Les signes d’un rebond vigoureux
D’après les enquêtes sur le climat des affaires en mai et juin, le rebond de l’économie française, au sortir du troisième confinement, est plus vigoureux que prévu. En avril déjà, malgré le confinement, ces enquêtes avaient réservé une bonne surprise, le PMI composite de Markit se redressant et l’indice composite de l’INSEE en s’infléchissant à peine, à la faveur notamment de la bonne tenue de l’industrie. En mai, portée par l’anticipation d’un mieux, leur amélioration a été impressionnante, notamment du côté des services, alors que les mesures de confinement n’étaient encore que partiellement levées. En juin, les enquêtes de l’INSEE ont continué sur leur lancée, en lien avec la poursuite de l’allègement des restrictions sanitaires. Porté par l’ensemble des secteurs, l’indice composite gagne encore 5 points (après 12 en mai) et atteint 113. Il se situe non seulement nettement au-dessus de son niveau d’avant-crise (105) – et, a fortiori, au-dessus de son niveau 100 de référence – mais il atteint aussi un plus haut depuis l’été 2007. On notera également que, depuis le début de l’année, le redressement du climat des affaires est plus important que celui de l’emploi : un tel décalage, d’une ampleur inhabituelle, est le signe d’un renforcement des gains de productivité (cf. graphique 2).
Le regain de confiance des ménages est moins impressionnant (+3 points en mai, +4 points en juin). L’enquête de l’INSEE est certes repassée en juin 2 points au-dessus de son niveau 100 de référence mais elle reste 2-3 points en deçà de son niveau d’avant-crise de début 2020. Toutefois, la forte amélioration, en juin, du jugement des ménages sur le niveau de vie futur en France et du solde d’opinion sur l’opportunité de faire des achats importants, ainsi que la nette diminution, depuis le début de l’année, des craintes vis-à-vis de l’évolution du chômage sont des points très positifs qu’il convient de souligner.
Les nouvelles sur le front des données « dures » du marché du travail sont également encourageantes. L’emploi continue de surprendre favorablement. Les créations d’emploi salarié privé au T1 2021 ont été revues en hausse (de +0,3 à +0,5% t/t). Le taux de chômage est resté quasiment stable, à 8,1% au T1 2021. Les déclarations d’embauche de plus d’un mois hors intérim ont très fortement rebondi en mai (+37% m/m) et sont au plus haut depuis 2006 (date de début de la série). Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A à Pôle emploi a nettement reculé en mai (-3,7% m/m). L’indicateur reste toutefois 8% au-dessus de son niveau d’avant-crise, de février 2020. Si, au regard des déclarations d’embauche, le retour à meilleure fortune du marché du travail français1 pourrait se faire assez vite (la jauge à dépasser est 2,7 millions sur 4 mois glissants), le critère pour les demandeurs d’emploi paraît plus difficile à atteindre (baisse de 130 000 sur 6 mois).
Ces différents signes d’amélioration se traduisent par une réduction de la perte de PIB par rapport à son niveau d’avant-crise. La Banque de France l’estime, dans son point de conjoncture de début juin, à 6% en avril, 4% en mai et 3% en juin, dont il découle une prévision de croissance d’environ 0,5% t/t au T2. Nos propres hypothèses sont un peu plus optimistes (perte de 3,5% en mai et de 2% en juin) et conduisent à une prévision de croissance proche de 1% t/t. Le rebond mécanique porterait ensuite la croissance au T3 à environ 3% t/t, avant de refluer, l’effet de rattrapage se dissipant, mais elle resterait élevée, soutenue par l’impulsion budgétaire. À l’horizon de la fin 2021, l’économie pourrait avoir retrouvé son niveau d’avant-crise mais cette récupération masquera probablement encore des disparités sectorielles : certains secteurs auront dépassé ce niveau d’avant-crise (activités immobilières, financières, information et communication, services non marchands) tandis que d’autres resteront en deçà (matériels de transport, hébergement-restauration, activités récréatives).
En 2021, la croissance s’élèverait à 6% en moyenne annuelle et elle resterait forte en 2022, à 4,6%. À noter que ces prévisions incluent un surcroît de stimulus budgétaire de EUR 10 mds en 2021 et 2022, qui ajoute environ 0,4 point de pourcentage à la croissance chaque année et qui vise à diriger le PIB vers sa trajectoire d’avant-crise.
