Rattrapage économique plus fort que prévu
Dans un contexte de levée progressive des restrictions sanitaires, d’accélération des campagnes de vaccinations dans les États membres et de maintien de politiques économiques accommodantes, la situation en zone euro s’améliore plus rapidement que ce que l’on pouvait anticiper il y a seulement quelques mois. Après les pertes accumulées tout au long de ces longs mois de pandémie, le rattrapage économique est désormais bien avancé et généralisé à l’ensemble des pans de l’économie. Sur le front conjoncturel, la situation dans le secteur manufacturier s’est sensiblement améliorée depuis avril 2020, le PMI du secteur atteignant 63,1 en juin 2021, un point haut historique. Bien qu’en léger tassement, la composante « nouvelles commandes à l’export » reste à un niveau élevé par rapport à sa moyenne sur longue période. Les données dures confirment ces données d’enquêtes puisque la production industrielle a massivement augmenté en avril pour le deuxième mois consécutif, il est vrai en grande partie en raison d’un effet de base favorable (+39,3% en avril 2021 après +11,5% en mars et -30% en avril 2020).
Du côté des services marchands, alors que l’on pouvait redouter un redémarrage tardif de l’activité, le PMI a une nouvelle fois progressé en juin. Il a atteint 58 après 55,2 et 50,5 respectivement en mai et avril. Il s’agit du niveau le plus élevé depuis début 2018. La levée des restrictions dans la plupart des États membres de la zone euro et l’accélération de la vaccination offrent des perspectives positives aux agents économiques. L’indice de sentiment économique de la Commission européenne poursuit, à ce titre, sa remontée, atteignant 114,5 en mai 2021 – niveau le plus élevé depuis janvier 2018, et s’installe confortablement au-dessus de sa moyenne de long terme. Les consommateurs de la zone euro retrouvent le sourire, leur indice de confiance a désormais largement dépassé son niveau d’avant la pandémie. Cette dynamique favorable se reflète dans les ventes au détail qui accélèrent très sensiblement en avril. Tout cela est de bon augure pour la poursuite du rattrapage économique dans la zone euro, les consommateurs ayant de surcroît accumulé un volume d’épargne important au cours de l’année écoulée.
Au total, le profil trimestriel de croissance du PIB en zone euro est relativement heurté en 2021 et le niveau de PIB pré-pandémie serait retrouvé dès la fin de l’année (cf. graphique 2). L’accélération de l’activité est notable au T2 puis au T3 2021, portée par le rebond de la consommation des ménages. L’économie de la zone euro décélèrerait mécaniquement au T4. En raison d’effets d’acquis forts, la croissance annuelle augmenterait en 2022 par rapport à 2021 malgré le tassement de la dynamique trimestrielle. Le PIB progresserait donc de 4,8% en 2021 puis de 5,2% en 2022.
Hausse de l’inflation : pas de précipitation à la BCE
Avec le rebond de la demande mondiale, les prix à la consommation ont assez nettement accéléré ces derniers mois et cette dynamique se poursuivrait au 2nd semestre 2021. Toutefois, cette augmentation de l’inflation s’explique principalement par des facteurs temporaires (mouvements de TVA en Allemagne, hausse du prix des matières premières, modification des poids des différentes composantes de l’IPCH)1. Selon notre dernier scénario de prévisions, cette hausse ne devrait pas être pérenne.
C’est également le point de vue de la BCE. La Banque centrale anticipe un pic d’inflation cette année. Selon ses dernières projections macroéconomiques, l’inflation globale augmenterait à 1,9% en 2021 avant de baisser à 1,5% en 2022 puis à 1,4% en 2023, soit un niveau faible au regard de l’objectif de 2% à moyen terme. La BCE table sur un frémissement du côté de l’indice des prix sous-jacent (qui ne tient pas compte des produits dont les prix sont les plus volatils), celui-ci progressant tendanciellement pour croître de 1,4% en 2023. Ce rythme est nettement supérieur à la moyenne de ces dernières années, proche de 1%. La BCE ne voit donc pas d’emballement de la dynamique inflationniste, en partie freinée par des déséquilibres qui perdureraient sur le marché du travail et des salaires qui resteraient peu allants (cf. graphique 4).
Si la Banque centrale affiche une certaine prudence s’agissant de l’évolution des prix, elle se montre optimiste au sujet de la capacité de rattrapage économique de la zone euro. L’institution de Francfort a toutefois choisi, lors de sa réunion de politique monétaire du jeudi 10 juin dernier, de rester attentiste et de ne pas précipiter le resserrement de sa politique monétaire. En particulier, ses rachats nets d’actifs dans le cadre de son programme d’urgence PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) se poursuivront à un rythme significativement plus élevé qu’au début de l’année. Nous tablons sur la fin du PEPP en mars 2022, l’urgence économique devrait en effet à cette date être dépassée. Pour éviter une baisse marquée de la liquidité et compte tenu du gap d’inflation, nous anticipons une hausse des rachats d’actifs dans le cadre du programme classique déjà existant (APP, Assets Purchases Programme). Les rachats nets mensuels pourraient ainsi passer de EUR 20 mds aujourd’hui à EUR 40 mds ou plus. En tout état de cause, il apparaît probable que l’approche de la BCE dans sa politique de rachats d’actifs restera flexible afin d’éviter au maximum un resserrement des conditions de financement dans la zone euro, et ce même une fois la crise passée.
Le Conseil des gouverneurs de la BCE semble donc reporter les discussions difficiles à la réunion de septembre prochain. À cette date, des décisions pourront être prises à la fois sur la poursuite du programme PEPP, qui dépendra comme toujours de l’état de l’économie de la zone euro, mais aussi dans le cadre de la revue stratégique. Sur ce point, les premières conclusions pourraient émerger d’ici la fin de l’année et ce n’est pas anodin. Sur le front monétaire, la BCE pourrait introduire, comme la Fed, un biais structurellement accommodant à sa politique monétaire. Elle pourrait décider de poursuivre désormais une cible moyenne d’inflation, acceptant de fait une inflation dépassant 2% un certain temps.
Les politiques budgétaires nationales devraient accompagner la politique monétaire de la BCE en évitant de retirer le soutien de manière trop brutale et indifférenciée selon les secteurs. Au niveau européen, le plan de relance Next Generation EU pourrait avoir un impact favorable sur l’efficacité des dépenses publiques, en particulier dans les pays dela périphérie de la zone euro. La première émission d’obligations par la Commission européenne d’un montant de EUR 20 mds, visant à financer ce plan de relance, a été à ce titre un succès.
louis.boisset@bnpparibas.com
1 L. Boisset et G.Derrien, Zone euro : la hausse de l’inflation pourrait n’être que temporaire, BNP Paribas, avril 2021