La crise de la Covid-19 est survenue à un moment où la politique fiscale britannique était en train d’être relâchée après des années d’austérité. Du fait de la hausse massive de la dépense publique, de la chute des recettes de l’État, et des mesures prises par la Banque d’Angleterre, la dette publique du Royaume-Uni a fortement augmenté depuis un an. Ce texte cherche à analyser la trajectoire et les tendances des finances publiques. La première partie dresse un état des lieux des finances publiques du Royaume-Uni avant la crise de la Covid-19. La deuxième partie analyse la crise sanitaire et son impact sur l’économie. La troisième partie détaille les mesures prises par les autorités britanniques et l’impact de la crise sur les dépenses, les recettes, le déficit et l’endettement de l’État. Enfin, la dernière partie étudie les perspectives de plus long terme pour les finances publiques et la stratégie du gouvernement britannique pour assurer la soutenabilité de la dette publique.
L’état des finances publiques
L’organisation de la dépense publique[1]
L’ensemble des dépenses du gouvernement, ou Total Managed Expenditure (TME), se divise en resource budget pour les dépenses courantes et en capital budget pour les dépenses d’investissement. Chacune de ces catégories peut ensuite être divisées en deux. Les Departmental Expenditure Limits (DEL), décidées lors des examens des dépenses (Spending Reviews ou, occasionnellement, Comprehensive Spending Reviews, CSR), fixent un montant maximum sur trois ans pour les dépenses courantes et les investissements les plus prévisibles. C’est le cas des coûts administratifs, comme les coûts de fonctionnement ou les salaires. De l’autre côté, les dépenses plus difficiles à contrôler, et donc à estimer à l’avance, sont revues annuellement. Connues comme Annually Managed Expenditure (AME), elles comprennent par exemple les dépenses de sécurité sociale, celles pour les crédits d’impôt, ou encore celles pour les retraites.
Le graphique 1 montre comment se sont réparties les dépenses du gouvernement britannique pour l’année fiscale 2019-20[2]. Les dépenses courantes (public sector current expenditure) représentent environ neuf dixièmes des dépenses totales du gouvernement. Le dixième restant est partagé presque équitablement entre investissements et dépréciations, réunis en investissement brut (public sector gross investment).
Où va la dépense publique ?
La protection sociale est, de loin, la première cible de la dépense publique. Sa légère baisse en valeur réelle depuis le début de la décennie précédente a été le principal facteur expliquant le ralentissement de la hausse des dépenses. Cette tendance a certainement reflété les coupes budgétaires mises en place dans le cadre du programme d’austérité lancé après la crise financière mondiale (cf. section suivante). Néanmoins, elle est aussi expliquée par la chute du chômage depuis 2012, qui a eu pour effet de réduire le montant des indemnités versées par le gouvernement. De 8,5% à la fin de l’année 2011, le taux de chômage au Royaume-Uni était tombé à 3,9% juste avant la crise de la Covid-19. La santé est le deuxième poste de dépense, suivi par l’éducation, les services publics, les affaires économiques, et la défense (cf. graphique 2).
Tendances antérieures à la Covid-19
En 2018, la dépense publique au Royaume-Uni représentait environ 40% du PIB. Si le Royaume-Uni est l’un des pays européens les moins dépensiers, c’est néanmoins le pays anglo-saxon qui présente le plus haut ratio de dépense des administrations publiques (cf. graphique 3).
Les gouvernements qui se sont succédé depuis plus de vingt ans au Royaume-Uni ont cherché à se tenir à des règles fiscales (fiscal rules) dans l’élaboration de leurs plans de dépenses. De telles règles furent édictées pour la première fois en 1997 par Gordon Brown, alors chancelier de l’Échiquier. Elles étaient au nombre de deux. La première, la règle d’or (golden rule), stipulait que sur la durée d’un cycle économique le gouvernement ne pourrait emprunter que pour investir et que les dépenses courantes seraient financées par les impôts.
