« Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème » avait lancé John Connally, secrétaire au Trésor lors d’une réunion du G-10 à la fin de l’année 1971[1]. « C’est notre policy mix, mais c’est votre problème » : telle pourrait être la version actualisée de cette formule restée dans les annales. Certes, aucun responsable américain n’a prononcé ces paroles, mais l’effet conjugué d’un engagement fort, en faveur d’une politique monétaire très accommodante aussi longtemps que nécessaire, et d’une politique budgétaire expansionniste (le plan de relance américain à venir de USD 1 900 mds) n’est pas sans conséquences pour la zone euro.
Certaines d’entre elles sont positives – la perspective d’une accélération des exportations vers les États-Unis, les effets de la confiance liée à l’idée selon laquelle « lorsque les résultats sont bons aux États-Unis, l’économie mondiale se porte mieux » - mais d’autres le sont moins. C’est notamment le cas de la remontée des rendements des Treasuries, qui a entraîné dans son sillage celle des taux obligataires dans la zone euro (graphique 1). L’économie américaine devrait être en mesure de faire face à une telle hausse, au moins jusqu’à un certain niveau, mais il n’en va pas de même de la zone euro. Le cycle financier, illustré par les évolutions du marché obligataire et du marché actions, est très synchronisé au niveau mondial, mais il existe désormais une désynchronisation des cycles conjoncturels entre les États-Unis et la zone euro. En témoigne, par exemple, l’écart entre leurs indices PMI composites respectifs (graphique 2).
La zone euro étant de nouveau entrée en récession au quatrième trimestre, après un rebond notable mais bref au troisième trimestre 2020, un durcissement significatif des conditions financières serait particulièrement malvenu. Dans ce contexte, l’indice des conditions financières (ICF) pour la zone euro de la Banque de France fournit des informations intéressantes[2]. L’indice est constitué de dix-huit variables regroupées en six facteurs : les taux d’intérêt, le crédit, le cours des actions, l’incertitude, l’inflation et les taux de change. Pendant le mois de janvier, un durcissement des conditions financières est apparu, mais ce mouvement s’est inversé en février (graphique 3) sous l’effet de l’évolution des taux de change, de l’incertitude, des marchés actions et du crédit. L’inflation a évolué dans la direction opposée, tandis que la contribution des taux d’intérêt est restée stable. Il convient de souligner que, sur la base de cette mesure, les conditions financières en général restent accommodantes, de sorte qu’il ne faut pas trop s’inquiéter des fluctuations à court terme. En revanche, les scores des taux d’intérêt et de l’inflation sont déjà dans la zone indiquant un durcissement et, si la hausse des rendements obligataires finit par peser plus sensiblement sur les marchés actions, les scores des facteurs « cours des actions » et « incertitude » pourraient aussi se dégrader[3].
La question de l’évaluation des conditions financières est revenue à plusieurs reprises dans la conférence de presse de Christine Lagarde, présidente de la BCE, le 21 janvier, et compte tenu des évolutions récentes du marché, on peut s’attendre à ce qu’elle reste une thématique-clé du rendez-vous du 11 mars. Le message était le suivant en janvier : « notre évaluation des conditions de financement favorables ne se fonde pas sur un seul indicateur. Il s’agit d’une approche holistique, qui prend en compte des indicateurs multiples »[4]. L’accent mis sur le caractère « holistique » de la méthode montre que la question de savoir si le durcissement des conditions nécessite, ou non, des mesures de politique monétaire dépend du contexte économique [5]. Dans les circonstances actuelles, la poussée des rendements obligataires dans la zone euro ne peut être considérée comme un signe de vigueur économique. Bien au contraire, elle intervient à un mauvais moment. Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, a été très explicite sur ce point dans une allocution récente : « Nous observons d’ores et déjà un effet de contagion indésirable de la hausse des rendements américains sur la courbe de taux de la zone euro. Si l’on n’y remédie pas, cela pourrait entraîner un durcissement des conditions de financement, incompatible avec les perspectives de la zone euro et préjudiciable à la reprise économique [dans la région] »[6]. Dans ces conditions, on peut a minima s’attendre à une déclaration très ferme du Conseil des gouverneurs de la BCE, le 11 mars prochain, sur sa détermination à agir en cas de hausse persistante des rendements. Bien entendu, les marchés préféreraient une action immédiate. Après tout, l’outil – le PEPP – est déjà là et on pourrait en faire un plus grand usage.