L’économie chinoise traverse une période d’importants ajustements. Ceux-ci sont d’abord la conséquence des resserrements réglementaires soudains imposés par Pékin dans divers secteurs tels que l’immobilier, certaines nouvelles technologies ou des activités liées aux enjeux sociétaux du pays. Les ajustements résultent également des problèmes d’excès de dette de certaines entreprises, publiques et privées, et de la volonté des autorités de durcir leur accès au crédit et d’assainir les pratiques financières. Les défauts de paiement des entreprises se multiplient donc, et les difficultés du promoteur immobilier Evergrande sont symptomatiques des changements en cours. L’enjeu pour les autorités est de garder le contrôle de ces événements afin de contenir leurs effets négatifs sur la confiance dans le système financier, sur les conditions de crédit des autres agents économiques et sur la croissance.
Nouvelles menaces sur la croissance
Le rebond post-Covid de l’économie chinoise a atteint son pic en début d’année et les taux de croissance de l’activité se sont normalisés à partir de mars. Le ralentissement s’est toutefois avéré particulièrement marqué pendant l’été, et généralisé à l’ensemble des secteurs. Il a été induit à la fois par des facteurs ponctuels et des causes plus durables.
Tout d’abord, les restrictions de mobilité, réintroduites en août en réponse à la résurgence épidémique et à la menace du variant delta de la Covid-19, ont porté un nouveau coup dur à la consommation privée. La croissance des volumes de ventes au détail est tombée à +0,9% en glissement annuel en août, contre 6,4% en juillet et 11,9% au T2 2021. L’activité dans les services (+4,8% en g.a. en août contre 7,8% en juillet et 13,9% au T2) a fortement souffert de ces mesures de confinement. Elle a également subi les effets des changements réglementaires dans des secteurs comme le numérique, le soutien scolaire ou les jeux vidéo.
Par ailleurs, le durcissement du cadre macro-prudentiel et des conditions de crédit a pénalisé le marché immobilier. S’est ajouté le resserrement de la politique budgétaire au S1 2021, qui a conduit à un important ralentissement de l’investissement dans les projets d’infrastructures publiques (cf. graphique). Les autorités ont en effet ajusté rapidement leur politique économique à la suite du rebond post-Covid de l’an dernier, afin de redonner la priorité aux efforts de désendettement des collectivités locales et des entreprises – notamment des promoteurs immobiliers et des sociétés publiques.
Enfin, diverses contraintes d’approvisionnement ont pénalisé le secteur industriel. Les coupures d’électricité dans les usines se sont multipliées, à cause de pénuries provoquées, entre autres, par la forte demande, une production d’énergie contrainte par la hausse des prix du charbon et des rationnements imposés par certaines provinces cherchant à atteindre leurs objectifs de réduction d’émissions de CO2. Néanmoins, jusqu’en août, la croissance industrielle n’avait ralenti que modérément (+5,3% en g.a. contre 6,4% en juillet et 9% au T2), accompagnant la performance toujours solide des exportations (encore +25% en g.a. en valeur en août). Autre élément favorable, l’investissement dans le secteur manufacturier a été dynamique pendant l’été, soutenu par la bonne tenue des profits des entreprises et un taux d’utilisation des capacités de production historiquement élevé (78,4% au T2 2021).
En dépit d’une grande prudence des ménages, la consommation et l’activité dans les services devraient se redresser dès septembre avec la levée de la plupart des restrictions de mobilité et, dans une moindre mesure, grâce aux progrès de la campagne de vaccination (plus de 70% de la population ont reçu deux injections). L’inflation toujours très faible des prix à la consommation (+0,8% en g.a. en août) pourrait aussi encourager les dépenses. Et les autorités devraient à nouveau soutenir la demande intérieure principalement via des mesures très ciblées d’assouplissement du crédit et le rebond de l’investissement public.
En revanche, les contraintes d’offre dans l’industrie pourraient persister encore plusieurs mois. Surtout, les ajustements actuellement menés par les autorités créent, au moins à court terme, de nouvelles contraintes sur la croissance.
Premièrement, l’environnement réglementaire devient moins prévisible et moins favorable à l’investissement privé dans divers secteurs considérés comme sensibles par Pékin. Il s’agit notamment de certaines nouvelles technologiques proposant des services aux consommateurs, de la collecte des données et d’activités liées à des enjeux sociétaux (tels que l’éducation ou la répartition des richesses).
Deuxièmement, les difficultés et défauts de paiements des entreprises – publiques et privées – se multiplient sous l’effet conjugué : i) du poids de leur dette[1] et de la dégradation de leur performance financière à la suite de la crise de l’an dernier, et ii) des mesures prises par les autorités pour désendetter certains secteurs en resserrant leurs conditions d’accès au crédit, et assainir les pratiques du système financier (avec par exemple la mise en faillite d’entreprises non viables et l’affaiblissement des garanties apportées par l’État).