La seconde visait à maintenir la dette au-dessous de 40% du PIB sur la durée du cycle économique. Ces règles ont par la suite été plusieurs fois abandonnées et remplacées.
Les trois règles fiscales actuellement en vigueur ont été définies dans le programme du Parti conservateur pour les élections de 2019[3] – qui ont mené Boris Johnson au poste de Premier ministre. La première stipule que le budget courant doit être à l’équilibre au plus tard dans la troisième année de la période de prévision. La deuxième limite l’investissement net du secteur public – c’est-à-dire sans compter les dépréciations – à 3% du PIB. La dernière prévoit une réévaluation des plans de dépenses dans le cas où le coût de la dette dépasserait 6% des revenus du gouvernement.
Cependant, si le but affiché des règles fiscales est de contenir la dépense publique, l’augmentation en termes réels des dépenses s’est en fait accélérée après leur introduction il y a près de vingt-cinq ans (cf. graphique 4.)
Ce n’est qu’après la crise financière mondiale que la hausse des dépenses a été enrayée. Un programme d’austérité fut mis en place en 2010 par le Chancelier George Osborne, avec pour objectifs d’équilibrer la balance courante des dépenses à la fin de chaque période de prévision de cinq années glissantes et de faire baisser le ratio de dette sur PIB. L’augmentation des dépenses a ainsi été sensiblement freinée durant la dernière décennie. Les dépenses totales du gouvernement (TME) ont même baissé de plus de 1% en valeur réelle pendant les années fiscales 2011-12 et 2013-14.
Cependant, les gouvernements qui se sont succédé ces trois dernières années ont à plusieurs reprises promis de sortir de ce que le futur Premier ministre David Cameron avait appelé « l’âge de l’austérité » en 2009. Durant son discours à la conférence du Parti conservateur en octobre 2018, la Première ministre Theresa May a annoncé que l’austérité allait bientôt prendre fin, des propos confirmés par le Chancelier Philip Hammond lors de la présentation du budget de 2018[4]. Un peu plus tard, lors de la présentation de la revue des dépenses de 2019, Sajid Javid, alors chancelier du gouvernement de Boris Johnson, a déclaré « être en train de tourner la page de l’austérité »[5]. Enfin, le chancelier actuel, Rishi Sunak, a dévoilé dans son budget du printemps 2020[6] un plan de dépenses conséquent qui dès lors aurait eu pour effet de stabiliser, au lieu de faire baisser, le ratio de dette sur PIB. Il convient de noter que ce budget, dévoilé le 11 mars, ne contenait que les prémisses du plan de relance mis en place par le gouvernement pour lutter contre les effets néfastes des mesures de restriction prises pour faire face à la pandémie de Covid-19. Ce plan de relance a bel et bien mis un terme à « l’âge de l’austérité ».
La crise de la Covid-19
Crise sanitaire
Parce que le gouvernement a tardé à mettre en place des mesures de restriction, la pandémie de Covid-19 s’est propagée rapidement au Royaume-Uni. Le premier confinement en Angleterre, finalement imposé le 23 mars 2020, a donc été particulièrement long. Les commerces non essentiels n’ont rouvert leurs portes qu’au milieu du mois de juin et le secteur du tourisme et de l’hébergement a dû attendre jusqu’au début du mois de juillet. Face à la résurgence de l’épidémie, un deuxième confinement a été mis en place au début du mois de novembre.
Si celui-ci a été levé après un mois, une mutation du virus le rendant particulièrement contagieux a mené à l’imposition d’un troisième confinement au début du mois de janvier. Celui-ci ne commencera à être levé qu’en mars, et certaines mesures resteront en place au moins jusqu’à la mi-juin. Au total, avec plus de 100 000 décès le Royaume-Uni est le cinquième pays au monde le plus affecté après les États-Unis, le Brésil, le Mexique et l’Inde, et donc le premier en Europe. De plus, d’après le Government Stringency Index de l’Oxford COVID-19 Government Response Tracker (OxCGRT)[7], le Royaume-Uni maintient des mesures de restriction parmi les plus strictes d’Europe.
