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Des hausses de salaire mi-figue mi-raisin en 2022

20/07/2022
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En 2021, les négociations salariales ont été difficiles dans un contexte de reprise économique fragile et inégale ; les hausses de salaires devraient être plus élevées en 2022 sans toutefois compenser les effets de la forte inflation. Le très puissant syndicat allemand, IG Metall, a obtenu une revalorisation des salaires inédite depuis 30 ans dans le secteur de la métallurgie : +6,5%. Mais cette progression est à relativiser puisque l’accord a été signé sur 18 mois, ce qui ramène le taux de croissance annuel à +4,5 % en 2022.

Les négociations salariales en Allemagne s’effectuent principalement de façon centralisée (secteur, branche). Le tournant de la décentralisation dans les années 90 a surtout permis aux entreprises d’accroître la flexibilité et de s’extraire des normes de branches professionnelles en cas de situations exceptionnelles (difficultés financières, conjoncture économique défavorable). La Confédération allemande des syndicats (DGB), pilier du syndicalisme allemand, centralise la plupart des organismes syndicaux et regroupe près de 6 millions d’adhérents. Elle est dominée par deux grandes puissances syndicales : IG Metall (métallurgie, textile) et Ver.Di (transport, commerce, banque et assurance).

Allemagne : coûts salariaux et dynamique des salaires dans le secteur privé

Les négociations collectives ont été particulièrement difficiles en 2021 en Allemagne. Malgré la pugnacité des syndicats, les circonstances peu propices liées aux deux années de pandémie de Covid-19 ont empêché les salaires de progresser significativement. En moyenne annuelle, les salaires négociés n’ont augmenté que de 1,7%, un plus bas depuis 2006 selon l’institut WSI1 qui est rattaché à la Fondation Hans-Böckler. Cette faible dynamique s’explique aussi par le fait que 2021 a été marqué par la distribution de primes exceptionnelles plutôt que par des revalorisations salariales. Dans un contexte de reprise économique inégale entre les secteurs, les entreprises ont préféré conserver de la flexibilité en attribuant aux salariés des « primes Corona » (Corona-Prämie), comme le définit le WSI dans son rapport annuel. Ce bonus exceptionnel d’un montant maximum de EUR 1 500 par travailleur a été exonéré de taxes jusqu’en mars 2022. En pratique, les primes distribuées se sont élevées en moyenne à EUR 500, allant de EUR 90 dans l’industrie de la confiserie à EUR 1 300 dans le secteur public.

L’inflation devrait rogner les hausses de salaires pourtant importantes en 2022

Initialement, l’année 2022 devait être un bon millésime pour les négociations salariales2. Les accords provisoires pour cette année étaient favorables aux salariés compte tenu de la reprise post-Covid et des tensions croissantes sur le marché du travail. Le rapport annuel du WSI, publié fin 2021, mentionnait que le contexte d’une « forte reprise économique et de pénuries de main-d’œuvre qualifiée dans de nombreuses branches créeraient des conditions favorables à des augmentations de salaire substantielles. Les travailleurs s’attendent à ce que leur pouvoir d’achat progresse en 2022 ». Plusieurs secteurs avaient négocié des revalorisations significatives, souvent complétées par des primes comme en 2021 : l’hébergement (hausse comprise entre +4% à 6% selon le grade), le transport (de 1,5% à 5%), la construction (+2% à +3%).

Mais la dégradation rapide et violente de l’environnement économique a pris à contrepied un grand nombre d’organismes syndicaux. Le ralentissement de l’activité va peser sur le pouvoir de négociation des salariés. Or, ces derniers souhaiteraient négocier des hausses de rémunération plus importantes que prévu pour préserver leur pouvoir d’achat face à une inflation qui devrait atteindre un peu plus de 8 % en moyenne annuelle en 2022.

A l’issue d’un récent mouvement de grève, le plus puissant syndicat Allemand, IG Metall, a obtenu le 15 juin dernier des augmentations de salaires de +6,5% à compter du mois d’août et sur les 18 prochains mois pour les salariés de la métallurgie. Cela fait suite aux négociations dans la filière du textile où IG Metall avait obtenu une augmentation de +5,6% des salaires début mai. Bien qu’il s’agisse de la plus forte hausse depuis 30 ans dans le secteur de la métallurgie, la progression est à relativiser. En effet, l’accord a été signé sur 18 mois, ce qui ramène le taux de croissance annuel à +4,5% en 2022. Sans oublier que les salaires bénéficiaient d’un effet base très positif lié au fait qu’en 2021, l’augmentation des rémunérations s’expliquait essentiellement par des primes dans le secteur de la métallurgie. Les hausses de salaires dans les autres branches devraient être plus modérées car IG Metall bénéficie d’un pouvoir de négociation plus important que d’autres organisations syndicales plus petites.