La prospérité commune, l’immobilier et Evergrande
Dans ce contexte, le secteur immobilier est particulièrement exposé. D’une part parce que le marché immobilier résidentiel joue un rôle important dans la stratégie de développement à moyen terme : la modération des prix et l’amélioration de l’accessibilité au logement doivent aider à stimuler la consommation des ménages ainsi que participer à la réduction des inégalités et à la réalisation de la « prospérité commune » – objectif dorénavant prioritaire de Pékin.
D’autre part, le secteur immobilier est l’un des plus lourdement endettés et a également largement profité des mesures d’assouplissement monétaire mises en œuvre pendant la crise sanitaire au S1 2020. Les autorités y ont donc fortement durci les conditions de crédit et le cadre prudentiel à partir du T3 2020. Elles ont introduit de nouvelles limites à l’exposition des banques au secteur[2] et imposé aux promoteurs immobiliers trois « lignes rouges » à respecter en matière de ratios financiers[3]. Des mesures ont également été mises en place par de nombreuses provinces pour décourager les transactions spéculatives et ralentir la hausse du coût du logement.
Dans ce cadre de plus en plus restrictif, les entreprises du secteur immobilier ont rencontré des problèmes croissants de financement et de trésorerie au cours des derniers mois. La croissance des prêts bancaires aux promoteurs (qui ne représentent qu’une partie des financements du secteur) a chuté à 2,8% en g.a. à la mi-2021 contre 8,4% à la mi-2020. Celle des prêts hypothécaires est tombée à 8,6% contre 14,8% sur la même période. Cette correction devrait s’aggraver au S2 2021. Les constructions et les ventes de logements ont marqué le pas, réduisant encore les liquidités des promoteurs (cf. graphique).
Le cas d’Evergrande est symptomatique des difficultés du secteur. Les derniers jours de septembre, ce promoteur, le plus important du pays et le plus lourdement endetté, n’a pas remboursé une partie de ses intérêts dus à des créanciers locaux ni sur sa dette obligataire en dollars. Les autorités n’ont accordé aucune mesure de soutien direct.
Quelles conséquences ?
Les efforts de désendettement des entreprises et l’assainissement des pratiques financières sont des évolutions positives devant conduire à une meilleure allocation du capital à moyen terme. À court terme, cependant, l’ajustement est douloureux. Les premiers défauts d’Evergrande ont eu un effet immédiat sévère sur la confiance et les marchés financiers, ne serait-ce qu’à cause de la taille de l’entreprise (qui représentait près de 5% de la valeur totale des transactions immobilières du pays en 2020) et de l’importance et du profil de sa dette (principalement à court terme)[4]. Les difficultés d’Evergrande ont aussi affecté les paiements aux fournisseurs et les remboursements de crédits du shadow banking, accélérant la diffusion des tensions sur la liquidité à d’autres institutions.
Les marchés obligataires ont ces dernières semaines accru leur différenciation des promoteurs immobiliers en fonction de leur notation, et un certain nombre de petites sociétés du secteur, qui ont vu se fermer leur accès aux financements, pourraient également faire défaut. En revanche, les émetteurs obligataires des autres secteurs ne semblent pas, jusqu’à maintenant, avoir été très affectés. De plus, le secteur bancaire est stable. Son exposition à l’immobilier est élevée, avec des prêts représentant 28% du total des prêts bancaires au S1 2021 (dont 21% de prêts hypothécaires et 7% de prêts aux promoteurs), soit 46% du PIB. Certaines petites banques devraient être fragilisées, mais les grandes banques sont suffisamment capitalisées, provisionnées et robustes pour résister au choc (et leur exposition directe à Evergrande est gérable).
Surtout, les autorités ont la capacité de contenir les effets de contagion sur les conditions de financement du reste de l’économie et prévenir les risques d’instabilité dans le système financier. La banque centrale injecte des liquidités de manière continue depuis quelques jours, et le gouvernement intervient dans les négociations entre Evergrande et les créanciers ainsi que dans son processus de restructuration (ventes d’actifs, injections de fonds par d’autres promoteurs, etc.).
Il est peu probable que le choc Evergrande entraîne une crise de liquidité généralisée du système financier. En revanche, le processus forcé de désendettement des promoteurs aura des conséquences importantes sur la croissance. Les achats de terrains, l’activité de construction et les ventes de logements devraient continuer de fléchir à court terme. Or, les secteurs de la construction et de l’immobilier sont un moteur essentiel de la croissance chinoise. Ils représentent 15% du PIB, et même 25% si on inclut l’ensemble des activités indirectement liées. L’investissement immobilier compte pour près d’un quart de l’investissement total.
En outre, les ventes de terrains sont une source importante de revenus des collectivités locales, et le patrimoine des ménages, en particulier dans les zones urbaines, est majoritairement investi dans l’immobilier. Les autorités, tout en laissant faire la liquidation de certains promoteurs immobiliers parmi les plus fragiles, devraient donc agir de manière à éviter un effondrement durable du secteur (par exemple grâce à un assouplissement des conditions sur les prêts hypothécaires, et un soutien à la liquidité des entreprises les plus solides). La finalisation des projets de construction déjà existants d’Evergrande devrait aussi être une priorité des autorités, afin de répondre au mécontentement des familles en attente de leurs logements.
Achevé de rédiger le 29/09/2021