L’impact sur l’économie
Étant donné la durée et la sévérité des mesures de restriction imposées, il n’est pas surprenant que l’économie du Royaume-Uni ait particulièrement souffert de la crise de la Covid-19. Les chutes de la consommation et de la production, provoquées notamment par les mesures de restriction et par le fort ralentissement des échanges mondiaux, ont entraîné une baisse massive du PIB au deuxième trimestre 2020 (cf. graphique 5). Sur l’ensemble de l’année 2020, il a reculé de près de 10%, soit la plus grosse contraction en termes réels parmi les pays du G7. Cela reflète en partie des différences méthodologiqueDÉPENSES DU GOUVERNEMENT (TME) l’éducation. Néanmoins, même en tenant compte de ces biais, l’ONS estime que le Royaume-Uni est le pays du G7 ayant enregistré la plus forte chute de PIB durant les trois premiers trimestres de 2020[8]. D’après la Banque d’Angleterre, la capacité d’offre de l’économie britannique sera 1,75% inférieure en 2023 à ce qu’elle aurait été sans la pandémie.
Outre l’activité économique, la réponse des autorités – détaillée dans la partie suivante – a été conditionnée par l’impact de la crise sur deux autres variables économiques majeures : le taux de chômage et l’inflation. Celles-ci continueront à guider la réponse des autorités dans les mois à venir et pourraient donc avoir un impact, certes indirect mais prolongé, sur les finances publiques.
La première de ces variables est le taux de chômage. En fait, celui-ci n’a pas connu l’envolée qui semblait inévitable au vu de la chute brutale et prolongée de l’activité économique. Cela s’explique par la proactivité des autorités, qui ont rapidement mis en place un programme de chômage partiel afin de limiter les licenciements et un programme de soutien aux autoentrepreneurs (cf. partie suivante). En conséquence, alors que le taux de chômage avait augmenté de plus de trois points de pourcentage pendant la crise financière mondiale, atteignant 8,5% fin 2011, sa hausse s’est jusqu’ici limitée à un peu plus d’un point de pourcentage depuis le début de la crise sanitaire. Entre octobre et décembre 2020, le taux de chômage s’est établi à 5,1%. Néanmoins, cette hausse limitée s’explique aussi par une augmentation du nombre d’inactifs – les personnes sans emploi n’en cherchant pas un, qui ne sont pas comptabilisées comme étant au chômage. D’après le Bureau de la statistique nationale (Office for National Statistics, ONS), plus de 700 000 emplois ont été détruits depuis février 2020[9].
La seconde variable importante lorsque l’on considère la réponse des autorités à la crise actuelle est l’inflation. Au début de l’année 2020, le taux de croissance annuel de l’indice des prix à la consommation (Consumer Price Index, CPI) était proche de la cible de 2% de la Banque d’Angleterre. Du fait de l’impact de la crise liée à la pandémie sur la demande, de la chute des prix du pétrole au premier trimestre 2020, et de certaines mesures des autorités telles que des baisses temporaires du taux de TVA pour certains secteurs, ce taux est descendu à 0,5% en mai et n’a pas dépassé 1% depuis[10]. C’est dans cet environnement – et avec en tête son objectif secondaire de supporter la politique économique du gouvernement – que le comité de politique monétaire (Monetary Policy Committee, MPC) de la Banque d’Angleterre a sensiblement relâché sa politique monétaire en 2020 (cf. partie suivante).
La réponse forte des autorités
Le gouvernement a dépensé sans compter…
Pour faire face aux crises sanitaire et économique liées au coronavirus, le gouvernement britannique a mobilisé des moyens considérables pour apporter son soutien aux services publics, aux entreprises, et aux particuliers.