Plus qu’un simple coup de pouce, la revalorisation historique du salaire minimum préservera le pouvoir d’achat des plus modestes

ÉVOLUTION DU SALAIRE MINIMUM EN ALLEMAGNE DEPUIS SON INSTAURATION EN 2015

Avec un pouvoir d’achat en net augmentation cette année, les travailleurs rémunérés au salaire minimum ou à des niveaux proches feront figures d’exception. Ils verront, en effet, leur pouvoir d’achat s’améliorer grâce à l’augmentation substantielle du salaire minimum qui atteindra EUR 12 de l’heure en octobre 2022 (Graphique 2) après une première augmentation en juillet à EUR 10,45 de l’heure, contre EUR 9,82 actuellement (soit 22% de hausse au total).

Tous les salariés rémunérés aux minima de branches ne seront toutefois pas directement concernés par cette revalorisation. En effet, le salaire minimum dépasse déjà les EUR 12 dans un certain nombre de secteurs. Mais la hausse du salaire minimum devrait générer des effets d’entraînement sur le salaire au voisinage de ce dernier3. Cela augmenterait le salaire d’un nombre significatif de salariés dans les premiers déciles de la distribution des revenus4. Les branches qui verront leur minima rehaussé sont essentiellement celles qui concentrent les travailleurs les plus précaires : agences d’intérim, agences de services de nettoyage et de propreté, agriculture, métiers du bâtiment.

Des hausses de salaires insuffisantes pour alimenter l’inflation domestique

Même si la croissance des salaires réels devrait être négative en 2022, il convient de se demander si l’ampleur des hausses nominales de salaires est susceptible d’enclencher une rétroaction entre les salaires et les prix.

Théoriquement, pour être en ligne avec la cible d’inflation de la Banque centrale européenne, les salaires nominaux peuvent augmenter de +3% par an puisque la hausse de la productivité du travail (+1% par an en moyenne à long terme) permet de contenir la hausse des coûts salariaux unitaires à +2% par an.

Dans le cas allemand, les hausses de salaires négociées en 2022 paraissent élevées à cause d’un effet de base important : les travailleurs ont été majoritairement récompensés via des primes l’année dernière, or les grilles salariales n’ont quasiment pas progressé en 2021. En réalité, une partie des hausses de salaires va être rognée par la baisse des primes versées à titre exceptionnel l’an passé. La rémunération totale des salariés va donc augmenter plus modérément en 2022 que ce que suggèrent les accords signés.

Les coûts salariaux unitaires tiennent compte de la rémunération totale et sont corrigés des gains de productivité. Ils devraient progresser plus modérément que les salaires (de l’ordre de 3% en 2022) et ainsi ne pas générer de pressions inflationnistes sur les coûts des entreprises. Les données disponibles pour le 1er trimestre 2022 semblent confirmer cette thèse : alors que les salaires dans le secteur privé ont augmenté de +5% a/a, les coûts salariaux unitaires n’ont progressé que de +1,8% a/a (Graphique 1).

Du côté des salariés, leur pouvoir de négociation s’est effrité à mesure que conjoncture s’est dégradée. Alors qu’ils étaient en position de force en fin d’année dernière, avec une croissance du PIB prévue à plus de 4%5, la baisse de l’activité et des bénéfices attendus par les entreprises a renforcé la capacité des syndicats patronaux à conclure des accords de branches moins généreux. Le recul du chiffre d’affaires dans de nombreux secteurs, notamment industriels, a aussi permis aux entreprises en difficultés de s’exclure des accords signés et de geler les salaires.

On peut donc conclure qu’à ce stade la dynamique des salaires en Allemagne n’est pas d’une ampleur suffisante pour alimenter une inflation par les coûts.

Pour comprendre dans quel cadre ont lieu ces négociations salariales, il est essentiel de revenir sur la structure des syndicats allemands et les mécanismes de fixation des salaires.

