Malgré le relâchement récent des tensions élevées sur les prix dans l’industrie manufacturière de la zone euro, les analystes craignent une inflation durablement plus élevée que par le passé. La BCE semble de plus en plus partager ce point de vue, ce qui a son importance dans la perspective de la réunion du Conseil des gouverneurs de décembre.
Les perturbations des chaînes d’approvisionnement et la hausse des prix des intrants auront-elles un effet durable sur l’inflation ? Cela dépendra de leur transmission au reste de l’économie. On peut s’attendre à ce qu’elle soit plus marquée sous l’effet conjugué d’une demande vigoureuse, de la faiblesse des stocks et de l’allongement des délais d’approvisionnement. C’est la situation qui prévaut actuellement dans les secteurs des biens de consommation durables, des biens intermédiaires et des biens d’équipement. Mais peut-être l’inflation surprendra-t-elle, après tout, à la hausse à court terme.
Les tensions sur les prix dans l’industrie manufacturière – moyenne des prix des intrants, des prix à la production et des délais de livraison des fournisseurs dans les enquêtes PMI – ont récemment faibli tout en se maintenant à un niveau élevé. D’après les données historiques, les hausses de cet indicateur s’accompagnent parfois d’une augmentation de l’inflation sous-jacente, comme en 2011-2012 (graphique 1) mais ce n’est pas toujours le cas, comme en 2017-2018.
Malgré l’instabilité de cette corrélation, actuellement le niveau élevé des tensions sur les prix fait craindre aux analystes un risque d’inflation durablement plus élevée que par le passé.
La Banque centrale européenne semble de plus en plus partager ce point de vue. Certes, malgré une révision à la hausse des projections d’inflation, Christine Lagarde s’est montrée assez neutre lors de la conférence de presse du 9 septembre dernier : l’inflation totale devrait reculer l’année prochaine mais le risque d’une hausse surprise n’est pas à écarter si certaines conditions sont réunies.
Dans ses dernières projections pour l’économie française, la Banque de France énonce très clairement ces risques. L’ampleur et la durée des effets de la hausse observée des prix des intrants industriels « constituent un aléa haussier pour notre projection d’inflation ». Tout en notant que les prix des intrants semblent s’être stabilisés pour le moment, une hausse de ces derniers reste envisageable au regard des contraintes pesant sur les approvisionnements. « [Dans ce contexte], conjugué aux tensions sur les recrutements, des hausses de salaires plus importantes que prévu sont possibles»[1].
Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a récemment évoqué trois facteurs qui méritent une attention particulière : des perturbations prolongées des chaînes d’approvisionnement, des réformes de grande ampleur et des changements structurels conduisant à une trajectoire de croissance plus soutenue et un optimisme accru des consommateurs – ajoutant : « nous veillons avec le plus grand soin à ce que les hypothèses sous-jacentes aux projections ne sous-estiment pas la possibilité d’une hausse de l’inflation dans les années à venir »[2]. Selon Martins Kazaks, gouverneur de la banque centrale de Lettonie, « sauf mauvaise surprise liée à l’épidémie de Covid, il existe un risque haussier des perspectives d’inflation à moyen terme »[3].
Enfin, le Financial Times souligne que, selon le scénario de référence interne à moyen terme (dont l’horizon de projection est de cinq ans), établi par les services de la BCE, l’inflation atteindrait 2 % peu après la fin de l’horizon (qui s’étale sur trois ans) des projections publiées par la BCE[4].
Les responsables de la BCE insistent, semble-t-il, un peu plus qu’auparavant sur le risque haussier d’inflation, une évolution qui a son importance dans la perspective de la réunion du Conseil des gouverneurs en décembre prochain. À cette occasion, en effet, l’institution de Francfort publiera ses projections mises à jour – qui pourraient influencer les anticipations de taux directeurs – tandis que le Conseil devrait se prononcer sur l’avenir du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (pandemic emergency purchase programme, PEPP).
Dans ce contexte, les données économiques seront plus que jamais examinées de près, en particulier, celles relatives aux goulets d’étranglement des chaînes d’approvisionnement et aux prix des intrants. Auront-ils un effet durable sur l’inflation ? Cela dépendra en grande partie de leur transmission au reste de l’économie, autrement dit dans quelle mesure provoqueront-ils une hausse des prix à la production et, in fine, des prix à la consommation ?
L’allongement des délais de livraison a tendance à entraîner une augmentation des prix des intrants tandis que la faiblesse des niveaux de stocks, conjuguée à une forte demande, se traduira probablement par une faible élasticité-prix de la demande, ce qui donnera l’occasion aux producteurs de relever leurs prix à la production en réaction à la hausse des prix des intrants. On peut donc s’attendre à une transmission plus forte dans un contexte de demande vigoureuse, de stocks faibles et d’allongement des délais d’approvisionnement.
C’est la situation que rencontrent actuellement en zone euro les secteurs des biens de consommation durables, des biens intermédiaires et des biens d’équipement (graphiques 2-7). Mais peut-être l’inflation surprendra-t-elle, après tout, à la hausse à court terme.