Dans la zone euro, les enquêtes auprès des entreprises font ressortir des pénuries records de personnel. Elles constituent un frein pour la croissance économique et laissent entrevoir une augmentation plus rapide des salaires et une hausse de l’inflation. À ce jour, la progression des salaires reste modérée mais, compte tenu de sa relation historique avec les goulets d’étranglement sur le marché du travail, une accélération semble probable. Malgré les difficultés des entreprises à pourvoir les postes vacants, le sous-emploi reste supérieur aux niveaux pré-pandémie. Cette situation devrait s’améliorer dans les prochains mois. Toutefois, pour alléger les tensions sur le marché du travail, les intentions d’embauche des entreprises seront déterminantes. Or, d’après des enquêtes récentes, celles-ci devraient rester élevées.
Dans la zone euro, la vigueur de la reprise après la récession provoquée par la pandémie a rapidement conduit à la réapparition des goulets d’étranglement sur le marché du travail. Les enquêtes auprès des entreprises font état de pénuries de personnel inédites (graphique 1). D’un point de vue conjoncturel, cette situation pose deux problèmes[1]. Premièrement, elle constitue un obstacle pour la croissance. Ainsi, le solde d’opinions des entreprises industrielles de la zone euro déclarant que « [le manque] de main d’œuvre » est un facteur limitant leur production atteint 23%. Par ailleurs, celui citant la « pénurie de matières premières » est deux fois plus élevé (51 %, un record). Dans les services, la tendance est la même. En particulier, dans l’hôtellerie, les entreprises peinent à recruter depuis la fin du confinement, et dans le secteur de la santé où la pénurie de personnel a mené à la fermeture de certains services.
Deuxièmement, cette insuffisance de personnel laisse envisager une croissance plus rapide des salaires qui, à son tour, pourrait entraîner une remontée de l’inflation. Une telle évolution devrait, jusqu’à un certain point, être une bonne nouvelle. Son maintien dans la durée permettrait à la BCE de normaliser sa politique monétaire en mettant fin aux achats nets de son programme d’achats d’actifs et in fine en relevant ses taux directeurs.
Bien sûr, cela dépend aussi de la transmission de la croissance des salaires à la hausse des prix à la consommation. En 2017-2018, alors que le cycle économique de la zone euro atteignait son pic conjoncturel, cette transmission avait été plutôt limitée. La normalisation de la politique monétaire est, pour le moment, une perspective lointaine puisque la progression des salaires négociés[2] reste modérée. « Au deuxième trimestre de cette année, les salaires négociés dans la zone euro ont augmenté à un taux inférieur à 2 %, plus modérément qu’avant la récession due à la pandémie de Covid-19, à taux de chômage comparable »[3]. Selon la Commission européenne, la pandémie pourrait avoir entraîné une baisse du nombre de nouveaux accords salariaux. Néanmoins, l’augmentation limitée des salaires peut également être due au décalage des conventions salariales, qui suivent avec un certain retard les évolutions sur le marché du travail. Au vu de la relation historique (graphique 1), on peut donc logiquement s’attendre à un rebond de la croissance salariale dans les prochains trimestres.
Les évolutions récentes de l’inflation pourraient alimenter les revendications salariales mais la principale question est de savoir si les pénuries de main-d’œuvre resteront élevées. Cela dépend des intentions d’embauche des entreprises et des perspectives en termes de demande finale de l’économie – la situation reste sur ce point favorable à en juger par le niveau record des anticipations d’embauche de l’industrie européenne et les services – mais aussi de la facilité avec laquelle les emplois vacants pourront être pourvus.
Pour le moment, le sous-emploi reste élevé. D’après Eurostat, la sous-utilisation de la main-d’œuvre dans l’UE s’élevait à 14,5 % de la population active élargie au deuxième trimestre de cette année, contre 13 % environ avant la pandémie[4]. Pour la Commission européenne, il existe plusieurs raisons à la coexistence du sous-emploi et des pénuries de main-d’œuvre. Les taux de vacance d’emplois ont tendance à réagir plus rapidement à une reprise du cycle économique. Les mesures de soutien liées à la pandémie ont pu avoir pour effet temporaire une moindre incitation à rechercher un emploi. De plus, certaines personnes peuvent se montrer réticentes à retourner travailler en raison du risque sanitaire. On peut s’attendre à ce que l’impact de ces facteurs diminue dans les prochains mois, facilitant ainsi le pourvoi des emplois vacants et une baisse du taux de chômage. L’autre explication possible est que le « déséquilibre structurel du marché du travail pourrait être en train de s’aggraver sous l’effet de la réallocation sectorielle de la main-d’œuvre et de l’accélération des changements de la demande relative de qualifications, déclenchée par le choc de la Covid-19 »[5]. Cela pourrait donner lieu à des pressions salariales propres à certains secteurs plutôt qu’à l’échelle de l’économie dans son ensemble.