COÛTS SALARIAUX ET DYNAMIQUE DES SALAIRES DANS LE SECTEUR PRIVÉ

SECTEURS IMPACTÉS PAR LA HAUSSE DU SALAIRE MINIMUM ET SECTEURS DONT LES MINIMAS SONT PROCHES

Des syndicats organisés et regroupés pour lutter contre à la baisse structurelle du nombre d’adhérents

Historiquement, les syndicats allemands sont organisés par branches (Industriegewerkschaft). Chaque organisme défend les intérêts des salariés du secteur qu’il représente. Cela conduit à une multiplicité de syndicats dès lors qu’un secteur est suffisamment important pour en créer un. Ce système a perduré de l’après-guerre jusqu’à la fin des Trente glorieuses en Allemagne de l’Ouest. Ensuite, les grandes organisations ont progressivement souffert de l’individualisation du travail qui n’a plus favorisé l’entente des travailleurs au sein d’une structure commune. La forte diminution du nombre d’ouvriers a fait chuter le nombre d’adhérents, car les autres catégories socio-professionnelles sont bien moins syndiquées : en Allemagne seulement 2% des informaticiens adhèrent à un syndicat6.

Avec la baisse sensible du taux de syndicalisation dans les années 90, qui a conduit à une réduction des effectifs des syndicats et des recettes liées aux cotisations, les fédérations indépendantes ont entamé un mouvement de fusion. Des structures plus grandes, capables de conserver une influence importante, ont été créées. La taille étant un facteur déterminant dans les négociations, dès 1996 le syndicat du bâtiment a fusionné avec la fédération agricole, forestière et horticole pour donner naissance au IG BAU.

L’année suivante, les organisations syndicales de la chimie, des extractions minières et des tanneries se sont associées pour former le IG BCE, et IG Metall (composé des secteurs de la sidérurgie, du bois, du plastique) a aspiré le syndicat du textile. Le secteur des services a lui aussi connu un regroupement massif, avec la création de Ver.Di en 2001 issu de la fusion des syndicats du transport, du commerce, de la poste, des autres services publics, et des activités bancaires et assurantielles.

Ce mouvement s’est poursuivi jusqu’à ce que la grande majorité des syndicats se regroupe au sein de la Confédération allemande des syndicats (DGB). Celle-ci regroupe près de 6 millions de syndiqués à travers l’Allemagne (Graphique 4). Bien que plurielle, la principale confédération du pays est dominée par de grands acteurs comme IG Metall ou Ver.Di qui bénéficient d’une influence considérable.

NOMBRE D’ADHÉRENTS (EN MILLIERS) DES SYNDICATS MEMBRES DE LA CONFÉDÉRATION ALLEMANDE DES SYNDICATS (DGB) EN 2018

Des négociations salariales centralisées avec une dose de flexibilité

En matière de négociations salariales, l’Allemagne se caractérise par un fort degré de centralisation, les accords étant majoritairement définis au niveau d’un branche ou d’un secteur. Bien qu’un mouvement de décentralisation ait été amorcé à partir du milieu des années 90, afin de favoriser les négociations à l’échelle des entreprises, les rémunérations restent principalement définies, et de très loin, lors de négociations collectives sectorielles. Les syndicats revêtent une importance particulière et leur rôle institutionnel majeur fait d’eux des acteurs de la négociation à part entière. Cette cogestion implique qu’ils soient co-responsables, au même titre que leurs homologues patronaux et les pouvoirs publics, des décisions économiques et sociales qui sont prises. Les syndicats allemands sont aussi peu en proie à des oppositions d’ordre idéologique. La nécessité et la volonté de trouver un accord commun laisse peu de place aux revendications politiques. Ce processus de fixation des salaires se traduit par une culture du compromis très prononcée.

Une autre particularité du modèle allemand est la flexibilité accrue dans l’application des conventions collectives. Les entreprises peuvent plus facilement qu’ailleurs en Europe se soustraire à certains accords de branche si leur situation financière individuelle est délicate ou une crise économique frappe un secteur. Cela se traduit notamment par des gels temporaires de la rémunération7.