Tout d’abord, près de GBP 130 mds ont été déboursés en 2020-21 pour soutenir les services publics et environ GBP 60 mds ont déjà été promis pour l’année 2021-22. Ces fonds ont notamment pour objectif de venir en aide au secteur de la santé, en première ligne contre la pandémie depuis un an.
Du côté des entreprises, le gouvernement a décidé de subventions, d’annulations de taxes et de reports de charges. D’après les dernières estimations du bureau pour la responsabilité du budget (Office for Budget Responsibility, OBR), l’organe chargé de produire des prévisions indépendantes pour le Trésor, ces mesures auront un coût total de près de GBP 35 mds pour l’année fiscale 2020-21. De plus, le Chancelier Rishi Sunak a promis plus de GBP 300 mds de garanties de prêts pour les entreprises. Jusqu’ici, les différents programmes créés par le gouvernement (Bounce Back Loan Scheme, BBLS ; Coronavirus Business Interruption Loan Scheme, CBILS ; et Coronavirus Large Business Interruption Loan Scheme, CLBILS) ont fourni plus de GBP 70 mds de financements. De son côté, des déboursements à hauteur de près de GBP 85 mds ont été autorisés dans le cadre du programme de la Banque d’Angleterre (Covid Corporate Financing Facility, CCFF). Néanmoins, l’impact sur le budget du gouvernement devrait être inférieur à ces montants, proche de GBP 30 mds en 2020-21 d’après l’OBR, car la plupart des prêts seront remboursés et l’État n’aura donc pas à intervenir.
Du côté des ménages, le gouvernement a mis en place des programmes de chômage partiel (Coronavirus Job Retention Scheme, CJRS) et de soutien aux autoentrepreneurs (Self-Employment Income Support Scheme, SEISS) afin d’éviter les licenciements et de préserver les revenus des travailleurs. À eux deux, ces programmes ont bénéficié à plus de dix millions de personnes et devraient coûter plus de GBP 70 mds à l’État britannique en 2020-21. Enfin, les ménages ont aussi bénéficié d’une augmentation d’environ GBP 8 mds des allocations (welfare).
Au total, l’OBR estime que ces mesures auront un impact de GBP 280 mds (14% du PIB) sur le déficit de l’année fiscale 2020-21 et de plus de GBP 50 mds sur celui de l’année suivante (cf. tableau 1).
… pendant que ses revenus fondaient
Si les recettes de l’État ont diminué du fait des mesures d’allègement fiscal, elles ont aussi pâti de la baisse de l’activité et donc des taxes et impôts qui lui sont liés. L’OBR estime que le manque à gagner pour 2020-21 s’élèvera à plus de GBP 55 mds par rapport aux recettes de l’année 2019-20, ce qui représente une baisse de près de 7%. Les trois quarts de ce manque à gagner s’expliquent par la diminution des revenus provenant de la TVA, de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés, des contributions des entreprises et des employés aux programmes d’avantages sociaux de l’État (National Insurance Contributions, NICs), et des taxes sur les propriétés non-domestiques (business rates) (cf. graphique 6).
La Banque d’Angleterre en soutien
De son côté, la Banque d’Angleterre a aussi agi pour limiter les effets de la crise sur l’environnement économique et financier. Si certaines des mesures qu’elle a prises n’affectent pas directement les finances publiques[11], d’autres auront un impact sur l’endettement net[12] (public sector net debt, PSND) et le déficit (public sector net borrowing, PSNB) du secteur public[13].
C’est le cas, tout d’abord, de l’extension de son programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE), que la banque centrale gère à travers l’Asset Purchase Facility (APF). Alors qu’avant la crise elle visait un stock de GBP 435 mds d’obligations souveraines (Gilts), sa cible a été relevée à GBP 875 mds. De plus, elle a doublé jusqu’à GBP 20 mds sa cible d’achats d’obligations d’entreprises. Tous ces achats ont un effet instantané sur l’endettement net et un effet continu sur le déficit[14].
