L’activité a marqué le pas au T2 2021 en dépit du dynamisme de la demande externe et de la normalisation de l’activité dans les services. Par ailleurs, l’industrie a souffert de contraintes d’approvisionnement. Le ralentissement de l’épidémie depuis l’été et l’accélération de la campagne de vaccination laissent toutefois augurer un rebond au deuxième semestre. Mais la croissance restera modérée en raison des contraintes d’offre persistantes dans l’industrie, du risque de rationnement de l’électricité, du resserrement monétaire agressif pour contrer une inflation galopante et du ralentissement en Chine. Dans ce contexte, le real peine toujours à s’apprécier en dépit de la hausse des taux et de la bonne tenue des comptes externes. Les accès de faiblesse de la monnaie rendent plus ardu le processus de contrôle de l’inflation. La trajectoire de celle-ci pourrait être encore plus difficile à maitriser si les élections présidentielles de 2022 entraînent des dérapages budgétaires.
Essoufflement de la croissance au T2
Au deuxième trimestre, l’économie brésilienne a été incapable de capitaliser sur sa bonne performance du début d’année. L’activité a enregistré un léger recul (-0,1% t/t, données corrigées des variations saisonnières) en raison du retournement de la production agricole (sécheresse et gel) et du repli de l’activité dans l’industrie (contraintes d’approvisionnement et hausse des coûts de production essentiellement dans le secteur manufacturier). Ces pertes n’ont été que partiellement compensées par la normalisation de l’activité dans les services, induite par une hausse de la mobilité dans le sillage de la 2e vague de Covid-19.
Du côté de la demande, les contraintes d’offre ont pesé sur les décisions d’investissement et ont fortement accéléré l’écoulement des stocks (notamment dans la filière automobile souffrant de la pénurie mondiale de semi-conducteurs). Le retournement de l’investissement brut aura, à lui seul, annulé les effets sur l’activité liés au dynamisme de la demande externe (+1,4 pp de contribution à la croissance trimestrielle).
Le rebond de l’activité au deuxième semestre pourrait être plus modéré qu’attendu. D’un côté, la progression de l’épidémie a fortement ralenti depuis fin juin (et ce malgré une prévalence plus élevée du variant Delta), autorisant une réouverture plus large de l’économie et une progression de l’activité en juillet (+0,6% de l’indicateur avancé du PIB réel, l’IBC-BR).
Le raffermissement des services (+4% au dessus de son niveau de février 2020) a favorisé notamment un repli du chômage (baisse d’un point à 13,7 % en juillet par rapport à avril), impulsé par les micro et les petites entreprises à l’origine de près des trois quarts des emplois formels créés entre janvier et juillet. L’accélération de la vaccination (70% de primo-vaccinés et 40% de la population entièrement vaccinée fin septembre contre respectivement 38% et 14% début juillet) a, en effet, permis une baisse des décès et des hospitalisations à des niveaux inférieurs à ceux observés en novembre 2020. À court terme, l’économie devrait continuer de profiter des prix élevés des matières premières, de la reconstitution d’une partie des stocks dans le secteur manufacturier et de la reprise plus large dans les services.
D’un autre côté, les indicateurs disponibles au T3 montrent que les contraintes dans l’industrie, notamment sur les coûts, ne se sont pas relâchées (dépréciation du change, hausse du prix de l’électricité et coût du fret, retards des fournisseurs). Ces difficultés persistantes ont commencé à entamer la confiance dans le secteur (l’indice FGV-industrie a chuté de 1,4 point entre juillet et août et a continué de se dégrader en septembre).
Dans les enquêtes, les entreprises s’inquiètent du risque de rationnement de l’électricité qui pourrait occasionner des arrêts de production cette année et l’année prochaine (les centrales thermoélectriques, qui constituent une partie du système d’urgence, fonctionnent à plein régime et le pays doit importer davantage d’électricité et de gas de l’Argentine et de la Bolivie).
En 2022, la reprise devrait se poursuivre mais à un rythme ralenti (1,5 %). La consommation des ménages sera contrainte par la faiblesse des augmentations de salaires, l’accélération de l’inflation, le niveau élévé du chômage et le durcissement des conditions de crédit. Le début du cycle électoral, à un an de la présidentielle d’octobre 2022, devrait dans le même temps être moins favorable à l’investissement privé.