Néanmoins en Allemagne, le taux de couverture des négociations collectives est faible. La plupart des négociations étant centralisées (la part d'employés représentés par une organisation syndicale ou couverts par les négociations collectives atteint à peine 55% ; graphique 5), les comités d’entreprise (Betriebsrat) jouent un rôle de premier plan dans la négociation au niveau de l’entreprise. Ces comités, composés d’employés et de dirigeants, permettent aux salariés d’être représentés et défendus8 en l’absence d’organisations syndicales. Ces dernières souffrent de la baisse tendancielle du taux de syndicalisation à laquelle l’Allemagne, comme les autres pays industrialisés, n’a pas échappé (de 35% au début des années 1980 à 16% en 2019). Néanmoins, empiriquement, les effets de la présence des salariés dans les comités d’entreprise sur la dynamique des salaires est faible voire inexistante9.

TAUX DE SYNDICALISATION ET TAUX DE COUVERTURE DES SALARIÉS PAR UNE NÉGOCATION COLLECTIVE

Contrairement à la France, où le rythme de la négociation salariale est annuel, la fréquence des accords salariaux ne sont pas dictés par la loi en Allemagne. En pratique toutefois, les organismes syndicaux engagent tous les ans des négociations avec le patronat au niveau des branches. Les accords courent souvent sur les deux années suivantes (depuis le début des année 2000, la durée moyenne des accords collectifs s’établit à 22,3 mois). Par ailleurs, les négociations décentralisées au niveau de l’entreprise sont plus fréquentes ; c’est ce que montre l’enquête « Wage Dynamics Network », supervisée par la Banque centrale européenne et la Bundesbank : 39% des entreprises allemandes déclarent que les salaires de base sont ajustés plus d’une fois par an, et 31% chaque année.

Pour résumer, le modèle de négociation salariale allemand est relativement performant économiquement et socialement. Il est suffisamment centralisé pour être efficace, comme le suggère la littérature sur le sujet10, et prévoit des clauses de flexibilité qui permettent aux entreprises les plus fragilisées de se soustraire à un accord trop contraignant et de préserver l’emploi11.

1 Institut chargé du suivi des négociations salariales et de l’évolution du salaire minimum en Allemagne.

2 Dullien et al. (2021), « Auf Winterpause folgt kräftiges Wachstum: Die konjunkturelle Lage in Deutschland zur Jahreswende 2021/2022 » IMK-Report No. 172, Düsseldor.

3 Les études montrent, en moyenne, que les effets d’entraînement sont perceptibles jusqu’à 1,5 à 2 fois le salaire minimum, mais décroissent ensuite très rapidement.

4 Koubi et al. (2007) « Les effets de diffusion de court terme des hausses du Smic dans les grilles salariales des entreprises de dix salariés ou plus sur la période 2000-2005 » Dares, Les salaires en France, Édition 2007) ; Goarant et al. (2012) « Les effets des hausses du Smic sur les salaires mensuels dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2009 », document de travail de la DARES ; Aeberhardt et al. (2016) « Spillover effect of the Minimum Wage in France: An Unconditional Quantile Regression », Working Papers, Center for Research in Economics and Statistics.

5 OCDE, perspectives économiques décembre 2021.

6 IFRI 2007 « Les syndicats en France et en Allemagne : Difficiles adaptations aux mutations de la société », Visions franco-allemandes n° 12.

7 Jimeno et Thomas (2013) « Collective bargaining, firm heterogeneity and unemployment », European Economic Review, vol. 59, Elsevier.

8 Freeman et Lazear (1995) « An economic analysis of works councils », in J Rogers and W Streeck (eds.), Works Councils: Consultation, Representation, Cooperation in Industrial Relations, NBER Comparative Labor Markets Series) ; Freeman et al. 2020 (« Unions raise worker wellbeing» VoxEU, 11 November).

9 Blandhol et al. (2020) « Do employees benefit from worker representation on corporate boards? », NBER Working Paper n°28269) ; Jager et al. 2021 (“Labor in the boardroom”, Quarterly Journal of Economics 136 : 669–725).

10 Calmfors et Driffill (1988) « Bargaining structure, corporatism and macroeconomic performance », Economic Policy, vol. 3, n° 6) ; Cahuc et Zylberberg, 1991 (« Niveaux de négociations salariales et performances macroéconomiques », Annals of Economics and Statistics, n° 23).

11 Jimeno et Thomas (2013) « Collective bargaining, firm heterogeneity and unemployment », European Economic Review, vol. 59, Elsevier.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE