La fragilité de la reprise dans les pays émergents se confirme. Plusieurs économies, en Asie et en Amérique latine, ont connu un trou d’air au T2 2021. Les répliques de la pandémie liées à l’apparition de variants se traduisent par des arrêts de production jusqu’à présent transitoires mais qui entament la confiance des entreprises. Ces dernières subissent également des contraintes d’offre (goulets d’étranglement, pénurie d’énergie) qui contribuent à une accélération de l’inflation et pèsent indirectement sur la confiance des ménages. Enfin, l’économie chinoise inquiète avec une consommation des ménages en berne et des secteurs de la construction et de l’immobilier en grande difficulté. Point positif, selon les estimations de l’IIF, l’endettement du secteur privé non financier n’a pas connu de véritable choc post-Covid, contrairement à la dette publique.
Une reprise chaotique
La reprise dans les économies émergentes se révèle très chaotique. Au deuxième trimestre 2021, le PIB a rechuté pour un tiers des 27 pays de notre échantillon. La croissance s’est renforcée uniquement pour les pays membres de l’Union européenne grâce notamment au rebond dans la zone euro. Le trou d’air a surtout touché les pays d’Asie et s’explique principalement par les mesures de confinement consécutives aux vagues de contamination par les variants de la Covid-19 (Inde, Malaisie notamment). Pour autant, jusqu’en juin les exportations sont restées dynamiques, même en Asie, et ont accéléré dans les autres régions. Elles sont encore inférieures à leur niveau de 2019 uniquement dans la zone Afrique-Moyen Orient en raison des quotas sur la production de pétrole maintenus par l’OPEP+.
Les évolutions au cours de l’été ne conduisent pas à l’optimisme
Certes, les campagnes de vaccination se déploient de façon accélérée. Mais le climat de confiance des entreprises se détériore (sauf en Europe centrale) et l’accélération de l’inflation pèse sur la confiance des ménages, et oblige de plus en plus de banques centrales à relever leurs taux directeurs. Les hausses sont encore très mesurées (même les banques centrales du Brésil et de la Russie, qui ont été très réactives, sont restées « behind the curve »). Cette prudence est d’ailleurs justifiée par i/ l’inertie de l’inflation sous-jacente par rapport à l’inflation totale (notamment en Asie) et ii/ les enquêtes auprès des entreprises, dans lesquelles le ratio entre l’indice (de diffusion) sur l’évolution des prix de vente et celui sur les prix des consommations intermédiaires est généralement inférieur à 1.
Les investissements de portefeuille ont reflué avec les anticipations du tapering aux États-Unis et les taux de change ont continué de se déprécier contre le dollar US. Surtout, l’économie chinoise inquiète avec une consommation des ménages en berne, un secteur industriel pénalisé par des contraintes d’offre et des secteurs de la construction et de l’immobilier en grande difficulté. Cette inquiétude s’est déjà traduite par un retournement des prix des métaux depuis la mi-septembre.
Enfin, la menace d’un ralentissement plus fort qu’attendu de l’économie chinoise au dernier trimestre 2021 et en 2022 constitue un nouveau risque pour la croissance des pays émergents. Si le ralentissement se limite au secteur de la construction et de l’immobilier, l’impact sur la demande chinoise pourrait être limité, la hausse des dépenses d’infrastructure pouvant compenser partiellement le choc sur la construction résidentielle déjà en cours. Mais l’effet indirect via le canal des matières premières sera plus rapide. Il frappera d’abord les pays d’Amérique latine qui sont à la peine et dont on pouvait espérer un gain de croissance potentielle du cycle haussier des cours des matières premières.
Le choc de la Covid-19 n’a pas entraîné d’excès massif de dettes privées
La dernière mise à jour du Global Debt monitor de l’IIF permet de tirer un bilan provisoire de l’impact de la crise sanitaire sur l’endettement des pays émergents. L’augmentation médiane1 du ratio de dette publique sur PIB a été d’environ de 10 points de PIB entre décembre 2019 et juin 2021. Par comparaison, le choc de Lehman Brothers en 2008 n’avait entraîné qu’une hausse de 5 points.
En revanche, pour le secteur privé non financier, la hausse (environ 3,5 points en médiane également) au cours des deux épisodes est équivalente. Plus étonnant en apparence, la dette des entreprises n’a pas davantage augmenté que celle des ménages alors que les premières ont bénéficié de lignes de financement d’urgence. Il est possible qu’avec l’absence ou la faible couverture de l’assurance chômage, certains ménages aient été obligés d’avoir recours au crédit pour compenser la perte de leur emploi ou de leurs revenus (Afrique du Sud, Brésil, Colombie, Malaisie, Thaïlande).
Au total, bien que l’IIF pointe régulièrement le niveau élevé et croissant de la dette mondiale tant publique que privée, l’endettement global du secteur privé non financier dans les pays émergents n’a pas connu de véritable choc post-Covid. Signalons toutefois deux exceptions, l’Arabie saoudite et la Russie, où la dette des entreprises non financières a progressé de 14 points de PIB. Le secteur privé non financier russe n’est toutefois pas en situation d’excès de dette (le credit gap est inférieur à 5 pp). Ces deux économies sont vulnérables compte tenu des contraintes structurelles liées à leur faible diversification qui limite leur potentiel de croissance.
Un autre enseignement des estimations de l’IIF est que le choc de la Covid-19 n’a pas accru la vulnérabilité extérieure des pays émergents. Au niveau agrégé, la hausse de la dette en devises des agents non financiers (États, entreprises et ménages confondus) a été plus que compensée par l’augmentation des réserves officielles de change malgré la volatilité des investissements de portefeuille. Le ratio entre la dette en devises et les réserves de change a diminué dans la très grande majorité des pays à l’exception notable de la Turquie et, dans une moindre mesure, l’Arabie saoudite et la Colombie.
Autre point positif, la capacité des principaux pays émergents à émettre de la dette, soit sur les marchés internationaux, soit sur leur marché domestique, est restée inchangée. À quelques exceptions (Turquie, Brésil, Colombie), les primes de CDS sur les dettes souveraines ne se sont que faiblement écartées depuis mars 2020 malgré l’augmentation des besoins de financement des Etats. Ces derniers ont pu compter sur l’épargne locale mais aussi sur les investisseurs non-résidents.