Accords signés, sitôt enfreints
Alors qu’il multiplie les accords bilatéraux (70 depuis le Brexit, le dernier en date et de loin le plus important étant celui conclu avec l’Australie) le Royaume-Uni réserve à ses anciens partenaires de l’Union européenne (UE) un bien mauvais sort. Au strict plan commercial, son éloignement est déjà perceptible. Tombés historiquement bas en janvier 2021, ses échanges avec l’UE n’ont que partiellement récupéré depuis, au profit d’un redéploiement hors du marché unique (cf. graphique 2). Sur le terrain politique et diplomatique, la défiance s’installe. Début mars, sans discussion ni consultation préalable, le gouvernement de Boris Johnson décidait de différer (au 1er octobre 2021) le contrôle des exportations britanniques vers l’UE transitant par l’Irlande du Nord, manquant ainsi à ses obligations légales (cf. encadré).
En réaction, les Vingt-Sept engageaient à l’encontre du Royaume-Uni deux procédures d’infraction, l’une pour « violation des dispositions du protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord », l’autre pour « violation du devoir de bonne foi ». Parvenue à Bruxelles, la réponse de Londres est en cours d’étude, la suite restant à écrire. En cas d’insatisfaction, la Commission pourrait émettre un « avis motivé » détaillant les manquements britanniques à l’accord de retrait. En bout de course, la Cour de justice européenne serait compétente pour infliger au Royaume-Uni une amende ou une astreinte, voire, en cas de refus d’exécution, pour suspendre l’application de tout ou partie des traités régissant le Brexit.
Autre point d’achoppement, le dossier « pêche » qui, bien que n’ayant fait l’objet d’aucune procédure officielle, introduit un coin dans l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’UE. Aux termes de ce dernier, les Britanniques autorisent l’accès des Européens à leurs eaux territoriales, moyennant une réduction de 25% de leurs quotas de prise (en valeur) d’ici cinq ans. Mais dans les faits, le peu de licences accordées indiquent une politique bien plus restrictive, en particulier dans la zone entourant l’Ile de Jersey, pratiquement interdite d’accès. Très pénalisée (70% de la pêche bretonne s’effectue dans les eaux britanniques), la France mène actuellement la bataille auprès de la Commission européenne pour faire valoir les termes de l’accord.
À la liste des contentieux en cours, il convient enfin d’ajouter la politique britannique d’investissement dans l’éolien, qui se voit réservée aux opérateurs nationaux et contrevient ainsi aux « règles de jeu équitable » (level playing field) convenues avec l’UE (The Guardian, 2021)1.
Pour le vice-président de la Commission européenne Maroš Šefcovic, également co-responsable de la bonne exécution de l’accord de retrait, « les décisions unilatérales et les violations du droit international par le Royaume-Uni compromettent l’objet même [du protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord] et sapent la confiance entre nous ». En dépit de tous les efforts consentis pour l’encadrer, la relation d’après divorce entre Britanniques et Européens s’annonce tendue, la divergence, inéluctable.
Perte d’attractivité ?
Le Brexit, après tout, ne visait pas autre chose. Quant à ses effets sur la conjoncture, ils restent difficiles à appréhender dans un environnement toujours bouleversé par la crise sanitaire. Comme la plupart des pays en passe d’être vaccinés contre la Covid-19 (65% de la population britannique est déjà couverte) et contrôlant mieux l’épidémie, le Royaume-Uni bénéficie d’un climat des affaires euphorique. Après avoir lourdement chuté en 2020 (de 9,8%, un record depuis 1920) puis s’être encore contractée au premier trimestre de 2021, l’économie redémarre. L’OCDE (Organisation pour le développement et la coopération économiques) la crédite d’une croissance de 7,2% cette année. Le retour au niveau pré-pandémique d’activité aurait lieu, quant à lui, début 2022, soit à peu près au même moment qu’en zone euro. Ce scenario a priori favorable mérite toutefois d’être nuancé, sur deux points.
Il a d’abord pour contrepartie une dérive exceptionnelle des déficits « jumeaux », budgétaires et courants. En bon adepte du « stop and go », le gouvernement britannique a été l’un des premiers à appliquer la politique du « quoiqu’il en coûte », puis à en annoncer la fin, à l’horizon 2023. En 2021, son déficit structurel primaire (hors charge d’intérêts) dépasse 7% du PIB, ce qui en fait l’un des plus élevés des pays développés (cf. graphique 3).
Il laisse ensuite l’investissement de côté. Toujours selon l’OCDE, la dépense des ménages, en particulier la consommation de services, serait la première à récupérer de la crise, celle des entreprises mettant beaucoup plus de temps2. Sur ce terrain, la Covid-19, mais aussi le Brexit pourraient donc laisser des traces. Ayant quitté l’Union européenne, le Royaume-Uni ne bénéficiera pas du plan Next Generation EU destiné à accélérer la transition écologique et à promouvoir les investissements dans les infrastructures. Pour ce faire, il devra compter sur ses propres ressources ainsi que sur sa capacité à attirer les capitaux, ce qui pendant longtemps n’a pas été un souci. En 2019, le pays a toutefois cédé sa place à la France en tant que première terre d’accueil européenne pour les investissements directs étrangers (The Guardian, 20213). Les flux entrants nets, quant à eux, sont sur le déclin depuis 2016 (année du référendum sur le Brexit), les dernières données fournies par l’Office national des statistiques (ONS) ne montrant aucune inversion de tendance.
Jean-luc.proutat@bnpparibas.com
1 The Guardian (2021), ‘Wind turbine clash adds to UK-EU post-Brexit tensions’, June 17.
2 Fin 2022, la formation brute de capital fixe privée serait encore inférieure de 5 points de pourcentage (en volume) à son niveau pré-pandémique. Cf. OCDE (2021) Economic Outlook, May.
3 The Guardian (2021), ‘UK second to France again for attracting foreign investment in Europe’, June 7.