Le revers de la médaille et les points d’attention
Le revers de la médaille du redressement vigoureux de la demande est la mise sous tension de l’offre, moins réactive. Les contraintes d’approvisionnement, la hausse des prix des intrants (cf. graphique 3), les difficultés de recrutement qui en découlent sont autant de points de friction à surveiller pouvant freiner la reprise2. L’hypothèse sous-jacente de notre scénario est que ces tensions vont aller en s’atténuant au fur et à mesure de la normalisation de l’activité et du ré-équilibrage de l’offre et de la demande. La reprise ne s’en trouverait pas significativement freinée. Mais ces points de friction constituent un aléa baissier certain, un choc négatif malvenu, entraînant arrêts de production et compression des marges des entreprises.
L’évolution des défaillances d’entreprises est un autre point de fragilité à surveiller. Après avoir chuté en 2020 et jusque début 2021 - un mouvement contre-intuitif qui trouve son explication dans l’efficacité des mesures d’urgence - une remontée des défaillances est attendue. Toute la question porte sur son ampleur. On devrait a minima observer un retour des défaillances à leur niveau d’avant-crise (soit une augmentation d’environ 25 000). Le retournement est d’ailleurs probablement amorcé, le mois d’avril 2021 marquant la première hausse depuis début 2019. Une remontée allant au-delà de cette normalisation constituerait une alerte. Néanmoins, le redémarrage de l’activité, le retrait progressif des mesures d’urgence, le déploiement des prêts participatifs et des autres soutiens du plan France Relance, les nouvelles mesures anti-faillites devraient aider à contenir la remontée.
Malgré sa franche amélioration, la situation sanitaire demeure un aléa baissier : une nouvelle vague post-déconfinement sur fond de circulation accrue des variants ne peut être exclue. Il est à souhaiter que la progression de la vaccination permette d’éviter un reconfinement.
La croissance pourrait toutefois aussi surprendre à la hausse car le déblocage de l’épargne forcée accumulée pourrait être plus important qu’anticipé et/ou la situation du marché du travail meilleure que prévu. Risques haussiers et baissiers s’équilibrent donc à nos yeux.
Une dernière augmentation de la perfusion budgétaire avant son retrait progressif
Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2021 (PLFR 2021) présenté début juin, le gouvernement a rehaussé sa prévision de déficit budgétaire à 9,4% du PIB, soit 0,4 point de plus que ce qui était anticipé, en avril, dans le Programme de stabilité et 0,2 point de plus qu’en 2020. Cette détérioration peut paraître paradoxale car un rebond de croissance tel que celui anticipé en 2021 est censé réduire le déficit et parce que l’on commence aussi à parler de stratégie de sortie de crise, c’est-à-dire de retrait du filet de sécurité des mesures d’urgence3.
L’explication est à chercher du côté des dépenses dont la hausse dépasse celle des recettes (EUR 64 mds et EUR 47 mds, respectivement, par rapport à 2020). Cette hausse des dépenses est imputable à hauteur de 60% environ aux dépenses ordinaires et, dans une moindre mesure, aux dépenses de soutien et de relance (environ EUR 25 mds). L’autre chiffre intéressant est la forte augmentation des crédits de la mission Plan d’urgence, de EUR 6 mds prévus dans la loi de finances initiale à près de EUR 45 mds dans le PLFR 2021. Environ EUR 30 mds correspondent à des reports de crédits de 2020 vers 2021 et environ EUR 10 mds aux moyens supplémentaires alloués au fonds de solidarité et au chômage partiel. Cette augmentation des mesures d’urgence, en amont de leur diminution ultérieure, doit aider à ce que leur retrait progressif à venir soit le plus indolore possible pour les entreprises concernées.
Après deux années extraordinaires marquées par la crise (2020) et la sortie de crise (2021), au cours desquelles le « quoi qu’il en coûte » a prévalu, 2022 devrait amorcer le retour de la politique budgétaire ordinaire, sous contraintes. L’heure ne sera pas encore véritablement à la rigueur mais les arbitrages du budget 2022 ne s’annoncent pas moins difficiles.
helene.baudchon@bnpparibas.com
1 EcoFlash n°21-09, Marché du travail français : perspectives 2021, 6 mai 2021
2 Graphique de la semaine, Reprise en France : déjà freinée avant même d’avoir démarré ?, 12 mai 2021
3 EcoTV Week, France : début de reprise et stratégie de sortie de crise, 21 mai 2021