L’effet instantané sur la dette publique des achats d’obligations souveraines provient d’effets de valorisations. Si l’APF les achète au secteur privé au prix de marché, ces obligations sont, en tant qu’actifs liquides, valorisées à leur valeur nominale dans le calcul de l’endettement net, c’est-à-dire au montant du principal qui sera remboursé à échéance. Puisque la baisse des taux a renchéri les obligations souveraines britanniques ces dernières années, le prix de marché de celles-ci est aujourd’hui supérieur à leur valeur nominale. La valeur des réserves émises pour financer ces achats d’obligations est donc supérieure à la valeur comptable de ces actifs liquides. L’endettement net du secteur public augmente donc avec les achats de l’APF. En ce qui concerne les achats d’obligations d’entreprises, celles-ci ne sont même pas comptabilisées comme actifs liquides. L’augmentation de l’endettement net équivaut alors au montant total des réserves émises, et donc au prix de marché de ces obligations.
L’effet continu sur le déficit des achats d’obligations souveraines provient du fait que le gouvernement central ne paye plus les intérêts sur ces obligations au secteur privé mais à la Banque d’Angleterre, qui appartient au secteur public. Cette dernière rémunère les banques qui lui ont vendu leurs obligations souveraines au taux de base. Ce taux, le « Bank Rate », est celui que la banque centrale britannique paye sur les réserves qu’elle a créées sur le compte des banques britanniques pour financer ces achats. Ainsi, en quelque sorte, le gouvernement refinance ses dettes au taux de base. Depuis la crise financière mondiale, ce taux est inférieur au taux d’intérêt moyen que le gouvernement paye sur son stock de dette. Le coût du service de la dette du service public diminue donc avec les achats de l’APF, réduisant ainsi le déficit. Les achats d’obligations d’entreprises de l’APF font également diminuer le déficit, car le taux d’intérêt de ces obligations est lui aussi généralement supérieur au taux de base qui rémunère les réserves créées pour les acheter.
Le programme de financement pour les banques (Term Funding Scheme with additional incentives for SMEs, TFSME) de la Banque d’Angleterre a lui aussi un effet instantané sur la dette du secteur public. À travers ce programme, la banque centrale fournit aux banques commerciales des prêts financés par l’émission de réserves. De même que pour les achats d’obligations d’entreprises, les prêts qui vont s’ajouter à l’actif de la banque centrale ne sont pas comptabilisés comme actifs liquides et, dans le calcul de l’endettement net, l’augmentation des réserves au passif de la banque centrale n’est donc nullement compensée par une augmentation simultanée de ses actifs liquides. De plus, l’effet du programme sur le déficit est quasiment nul, car le taux d’intérêt moyen de ces prêts est très proche du Bank Rate.
Les estimations de l’OBR de l’impact des mesures de la Banque d’Angleterre sur l’endettement net public sont résumées dans le tableau 2.
L’impact sur le déficit et la dette
Dans l’ensemble, l’impact de la crise sur le déficit et l’endettement publics sera important. En 2020-21, le déficit a augmenté du fait de la hausse des dépenses et de la baisse des recettes. Ces dernières l’ont largement emporté sur le soulagement apporté par la diminution des coûts de service de la dette due à la fois à la baisse des taux d’intérêt et à l’effet continu du programme de QE de la Banque d’Angleterre. Dans le scénario central de son dernier rapport sur les perspectives économiques et fiscales[15] (Economic and Fiscal Outlook, EFO), publié en novembre dernier, l’OBR prévoit un déficit de près de GBP 400 mds en 2020-21, soit 19% du PIB (les prévisions dans le reste de cette section sont aussi basées sur ce scénario).
Cette augmentation du déficit ainsi que l’effet instantané du programme de QE de la banque centrale ont pour conséquence directe une hausse de la dette publique nette du secteur public. Pour la première fois de son histoire, cette dette a dépassé GBP 2 000 mds. De surcroît, la forte baisse du PIB a poussé à la hausse les ratios de déficit et d’endettement publics rapportés à celui-ci (cf. graphiques 7 et 8). En décembre, le ratio de dette publique sur PIB a atteint près de 100%[16] et l’OBR prévoit qu’il dépassera ce seuil dans les mois à venir pour y rester supérieur au moins pendant les cinq prochaines années.
