Changement de climat économique
L’économie allemande a mal commencé l’année. L’activité économique s’est contractée de 1,8%, en partie en raison du durcissement des restrictions liées à la Covid-19, comme la fermeture des magasins à partir de la mi-décembre. De plus, dans le secteur du bâtiment, de nombreux projets de construction ont été avancés au quatrième trimestre 2020 afin de bénéficier de la réduction temporaire de la TVA, qui expirait le 1er janvier 2021. En début d’année, le bâtiment a par ailleurs, pâti d’une météo exceptionnellement mauvaise.
Au deuxième trimestre, le climat économique a connu une nette embellie, la baisse des taux de contamination ayant permis une réouverture progressive de l’économie nationale. En juin, l’indice Ifo du climat des affaires a même atteint un plus haut depuis le mois d’avril 2018. Dans le secteur manufacturier, l’activité avait déjà commencé à se renforcer au premier trimestre, portée en partie par une forte demande en provenance de Chine (graphique 2). Au cours des derniers mois, la confiance s’est nettement renforcée dans les services et dans le secteur de la distribution. Même si l’activité reste bien en deçà des niveaux observés avant l’apparition de l’épidémie, des goulets d’étranglement sont apparus du fait de la pénurie de biens intermédiaires essentiels dans l’industrie manufacturière et le bâtiment. De plus, dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, les entreprises rencontrent des difficultés de recrutement.
Avec la réouverture de l’économie, le taux de chômage recule peu à peu. En mai, il s’établissait à 4,4%, un niveau qui reste supérieur de 1,2 point de pourcentage à celui du quatrième trimestre 2019. De plus, on observe une diminution du nombre de salariés au chômage partiel (Kurzarbeit). En mai, ils étaient 2,3 millions de salariés, soit 7% de la population active, dont plus de la moitié dans les services.
L’inflation est sur une tendance haussière depuis le début de l’année. En mai, l’indice des prix à la consommation harmonisé était en hausse de 2,4% par rapport à l’année dernière. Cette progression de l’indice est entièrement due à l’envolée des prix de l’énergie (9,5% en g.a.). L’inflation sous-jacente est restée, en revanche, modérée à 1,6% à peine.
Des mesures énergiques face à la pandémie
La réponse rapide et énergique du gouvernement face à la pandémie a permis d’en limiter les conséquences économiques. En 2020, les mesures de soutien liées à la crise du coronavirus ont représenté environ 2,8% du PIB, dont presque la moitié en subventions et aides de trésorerie aux entreprises. L’enveloppe des prêts garantis et injections de fonds propres, ces dernières étant uniquement prises en compte dans le niveau d’endettement, a même atteint près de 30% du PIB. Le solde budgétaire (en pourcentage du PIB) s’est fortement dégradé, passant de +1,5% en 2019 à -4,2 % en 2020, et le ratio de dette sur PIB a augmenté de dix points de pourcentage, à 70%.
Les mesures de soutien adoptées pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ont été particulièrement efficaces. Environ 44% des entreprises allemandes ont eu recours à au moins un des dispositifs mis en place. Malgré une contraction du PIB de 4,8% en 2020, le taux de chômage n’a ainsi augmenté que de 0,7 point de pourcentage à 3,8%. Le revenu disponible des ménages a même progressé de 0,7% et le nombre des faillites a chuté à un niveau historique. En pourcentage du PIB, l’excédent de la balance courante n’ayant guère varié, la dégradation du solde budgétaire de l’État s’est traduit par une amélioration substantielle des soldes financiers des ménages et des entreprises (graphique 3).
En 2021, l’orientation de la politique budgétaire restera très accommodante et les mesures d’aide liées à la crise de la Covid-19 pourraient représenter 3% du PIB. Le système de chômage partiel restera en place jusqu’à la fin de l’année. Les dépenses de santé seront augmentées pour financer la campagne de vaccination. Les autres mesures budgétaires comprennent l’abolition, pour la plupart des contribuables, de la taxe de solidarité introduite en 1991 pour financer principalement la réunification allemande, et l’ajustement des barèmes de l’impôt sur le revenu pour éliminer le glissement par le jeu des tranches (« bracket creep »).