La normalisation des chaînes d’approvisionnement dans l’industrie et les assouplissements réglementaires récents, permettant un meilleur accès au crédit pour les PME, ne devraient pas peser significativement dans la balance des risques (dominée par le risque d’émergence de variants affectant l’efficacité des vaccins et le risque de crise énergétique). Enfin, il faut rappeler que l’économie bénéficiera d’un plus faible acquis de croissance l’année prochaine par rapport à cette année (0,3 pp estimé vs. 3,7pp). Les perspectives de croissance à moyen-terme dépendront avant tout de l’amélioration de l’environnement des affaires, pierre angulaire pour stimuler l’investissement privé, accroître la productivité et compenser les effets sur la croissance liés à la transition démographique du pays (cf. Eco conjoncture, août 2020).
L’inflation se généralise
L’inflation a continué d’accélérer jusqu’en août, l’indice IPCA enregistrant une hausse sur un an de 9,68%, soit un plus haut depuis février 2016 et 1,1 pp de plus que le scénario central de la Banque centrale (BCB) du mois de juin. Les pressions sur l’IPCA sont venues principalement des produits alimentaires mais aussi des biens industriels en raison des goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement et de l’augmentation du prix des intrants. La hausse des prix se propage aussi dans les services. À horizon 2022, les pressions sur les prix des produits alimentaires et des boissons pourraient se dissiper. En revanche, la montée des prix de l’électricité et des carburants devraient être plus persistante. Actuellement l’inflation sous-jacente se situe environ à 4 points en deçà de l’inflation globale. D’après l’enquête de la Banque centrale auprès des opérateurs de marché, les anticipations d’inflation pour 2022 (4,1% contre 8,45% pour 2021) restent supérieures à la cible de la BCB (3,5%).
Dans ce contexte, la BCB a continué de relever son taux directeur (5e hausse en septembre du taux SELIC, soit +425 points de base depuis mars). La tâche des autorités monétaires est rendue plus difficile par la faiblesse du real qui peine à s’apprécier malgré la remontée du SELIC, la baisse du déficit du compte courant et la reprise des flux d’investissements de portefeuille. La monnaie a souffert de la situation politique très tendue (accusations de corruption dans le cadre de l’achat des vaccins, attaque du Président contre les institutions, hausse des tensions avec la Cour Suprême, menace d’annulation des élections l’année prochaine, multiplication des demandes d’impeachment etc.)
Risque que les considérations budgétaires dictent la conduite de la politique monétaire
Les incertitudes budgétaires (perte de visibilité quant aux priorités du gouvernement en matière de réformes ; risque que les autorités, en période pré-électorale, s’affranchissent des contraintes budgétaires pour stimuler la demande intérieure) est aussi un obstacle à l’ancrage des anticipations d’inflation. Des manœuvres budgétaires auraient déjà permis de contourner le plafond des dépenses en 2021. D’après une note de l’IIF, le Brésil n’a pas pour habitude de réduire ses dépenses primaires en cours d’année électorale. Enfin, le Président compte déployer un nouveau programme social (Auxilio Brazil) amené à remplacer Bolsa familia (ce programme sera toutefois en partie financé par une hausse temporaire de la taxe sur les opérations financières au T4 2021).
Les incertitudes budgétaires poussent à la hausse les primes de risque et affaiblissent le real, contraignant la BCB à durcir la politique monétaire (inflation importée). En conséquence, le coût de la dette s’alourdit. Or, il est difficile de changer la composition des dépenses (près de 95% des dépenses budgétaires sont protégées par la Constitution), ce qui induit leur accroissement dans le temps. Dans ce scénario, la politique monétaire se retrouve entièrement dominée par la politique budgétaire (fiscal dominance). Ce cercle vicieux maintient l’écart entre le taux d’intérêt auquel s’endette l’état et le taux de croissance de l’économie (d’ordinaire lent au Brésil ces dernières années) conduisant à la dégradation de la dynamique du ratio de dette publique.
Pour l’instant, les ratios budgétaires ne se dégradent pas, ne serait-ce qu’en raison de la forte croissance du PIB nominal. Le déficit est aussi contenu grâce au versement des impôts différés (hause de 25% des recettes fiscales au premier semestre). Par ailleurs, le resserrement des conditions de financement et les remous associés à l’approbation du budget 2021 (cf. Eco Emerging T3) n’ont, pour l’instant, pas entraver la capacité de l’État à se refinancer (le rollover sur les tombées de dette, qui cumulent à plus de 10% du PIB depuis le début de l’année, s’est fait plutôt aisément). Mais l’amélioration récente des soldes budgétaires ne reflète pas un assainissement de fond des finances publiques toujours sujettes à d’importantes rigidités.
Achevé de rédiger le 06/10/2021