L’avenir des finances publiques
Des ajustements seront nécessaires…
Au vu du l’importante détérioration des finances publiques, un resserrement de la politique fiscale risque de devenir indispensable dans les années à venir. Un redressement se fera d’abord mécaniquement. En effet, à mesure que la situation sanitaire s’améliorera, les autorités pourront, d’un côté, laisser repartir l’économie en levant les mesures de restriction et, de l’autre, progressivement retirer leurs mesures de soutien. Le déficit public se résorbera donc mécaniquement du fait à la fois d’une baisse des dépenses et d’une hausse des recettes.
Cependant, cela ne suffira certainement pas. Premièrement, la crise liée à la pandémie a réduit la taille de l’économie britannique et mènera donc à de moindres revenus fiscaux pour le gouvernement. L’Institute for Fiscal Studies (IFS) estime que des hausses de taxes de plus de GBP 40 mds par an seront nécessaires à l’horizon 2025 afin de stabiliser le ratio de dette sur PIB[17].
Deuxièmement, les projections de l’OBR réalisées avant la crise de la Covid-19 tablaient déjà sur des hausses non soutenables du déficit et de l’endettement publics dans les prochaines décennies. En effet, comme la plupart des pays développés, le Royaume-Uni va faire face au vieillissement de sa population. L’explosion des naissances après la Seconde Guerre mondiale a participé à la vigueur économique de la fin du vingtième siècle. Cependant, les baby-boomers atteignent désormais la retraite, alors que le taux de fécondité stagne depuis les années 1980 en dessous du seuil de renouvellement des générations[18]. D’après les projections de l’ONS[19], l’écart entre les naissances et les décès va se refermer dans les vingt prochaines années. À partir de la fin des années 2030, l’immigration deviendra alors l’unique moteur de l’augmentation de la population britannique.
Ce défi démographique majeur pourrait peser lourdement sur ses finances publiques et la trajectoire de sa dette dès la fin de la décennie. D’ici à 2028, il est prévu que la population en âge de travailler croisse à un rythme un peu supérieur à celui de la population en âge d’être à la retraite[20]. Cependant, entre 2028 et 2043, les prévisionnistes anticipent une stagnation de la première catégorie en même temps qu’une augmentation de près de 25% de la seconde (cf. graphique 9).
Au regard de ces tendances démographiques, les dépenses de santé et pour l’aide sociale aux adultes seront alors les deux principaux moteurs de la hausse de la dépense publique selon l’OBR, le troisième étant le financement des retraites[21]. De plus, la crise de la Covid-19 pourrait encourager l’augmentation des financements au service de santé publique, ce qui pèserait un peu plus sur les dépenses du gouvernement dans ce domaine. Sachant que la protection sociale et la santé sont les deux plus gros postes de dépense du gouvernement (plus de la moitié des dépenses totales) une diminution globale de la dépense publique sera difficile.
Ainsi, le redressement des finances publiques devra certainement passer par une hausse des recettes de l’État. Une augmentation des impôts, la principale source de recettes du gouvernement central (cf. graphique 10), semble alors inévitable.
Dans cette optique, le taux moyen de l’impôt sur les sociétés apparaît assez bas comparé au reste de l’OCDE, et surtout aux autres pays du G7 (cf. graphique 11).
De même, le taux moyen de l’impôt sur le revenu est un peu inférieur à la moyenne des autres pays développés. Un sondage suggère d’ailleurs que les ménages britanniques seraient prêts à accepter une hausse de cet impôt pour financer la réponse à la crise de la Covid-19[22].
