Activité soutenue par l’investissement public
L’activité économique est restée soutenue durant l’année budgétaire 2020 malgré les mesures de confinement. La croissance du PIB a atteint 3.5% en termes réels ; en baisse significative par rapport à 2019 (5,6%), mais au-delà des estimations de la majorité des analystes. En réalité, seul le dernier trimestre (T2 2020) a été affecté par les restrictions sanitaires. Au cours des trois premiers trimestres, le PIB a progressé en moyenne de 5% en glissement annuel. L’activité dans la construction n’a été que marginalement affectée par les restrictions de déplacement, et les chantiers liés aux infrastructures publiques (transport, villes nouvelles) ont continué presque normalement. Enfin, la croissance démographique soutenue (supérieure à 2% par an) constitue un socle structurel important pour la croissance.
Les perspectives pour 2021 sont relativement positives et la croissance pourrait légèrement progresser (3,8% attendu). Sur le plan sanitaire, l’épidémie de Covid-19 est pour le moment relativement contenue selon les données officielles. Par conséquent, la plupart des mesures de confinement ont été levées (seuls les lieux de culte restent soumis à des restrictions) et permettent une reprise de l’activité dans les services marchands. Par ailleurs, des mesures de soutien au pouvoir d’achat ont été mises en place par le gouvernement. Néanmoins, dans un contexte de hausse du taux de chômage (9,6% en T2 2020, soit un plus haut depuis deux ans) et de baisse du revenu disponible d’une grande partie de la population, il semble que la consommation des ménages ne connaîtra pas de progression significative cette année. Ce sont les dépenses publiques, notamment dans les mégaprojets, qui devraient continuer de soutenir la croissance du PIB.
Baisse significative de l’inflation
L’inflation des prix à la consommation s’inscrit résolument en baisse depuis le début de l’année grâce principalement à la baisse des prix alimentaires (40% du calcul de l’indice des prix). En août, ils ont baissé pour le troisième mois consécutif (m/m) et déclinent de 0,4% en moyenne sur les douze derniers mois. Il n’est pas sûr que cette baisse des prix alimentaires soit durable et permette à l’Égypte d’atteindre un régime d’inflation significativement inférieur dans les années à venir. En effet, la baisse des prix à la consommation est pour partie liée au ralentissement de l’activité économique. Par ailleurs, l’intervention de la puissance publique a permis un plus grand contrôle des flux et des prix des biens alimentaires. Il n’est pas certain que cette politique soit soutenable à moyen terme.
Selon nos prévisions, l’inflation annuelle devrait atteindre 4,6% en moyenne à décembre 2020, très en deçà de l’objectif de la Banque centrale d’Égypte (9% +/-3%) et 4,0% pour l’ensemble de l’année budgétaire 2021.
Niveau élevé du taux directeur de la banque centrale
Dans ce contexte a priori favorable à un assouplissement monétaire, la banque centrale (BCE) a choisi pour le moment de privilégier une approche graduelle et de maintenir son taux directeur à un niveau élevé (8,75%). Ceci peut se justifier pour au moins trois raisons. Premièrement, après la réduction de 300 points effectuée en mars dernier, de nouvelles baisses importantes auraient des conséquences limitées sur l’activité économique. Même si la plupart des mesures sanitaires restreignant l’activité ont été levées, les perspectives de reprise restent très incertaines, ce qui n’incite pas les entreprises à investir.
Deuxièmement, la baisse spectaculaire de l’inflation reste fragile. D’une part, la baisse des prix des produits alimentaires est liée à des éléments susceptibles de changer, et d’autre part, la libéralisation des prix de l’énergie les rendent beaucoup plus sensibles qu’auparavant aux prix du marché. Troisièmement, le choc économique et financier survenu en 2020 a confirmé la vulnérabilité des comptes extérieurs et la nécessité de maintenir une politique de taux d’intérêt attractive pour les investisseurs étrangers actifs sur le marché de la dette en monnaie locale.
