2021 (tirée, au-delà de l’effet de base, par le rebond d’activité aux États-Unis), la croissance du PIB devrait marquer le pas dès le troisième trimestre 2021 : la troisième vague de Covid-19 a été particulièrement sévère (le nombre de contaminations a été plus élevé que lors des deux précédentes vagues), pesant sur la demande interne.
L’accélération de la campagne de vaccination (fin septembre, 35% de la population avait reçu deux doses de vaccin, contre 15% au début du mois de juillet) et la baisse continue de nouvelles contaminations depuis la mi-août permettent cependant un allègement progressif des contraintes sanitaires, ce qui devrait soutenir le secteur des services au cours des derniers mois de l’année.
Une croissance « à deux vitesses » devrait se poursuivre tout au long de 2022 : la demande interne restera durablement affaiblie, notamment du fait de la faiblesse structurelle de l’investissement et la fragilité du marché du travail, alors que les exportations devraient demeurer dynamiques tout au long de l’année. Au total, après une croissance de 6% en 2021, le PIB ne progresserait que de 2,5% en 2022. A ce rythme, le niveau de PIB enregistré à la fin de l’année 2019 ne devrait pas être atteint avant la mi-2023, et l’investissement privé ne retrouverait pas son niveau de 2019 avant l’année 2024.
Dans le même temps, la hausse des prix des matières premières et les chocs liés aux ruptures d’approvisionnement dans les chaînes de valeur ont exercé des pressions sur l’inflation. Le taux d’inflation a atteint 6,1% en g.a. en avril, un plus haut depuis 2018. Le taux d’inflation a diminué depuis (pour atteindre 5,6% en g.a. au mois d’août), mais devrait rester supérieur à la fourchette de 3% +/- 1% de la Banque centrale dans les prochains mois. Au cours de sa réunion du mois de septembre, la Banque Centrale a relevé son principal taux directeur de 25 points de base à 4,75% (après deux hausses successives en en juin et août). Plusieurs hausses de taux sont attendues dans les mois à venir, selon le communiqué de la Banque centrale mettant l’accent sur les anticipations d’inflation (actuellement à 6% pour la fin d’année).
Budget 2022 : détérioration des finances publiques à moyen terme
Comme depuis le début du mandat du président AMLO, le gouvernement poursuit son objectif de stabilité du ratio de dette publique. Celui-ci devrait donc se situer autour de 51% (niveau attendu pour 2021) jusqu’à la fin du mandat (après avoir atteint 53,7% du PIB en 2020). Le gouvernement vise un déficit de 3,1% du PIB en 2022 (3,2% en 2021). Cet objectif nous semble difficilement réalisable ; nous tablons plutôt sur un déficit de 3,5% du PIB en 2022 et de 4,4% en 2021.
Les dépenses restent en effet orientées de la même manière qu’au cours des trois années précédentes, soulignant les priorités du gouvernement (notamment les grands projets d’infrastructures, tels que le train Maya et le projet de l’isthme de Tehuantepec). Pour le moment, aucune mesure ne semble destinée à soutenir la demande interne privée, durablement fragilisée par la crise liée au Covid-19.
Du côté des revenus, le projet de réforme fiscale est reporté (excluant donc la création de nouveaux impôts, ou l’augmentation des taux d’imposition déjà existants), le gouvernement préférant mettre l’accent sur l’amélioration de la collecte et la réduction de l’évasion fiscale (visant particulièrement les petites et très petites entreprises).
Par ailleurs, l’amélioration de la situation financière de l’entreprise publique pétrolière Pemex est présentée comme une priorité. Mais les solutions proposées semblent difficiles à mettre en œuvre sans détériorer durablement les finances publiques. La première proposition est de réduire l’impôt sur les bénéfices versé par Pemex, de 54% à 40% (65% en 2019), réduisant la part des revenus pétroliers dans le total des revenus du gouvernement (à 9% en 2021 et 8% en 2022). Plusieurs injections de capital sont également prévues : elles seront neutres d’un point de vue financier si elles servent à rembourser la dette de Pemex, mais pas si elles permettent de nouveaux investissements en capital. En outre, le gouvernement s’étant engagé à ne pas augmenter les impôts, les fonds disponibles pour ces injections de capital (fonds souverains par exemple) sont de plus en plus limités. Enfin, le gouvernement a récemment annoncé avoir acheté pour USD 7 mds de réserves de change, dans le but de prendre en charge une partie des tombées de dette de Pemex (d’un montant cumulé de USD 7 mds d’ici la fin 2022), via de nouvelles injections de capital. Une fois encore, cette opération sera difficilement renouvelable, les dépôts du gouvernement auprès de la Banque centrale ayant continuellement diminué depuis le début du mandat.
Enfin, cette année encore, les hypothèses macroéconomiques retenues dans le budget 2022 nous paraissent trop optimistes. La croissance du PIB est ainsi attendue à 6,3% et 4,1% respectivement pour 2021 et 2022. La capacité de production de Pemex est probablement surestimée : elle est attendue à 1,83 million de barils par jour en 2022, alors que la prévision pour l’année 2021 était de 1,75 et qu’en moyenne sur les huit premiers mois de l’année, la production pétrolière mexicaine était de 1,68 million de barils par jour.
En résumé, le gouvernement présente dans le budget 2022 une augmentation structurelle des dépenses (projets d’infrastructures, soutien récurrent et probablement sous-estimé à Pemex), sans envisager une véritable augmentation des revenus. En outre, les dépenses sont très probablement sous-évaluées, alors même que l’augmentation des revenus est surestimée. Dans ces conditions, il nous semble peu probable que l’équilibre budgétaire soit maintenu jusqu’à la fin du mandat. De plus, la fragile situation financière de Pemex restera un problème structurel, contribuant à dégrader davantage les finances publiques.
Achevé de rédiger le 06/10/2021