Une autre possibilité serait d’augmenter le taux de TVA. L’assiette de cet impôt étant très large (le prix hors taxe de tous les biens et services échangés), une faible hausse aurait un impact positif important pour les recettes de l’État. Néanmoins, les ménages les plus défavorisés – qui consacrent un part plus importante de leur revenu à la consommation – seraient les plus affectés par cette mesure, après avoir été parmi les plus touchés par la crise du Covid-19. De surcroît, le taux de TVA au Royaume-Uni est déjà supérieur à celui en vigueur dans la plupart des autres économies avancées. Une hausse des contributions des entreprises et des employés (NIC) pourrait aussi être envisagée, celles-ci représentant près d’un cinquième des recettes du gouvernement (cf. graphique 5). Cela serait la contrepartie logique d’une augmentation des dépenses liées au financement des retraites.
Cependant, en première page de son programme pour les législatives de 2019, Boris Johnson s’était engagé à n’augmenter ni l’impôt sur le revenu, ni la TVA, ni les NIC. Si la crise de la Covid-19 lui permettra certainement de se libérer de certaines promesses, le Premier ministre apparaît déterminé à ne pas revenir sur celle-ci. Parmi les possibilités discutées ci-dessus, seule une hausse de la taxe sur les sociétés pourrait alors convenir. Cela s’inscrirait d’ailleurs dans la continuité du changement de cap amorcé avant la crise de la Covid-19. À la fin de l’année 2019, le Premier ministre Boris Johnson avait annoncé l’annulation de la baisse de l’impôt sur les sociétés, de 19% à 17%, qui devait prendre effet en avril 2020. De plus, le Chancelier Rishi Sunak réfléchirait à augmenter cet impôt dès le budget de 2021, qui sera présenté le 3 mars prochain. D’autres pistes pourraient aussi être évaluées, comme augmenter la taxation des géants du numérique, instaurer une taxe carbone, voire même établir un impôt sur la richesse[23].
… mais il y a peu de dangers immédiats
Dans ce contexte, le chancelier semble déterminé à redresser au plus vite les finances publiques du Royaume-Uni. Dans un discours à la conférence annuelle du Parti conservateur en octobre 2020, il a pris l’engagement de « toujours équilibrer les comptes » du gouvernement. Cependant, resserrer la politique fiscale dès 2021 semble prématuré. Après tout, l’Angleterre sera toujours confinée lors de l’annonce du budget de 2021, et le PIB du Royaume-Uni devrait se contracter au premier trimestre 2021. De fait, un redressement trop rapide pourrait être contreproductif. En effet, toute réduction des dépenses ou augmentation de taxes pourrait retarder la reprise économique, qui devrait déjà pâtir de la sortie du Royaume-Uni du marché unique de l’UE[24]. Dans son rapport d’octobre 2020 discuté ci-dessus, l’IFS a prévenu qu’il n’était pas encore temps d’augmenter les impôts et que pendant les dix-huit prochains mois le gouvernement devait se concentrer sur le soutien à son économie quel que soit l’impact sur l’emprunt public.
De surcroît, le gouvernement britannique n’est en aucun cas sous pression des marchés financiers. Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, l’emprunt massif du gouvernement suite à la crise a été largement absorbé par les achats supplémentaires de la Banque d’Angleterre. Ensuite, si le Royaume-Uni est entré dans la crise avec un ratio d’endettement sur PIB assez élevé – autour de 85% en mars 2020 – sa position n’est pas particulièrement inquiétante si on la compare à celle des autres pays les plus développés.
D’après l’OCDE, seuls l’Allemagne et le Canada présentaient un ratio d’endettement des administrations publiques plus faible parmi les pays du G7[25].
De plus, le stock de dette n’est pas un indicateur complet de solvabilité. Les coûts de service de la dette doivent aussi être pris en compte, car ils renseignent sur le poids que fait peser le remboursement de la dette et ses intérêts sur les finances de l’État. De plus, alors que le ratio de dette sur PIB compare un stock à un flux, le ratio de service de la dette sur PIB compare deux flux.