Des recettes supplémentaires seront générées par le nouveau système de tarification du carbone pour le transport routier et le chauffage des bâtiments qui, en général, ne sont pas couverts par le système d’échange de quotas d’émission de l’UE. Jusqu’en 2025, le prix des quotas de carbone est de EUR 25 la tonne de CO2. Au-delà, le prix sera fixé par le marché. Le déficit budgétaire va probablement se creuser aux environs de 4,5 % du PIB. Dans les années à venir, le gouvernement fédéral devrait augmenter ses dépenses d’investissement pour atteindre son objectif de réduire les émissions de CO2 de 65% par rapport aux niveaux de 1990 d’ici la fin de la décennie et la neutralité climatique d’ici 2045. Ce sera en partie financé par le plan Next Generation de l’UE (NGEU). Le gouvernement a ainsi mis de côté environ EUR 52 md entre 2022 et 2025. Avant la crise, le programme fédéral d’investissement ne s’élevait qu’à EUR 38 mds.
Le budget pour 2022 sera finalement établi par le nouveau gouvernement issu des élections législatives fédérales du 26 septembre prochain. D’après les sondages, la CDU/CSU (chrétiens-démocrates) et le SPD (parti social-démocrate), qui forment la coalition sortante, pourraient perdre, chacun, 5% des voix par rapport au précédent scrutin de 2017. Les Verts, en revanche, pourraient devenir la deuxième force politique du pays, avec environ 20% des suffrages, de sorte qu’une alliance avec la CDU/CSU serait l’issue la plus probable. Dans ce cas, le changement climatique deviendrait un axe majeur du programme du gouvernement. Concernant la politique fiscale, la nouvelle coalition restera probablement attachée à un retour aux règles budgétaires européennes et au frein à l’endettement.
Robustesse de la reprise et risques de surchauffe
L’économie devrait connaître une croissance robuste en 2021 et 2022. Sur le plan intérieur, la consommation privée sera le principal moteur de la croissance. Malgré la crise du coronavirus, le revenu disponible des ménages s’est amélioré, soutenu par l’important programme d’aides gouvernementales. Les ménages ont, toutefois, réduit leurs dépenses du fait de possibilités de consommation limitées mais aussi par crainte de contracter le virus[1]. Le taux d’épargne est ainsi passé de 10,9% en 2019 à 16,2% en 2020. Avec la réouverture de l’économie, les dépenses de consommation vont probablement revenir à la normale. Le taux d’épargne pourrait même, temporairement, passer en dessous des niveaux observés avant la pandémie, car les ménages vont puiser dans l’épargne accumulée pendant la crise.
Les entreprises manufacturières allemandes devraient bénéficier de l’envolée de la demande mondiale et de la mise en œuvre du plan NGEU, en Allemagne mais aussi partout en Europe. De plus, les ruptures d’approvisionnement, en semi-conducteurs notamment, pourraient diminuer au cours des prochains trimestres.
La dynamique retrouvée de l’économie allemande stimulera la demande de main-d’œuvre et les pénuries de personnel qualifié, observées avant la pandémie, seront probablement bientôt de retour. Cela pourrait entraîner des hausses de salaires et une remontée de l’inflation. Par ailleurs, l’orientation de la politique monétaire de la BCE étant fixée en fonction des tensions inflationnistes dans l’ensemble de la zone euro, il n’est pas exclu que l’Allemagne soit bientôt confrontée à des conditions monétaires trop accommodantes.
raymond.vanderputten@bnpparibas.com
1 Selon l’enquête en ligne de la Bundesbank auprès d’un panel de ménages, seuls 7 % d’entre eux ont déclaré avoir réduit leurs dépenses de crainte de la perte de revenus.