Dans un contexte de chute de l’activité touristique et d’une aggravation attendue du déficit courant, les investisseurs étrangers sont massivement sortis du marché égyptien en mars. Le montant des bons du Trésor détenus par les non-résidents a chuté de USD 12,7 mds en trois mois, pour atteindre USD 7 mds en mai. La conclusion d’un accord avec le FMI pour un soutien total de USD 8 mds, ainsi que l’émission de USD 5 mds de dette souveraine sur les marchés internationaux ont permis de rétablir la liquidité extérieure. En juillet, avec le retour des investisseurs étrangers sur le marché égyptien, le montant des bons du Trésor détenus par les non-résidents est repassé au-dessus de USD 10 mds. Le niveau actuel des taux donne un avantage significatif au marché égyptien en termes de rapport rendement/risque, et il contribue à la stabilité du change, voire à sa légère appréciation, favorisant d’autant les opérations de carry trade.
Injection de liquidités supplémentaires dans l’économie
La banque centrale injecte de la liquidité dans l’économie en utilisant les opérations d’open market. Ces opérations ont été massivement utilisées depuis fin 2016 afin de contenir le gonflement de la masse monétaire et ses possibles conséquences inflationnistes. Depuis le début de l’année, le montant des opérations d’open market s’est sensiblement réduit, passant de 20% de M2 en moyenne en 2018-2019 à 8,5% en juillet 2020. Cette liquidité supplémentaire a majoritairement permis de financer les créances du gouvernement qui ont contribué en moyenne à 19% de la hausse de M2 depuis avril 2020 (contre 5,8% pour le secteur privé). Cet accroissement de la liquidité n’a pas de conséquences inflationnistes en raison du ralentissement de l’activité et de l’attractivité des certificats de dépôts proposés par les banques publiques (elles détiennent 50% des actifs bancaires) afin de décourager la dollarisation des dépôts.
Gonflement du crédit aux ménages et hausse de l’exposition des banques au risque souverain
On retrouve, dans l’évolution de l’exposition des banques au risque souverain, les changements constatés au niveau de la masse monétaire. Les créances du gouvernement représentent 42% du total en mai 2020 (32% un an auparavant). L’exposition des banques au souverain retrouve son niveau de fin 2016, quand les investisseurs étrangers étaient absents du marché des titres publics. Pour autant, le maintien de taux d’intérêts suffisamment attractifs pour les investisseurs étrangers peut contribuer à libérer de la liquidité pour le secteur privé.
L’accélération des crédits au secteur privé est notable (+20% g.a. en juin 2020), bien que moins forte que celle des créances sur le gouvernement (+49%). Au cours du S1 2020, la progression du crédit aux entreprises a surtout concerné des crédits à court terme et a bénéficié de la politique de prêts à taux bonifiés mise en place par la BCE en 2019 et dont le taux est passé de 10% à 8%. Si le crédit aux entreprises accélère depuis le début de l’année (+18% g.a. en mai 2020), c’est le crédit aux ménages (30% du crédit total au secteur privé) qui connaît la hausse la plus rapide (+30%). Les banques égyptiennes sont connues pour leur politique prudente de distribution du crédit, et l’endettement des ménages est conditionné à une source régulière de revenu. Néanmoins, cette accélération du crédit aux ménages est à surveiller étant donné la détérioration de la situation économique. Sur fond d’augmentation du taux de pauvreté constaté depuis 2016 par la Banque mondiale, la suppression progressive de la politique de subvention a provoqué la baisse du pouvoir d’achat d’une part significative des classes moyennes. Le ralentissement économique actuel et les perspectives négatives de l’activité touristique ne permettent pas d’envisager une amélioration à court terme.
Pour le moment, la qualité des actifs des banques du secteur privé reste stable. Selon les résultats des banques publiés pour le premier semestre, le taux de créances douteuses s’élevait à 3,8% en T2 2020, contre 3,9% en T1 2019 (4,5% en septembre 2019 pour l’ensemble du système bancaire selon le FMI). Dans le même temps, les banques ont significativement augmenté leurs provisions pour tenir compte de la dégradation des conditions économiques. Mais le moratoire sur le paiement des intérêts des prêts bancaires pour tous les débiteurs a largement contribué stabiliser la qualité des créances sur les entreprises. La fin du moratoire en septembre 2020 pourrait révéler la situation financière réelle des débiteurs et affecter la qualité du portefeuille des banques.