Il est vrai que le stock de la dette publique a fortement augmenté depuis la fin des années 1980, aussi bien en valeur nominale que rapportée au PIB. Néanmoins, dans le même temps, la charge de la dette, qui représente le poids des intérêts[26], a fortement diminué du fait de la baisse des taux d’intérêt réels et de l’inflation. La charge des intérêts est ainsi passée de près de 4% à environ 1,5% du PIB (cf. graphique 12). D’après l’OBR, cette tendance s’est accélérée avec la crise car, une fois de plus, la hausse de l’endettement a été éclipsée par les baisses des taux d’intérêt réels et de l’inflation provoquées par la crise de la Covid-19. Une des raisons principales est l’assouplissement de la politique accommodante de la part des principales banques centrales mondiales. La Banque d’Angleterre a notamment baissé son taux de base de 65 points de base jusqu’à 0,10% et étendu son programme de QE (cf. partie précédente). D’après les minutes de la dernière réunion du comité de politique monétaire, elle n’a aucune intention de la resserrer avant qu’il n’y ait de « preuves manifestes de progrès significatifs » en ce qui concerne l’élimination des capacités inutilisées de l’économie et de la convergence durable de l’inflation vers sa cible des 2%[27]. Il est vrai que, dans son Rapport de politique monétaire de février[28], la Banque d’Angleterre prévoit que le taux d’inflation remontera rapidement en 2021. Cependant, celui-ci devrait se stabiliser autour de sa cible de 2% au moins jusqu’en 2023, ce qui permettrait au comité de politique monétaire de maintenir une politique monétaire souple durant cette période.
Il n’y a pas beaucoup d’inquiétudes à avoir non plus en ce qui concerne le remboursement du principal sur le court et moyen terme. Les échéances de la dette publique britannique sont en effet largement étalées dans les prochaines décennies (cf. graphique 13).
De fait, la dette publique du Royaume-Uni a une maturité moyenne très élevée par rapport à celles des autres pays du G7, d’après le rapport de gestion de la dette[29] (Debt management report) du Trésor, du bureau de gestion de la dette (Debt Management Office, DMO) et de la caisse d’épargne publique britannique (National Savings and Investments, NS&I) (cf. graphique 14). Cela signifie que la dette publique arrivera à échéance en moyenne beaucoup plus tard au Royaume-Uni, et donc que ses besoins de refinancement dans les prochaines années seront moindres.
Dans l’ensemble, il y a peu d’inquiétudes à avoir sur la soutenabilité dette publique du Royaume-Uni.
* * *
Comme de nombreux pays développés, le Royaume-Uni va être confronté au vieillissement de sa population dans les décennies à venir, ce qui pourrait sensiblement alourdir ses finances publiques. De surcroît, la position du gouvernement pour faire face à ce défi a été rendue plus difficile par la crise liée à la pandémie de Covid-19. De fait, celui-ci fait désormais face à un dilemme. D’un côté, un échec à garder le contrôle des comptes publics pourrait avoir de sérieuses conséquences. En effet, une dette plus élevée est plus sensible aux variations de taux d’intérêts, dont une hausse n’est jamais à écarter complètement. De plus, si les investisseurs venaient à s’inquiéter de l’état des finances publiques lors d’une nouvelle crise, le gouvernement pourrait ne pas retrouver la même capacité à soutenir son économie dont il a bénéficié après la pandémie de Covid-19. De l’autre côté, resserrer la politique budgétaire trop rapidement pourrait retarder la sortie de la crise actuelle, qui sera certainement ralentie par les effets du Brexit. L’Union européenne avait fait cette erreur après la crise financière mondiale, et l’a payée par des années de croissance molle. Finalement, le gouvernement britannique est contraint à un exercice d’équilibriste complexe afin de maintenir ses finances sur une trajectoire durable. La présentation du budget de 2021 le 3 mars pourrait ainsi fournir des indices quant à sa stratégie pour résoudre ce casse-tête…