Eco week 21-07 // 19 février 2021
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ÉDITORIAL
LE COÛT DE L’ANNULATION DE LA DETTE PUBLIQUE (ET DU DÉBAT QU’ELLE SUSCITE)
Récemment, plusieurs appels ont été lancés en faveur de l’annulation d’une partie de la dette publique détenue par
la BCE. Une telle opération constituerait une violation du traité européen. Sur le plan économique, elle serait inutile
étant donné que les intérêts versés à la BCE au titre de la dette reviennent aux États sous forme de dividendes. En
outre, cela aurait un coût : la hausse des anticipations d’inflation et/ou l’augmentation de la prime de risque d’inflation
entraîneraient une remontée des rendements obligataires. La nature extrême de cette mesure pourrait également
saper la confiance. En réalité, du fait des taux d’intérêt très faibles les États ont beaucoup de temps devant eux
pour restaurer les finances publiques. Enfin, la simple évocation, par de hauts responsables, de la possibilité d’une
annulation de la dette pourrait entraîner un autre coût : les marchés financiers pourraient estimer que l’impensable
l'est de moins en moins.
La réaction des politiques publiques à la pandémie de Covid-19 a l’encours de la dette publique abaisserait la prime de risque demandée
entraîné une forte augmentation concomitante de l’endettement public et entraînerait, par conséquent, un repli des rendements obligataires.
et du volume des obligations d’État inscrites au bilan des banques Cependant, dans la mesure où les investisseurs s’attendent à ce que
centrales. Dans la zone euro, cela a donné lieu à des plaidoyers en la banque centrale réinvestisse perpétuellement la dette arrivant à
faveur de l’annulation, par la Banque centrale européenne, d’une partie échéance, ils ne tiendront pas compte des titres de dette publique,
des obligations souveraines qu’elle détient.
figurant au bilan de la banque centrale, dans la fixation du prix qu’ils
souhaitent payer pour l’acquisition des obligations. Troisièmement, et
pour ce même motif, l’argument de l’équivalence ricardienne – selon
lequel l’augmentation de l’endettement public agit comme un frein sur
la consommation, les ménages anticipant une hausse de la fiscalité –
ne devrait pas s’appliquer.
En décembre dernier déjà, des responsables italiens, ainsi que le
conseiller économique du Premier ministre, avaient formulé des sug-
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gestions dans ce sens . Plus récemment, cent cinquante économistes
ont publié une tribune pour demander un accord entre la BCE, qui
annulerait les dettes publiques détenues en portefeuille ou les trans-
formerait en titres perpétuels à coupon zéro, et les États européens,
qui s’engageraient en échange à investir « les mêmes montants dans
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un vaste plan de reconstruction sociale et écologique » . Le produit
BCE : PORTEFEUILLES DE TITRES SOUVERAINS ACHETÉS
DANS LE CADRE DU PSPP ET DU PEPP (MDS EUR)
des dettes actuellement détenues par la Banque centrale européenne
ayant déjà été utilisé par les États, cette proposition implique que la
BCE rachète encore plus de dettes et les annule aussitôt après. Sans
surprise, la banque centrale n’a pas tardé à réagir en la personne de
sa présidente, Christine Lagarde, selon laquelle « l’annulation de la
dette d’État par la Banque centrale est inenvisageable. Ce serait une
violation du traité européen qui interdit strictement le financement
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y compris le programme d’achats d’urgence
face à la pandémie (PEPP), à partir d'avril 2020
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monétaire [des États] » .
Qu’en est-il de la logique économique
? Une première série
d’arguments va dans le sens de l’inutilité d’un effacement de la
dette publique détenue par la banque centrale. Premièrement, cela
n’aura pas pour effet d’améliorer les finances publiques. Les intérêts
acquittés au titre de la dette à la banque centrale sont, en effet,
reversés aux États sous forme de dividendes. Or, l’effacement de la
dette impliquerait l’annulation des paiements d’intérêts comme des
dividendes. Deuxièmement, on pourrait avancer que la diminution de
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SOURCES : BCE, BNP PARIBAS
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« The case against cancelling debt at the ECB », Financial Times, 9 décembre 2020.
« Annuler les dettes publiques détenues par la BCE pour reprendre en main notre des-
tin », tribune publiée dans plusieurs journaux le 5 février 2021.
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Interview de Christine Lagarde au Journal du Dimanche, 7 février 2021, source : site web
de la BCE.
La simple évocation par de hauts responsables de la possibilité
d’une annulation de la dette pourrait aussi entraîner un coût : les
marchés financiers pourraient estimer que l’impensable l'est de
moins en moins
La banque
d’un monde
qui change