Eco Emerging

Période de flottement

05/10/2020
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Au cours de l’été, l’activité dans les pays émergents a bien rebondi comme le laissait supposer le redressement des enquêtes réalisées auprès des entreprises à partir du mois d’avril. L’indicateur de suivi de la croissance (growth tracker) de l’Institute for International Finance (IIF) affiche une progression de 5,3% en moyenne mobile sur trois mois et en rythme annuel en août, contre -1,3% en juin. Ce redressement semble relativement solide car les trois composantes de cet indice (indicateurs d’activité, enquêtes auprès des entreprises, indicateurs financiers) y contribuent toutes depuis juillet. En Chine, le PIB a retrouvé son niveau d’avant-crise et la reprise se généralise. Cependant, pour une large majorité de pays, Chine mise à part, les indicateurs d’activité (production industrielle, exportations, ventes au détail) n’avaient pas retrouvé en juillet leur niveau de fin 2019. Par région, l’Amérique latine accuse encore un retard par rapport à l’Asie et à la zone EMEA (l’indicateur de l’IIF y était encore en baisse de 2,2% alors qu’il était en hausse de 8,1% pour l’Asie, Chine comprise, et de 5,1% pour l’EMEA). Les disparités entre pays et le manque d’information ne permettent pas de dire si le moteur du redressement est plutôt interne ou externe. D’une manière générale, le redémarrage des exportations semble en avance sur celui des importations, mais les industriels peuvent a priori déstocker pour répondre à la demande, qu’elle soit interne ou externe. On peut remarquer que, pour le Brésil, la Turquie et les pays d’Europe centrale, le redressement repose largement sur la consommation des ménages grâce aux transferts publics (Brésil, Turquie) ou à la résistance du marché du travail et des salaires (pays d’Europe centrale).

SIGNES D’ESSOUFFLEMENT

Beaucoup d’observateurs le craignent qu’une fois le rebond mécanique passé la reprise s’essouffle, pour plusieurs raisons. D’abord, la reprise des exportations marque le pas dans un grand nombre de pays. L’évolution mesurée en glissement sur un an des exportations (donc par rapport à la situation pré-Covid) reste encore négative. Surtout l’écart très négatif, qui s’était fortement réduit entre le point bas de mars/avril et le mois de juin, se résorbe plus difficilement. L’hypothèse d’un ralentissement durable du commerce international, du fait d’une réorganisation des chaînes de valeur et d’une relocalisation des activités, reste une inconnue majeure pour le scénario de rattrapage. Plusieurs pays ont décidé de reconfiner leur population ou de prolonger le confinement sur l’ensemble du territoire (Israël) ou dans les zones urbaines (Argentine, Indonésie). Les pays d’Amérique latine présentent toujours des ratios victimes/population les plus élevés (Brésil, Chili, Mexique, Pérou), mais la progression de la pandémie semble ralentir. En revanche, les nouveaux cas progressent toujours en Inde et, dans plusieurs pays de la zone EMEA, la courbe des nouveaux cas s’est fortement accentuée. Finalement, seuls les pays d’Asie ont réussi jusqu’à présent à endiguer la première vague et pris des mesures pour couper court à une deuxième. Enfin, le rebond des investissements de portefeuille observé de la fin mai jusqu’à la mi-juillet a fait long feu. Entre la mi-juillet et la mi-septembre, les sorties nettes se sont élevées à USD -13 milliards (-5 mds hors Chine) d’après les statistiques de l’IIF. Le retrait des investisseurs s’observe notamment au Brésil et en Turquie.

FACTEURS DE SOUTIEN

Une rechute de l’activité au T4 et en 2021 n’est pas le scénario le plus probable. À l’exception notable du Mexique, les indices PMI du mois d’août ont retrouvé ou dépassé leur niveau du T1. Au-delà de ces indicateurs avancés, des facteurs de soutien existent, même s’ils sont fragiles et/ou ne possèdent pas un levier puissant. Une quarantaine de pays ont sollicité auprès du G20 une suspension des remboursements des dettes extérieures publiques dus aux créanciers bilatéraux (DSSI). Les montants potentiels de report de dette sont de USD 11,5 mds entre octobre et décembre 2020 et une extension de l’initiative jusqu’en décembre 2021 représenterait un allègement supplémentaire USD 16,6 mds. L’État chinois y participe a priori activement, comme le suggère la restructuration de la dette de l’Angola. Signalons également l’accord passé par l’Argentine et ses créanciers privés internationaux. Des bouffées d’oxygène nécessaires pour éviter la multiplication des défauts souverains. Les prix des matières premières se raffermissent même si l’ampleur du rebond est limitée en raison de stocks encore importants. Les prix du pétrole et du gaz bénéficient du respect, par les membres de l’OPEP+, des quotas de production, et les prix des métaux des mesures de soutien de la Chine en faveur de l’investissement en infrastructure et en construction. Par ailleurs, l’assouplissement monétaire s’est poursuivi dans une dizaine de pays émergents de sorte que les taux d’intérêt sur la dette publique en monnaie locale ont continué de diminuer, du moins en Asie. Les marchés ne sanctionnent toujours pas la forte augmentation des déficits budgétaires. Du reste, le retrait des investissements de portefeuille des non-résidents a surtout affecté les marchés d’actions et peu ceux de la dette souveraine en monnaie locale. La Turquie et, dans une moindre mesure, le Brésil sont les deux exceptions. Le real et la livre ne se sont pas réappréciés contre le dollar américain, lequel s’est pourtant affaibli contre les grandes devises (euro, yen) depuis le mois de juillet. La banque centrale de Turquie a même été contrainte de durcir la politique monétaire, entraînant une hausse sensible du coût d’emprunt de l’État.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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