La Hongrie bénéficie à plein du redressement du commerce extérieur, qui tire actuellement sa croissance. Les tensions sur l’offre s’accentuent, avec une forte utilisation des capacités de production et la raréfaction de la main d’œuvre. Ces problématiques locales s’ajoutent à un contexte de pénuries mondiales dans l’industrie. Il en résulte une nette accélération de l’inflation, à laquelle la banque centrale a répondu par une première hausse des taux directeurs en 10 ans. La politique monétaire reste cependant relativement accommodante, car la banque centrale aura acheté pour près de 5 points de PIB de dette publique en 2021. Ce soutien est important, dans un contexte où l’accès aux financements européens (dont ceux du plan de relance) reste soumis à des points d’achoppement (clause d’état de droit notamment). Tout cela ne remet pas en cause deux lignes de force de la croissance hongroise : un cycle du crédit finançant un rebond de l’investissement dans la construction (relativement soutenable en raison d’un endettement limité du secteur privé) et l’attractivité de l’appareil industriel pour les investisseurs étrangers.
Environnement porteur
La Hongrie enregistre une croissance forte et des tensions inflationnistes significatives. Le pays est, dans les deux cas, dans le peloton de tête des pays d’Europe centrale.
Le rebond de la croissance provient d’une forte hausse des exportations, tirées par une forte demande pour l’automobile notamment. Le rebond de la demande intérieure a, quant à lui, été limité par la répétition de vagues sévères de Covid-19, notamment au printemps 2021. La consommation des ménages est le seul poste de demande à ne pas avoir retrouvé son niveau d’avant-Covid, ce qui se reflète dans une hausse du taux d’épargne (15% en 2020, contre 12% en 2019).
Pour autant, la situation économique présente des caractéristiques proches de sa situation d’avant pandémie, avec une forte utilisation des capacités de production industrielles et des tensions sur le marché du travail (taux de chômage à 4,8% en août 2021). Ces problématiques d’offre sont renforcées par le poids du secteur manufacturier dans un contexte de pénuries mondiales (notamment de semi-conducteurs).
Les enquêtes de confiance dans l’industrie montrent que ces pénuries sont en train de se renforcer. Elles sont même devenues le premier facteur affectant, à partir du 3e trimestre, la production de biens intermédiaires et de biens d’équipement. Le secteur de la construction rencontre les mêmes difficultés en termes de main d’œuvre et d’approvisionnements que les autres secteurs.
Or, la demande intérieure ne peut que s’accélérer. La normalisation de la situation du point de vue sanitaire conduit les ménages à revoir à la hausse leurs intentions de dépense, notamment en matière d’amélioration du logement.
Consolidation monétaire au rendez-vous
Tout milite donc pour une accélération de l’inflation, qui a atteint 4,9% en g.a. en août. Cette dernière est d’ores et déjà supérieure à son niveau d’avant-Covid. De plus, cette problématique est encore plus prégnante pour les entreprises, avec une hausse de 14,4% des prix à la production.
Cela a conduit la banque centrale à resserrer sa politique monétaire dès juin 2021 pour la première fois depuis 2011. La rareté des périodes de resserrement tient à la marge de manœuvre de la banque centrale, qui peut tolérer une inflation supérieure à son objectif d’inflation à 3% tant qu’elle estime qu’elle pourra converger vers cette cible à moyen terme. Par exemple, en 2018-2019, l’inflation avait dépassé 3%, 14 mois sur 24, sans que la banque centrale intervienne.
Celle-ci a mis en œuvre trois resserrements de 30 points de base (pb), avant d’en ralentir l’ampleur avec une hausse de 15 pb seulement en septembre (portant le taux directeur à 1,65%). Cela suggère que la banque centrale considérait à ce stade que la majeure partie des hausses des taux était faite et que la convergence vers une inflation à 3% à moyen terme (fin 2022) était désormais plus probable.
L’inflation sous-jacente a pourtant accéléré ces derniers mois, atteignant 4% au mois de septembre. Dans ce contexte, le ralentissement de la hausse des taux en septembre a directement pesé sur le forint (HUF), relativement stable jusqu’à cette décision, qui a perdu près de 3% dans les jours qui ont suivi.
Consolidation budgétaire en suspens
La Hongrie devrait pouvoir consolider également ses finances publiques après un fort soutien budgétaire en 2020 (9,2 points de PIB de mesures directes et 4,3 points de PIB de garanties sur des dettes). En conséquence, la hausse de la dette publique a été l’une des plus fortes en Europe centrale (+15 points de PIB). La banque centrale a contribué à financer cet effort en augmentant significativement ses achats de dette publique, passant d’un montant estimé équivalant à 2,4% du PIB en 2020 et à 5% du PIB pour l’ensemble de l’année 2021.
Toutefois, nombre des mesures budgétaires liées à la situation de pandémie devraient être levées avec sa normalisation. En parallèle, la banque centrale a commencé à réduire le montant de ses achats hebdomadaires (HUF 40 mds à compter de fin septembre 2021) et devrait continuer dans cette direction.
La vigueur de la croissance devrait favoriser la consolidation budgétaire, même si le gouvernement a prévu de continuer à soutenir l’économie encore fortement en 2022 (déficit public anticipé à 5% du PIB). En parallèle, les taux longs ont eu tendance à se tendre davantage que dans d’autres pays d’Europe centrale, avec un taux à 10 ans qui atteint 3,5% au 5 octobre, soit +150 points de base depuis la fin 2019.
Le risque de retard dans le versement des financements européens liés au plan de relance s’est en effet accru, y compris les subventions prévues à ce titre. En cas de non versement intégral de ces dernières, les émissions de dette nécessaires pour compenser ce manque à gagner feraient augmenter la dette publique hongroise de près de 3 points de PIB. Cela impliquerait que la dette publique se stabiliserait à horizon 2022 à un niveau proche de 80% du PIB, au lieu de diminuer.
Risque de crédit sous contrôle
La Hongrie bénéficie encore de l’assainissement de son secteur bancaire opéré tout au long de la précédente décennie. Les niveaux d’endettement du secteur privé non financier sont donc relativement bas, avec une part du crédit en devises contenue. Pour autant, la Hongrie est entrée dans un cycle de crédit à partir de 2018, avec notamment une hausse de l’investissement immobilier des ménages.
Le moratoire sur le remboursement des prêts mis en place en mars 2020 a enregistré un taux de participation nettement plus élevé qu’ailleurs en Europe centrale : 30% de la valeur des prêts aux ménages a ainsi été concernée, contre 20% pour la valeur des prêts aux entreprises. Ce moratoire a permis de limiter le risque de crédit en période de pandémie et le taux de créances douteuses des banques a diminué jusqu’à seulement 0,9% au 1er trimestre 2021. Le ratio devrait maintenant croître, la période de moratoire ayant pris fin pour l’essentiel des prêts concernés. Les stress tests de la banque centrale suggèrent une augmentation jusqu’à 4% dans un scenario adverse. Les banques bénéficient d’une capitalisation satisfaisante (ratio CET1 à 17%) et d’une rentabilité qu’elles ont su maintenir malgré le moratoire (ROA à 1,4%). Elles devraient donc pouvoir faire face à cette hausse potentielle des créances douteuses.
Avec la réouverture de l’économie, la croissance du crédit a repris, soutenant l’investissement des ménages dans la construction. Cette croissance n’apparaît pour le moment pas affectée par le début de resserrement monétaire, la capacité d’endettement des ménages restant élevée (endettement bas, croissance élevée de leurs revenus). La forte demande pour l’immobilier pourrait engendrer une accélération de la hausse des prix (14% a/a au 1er trimestre 2021), dans un contexte de pénurie des matériaux de construction.
Attractivité intacte pour les investisseurs étrangers
La Hongrie est fortement impliquée dans les chaînes de production internationales. C’est le cas en amont, avec le taux le plus élevé de l’Union européenne en termes d’intrants chinois. C’est aussi perceptible en aval, avec le poids des exportations dans le PIB.
Le renforcement des coûts de transport (augmentation du coût des containers notamment) et la transformation de l’offre (renforcement du poids de l’électrique dans l’automobile) peuvent rebattre les cartes. La perspective d’une harmonisation fiscale sur le plan international peut également limiter les incitations à investir en Hongrie (en raison de la taxation préférentielle sur les profits).
La raréfaction répétée de la main d’œuvre est également un facteur limitant la croissance potentielle. Toutefois, les gains de productivité restent conséquents (+3% par an sur les quatre dernières années). En parallèle, le niveau d’investissement direct étranger est resté élevé pendant la pandémie. Le retard ou la réduction des financements européens, qui ont significativement contribué jusqu’alors au développement du pays constituerait, en revanche, un risque pour l’économie.
Achevé de rédiger le 06/10/2021