Dépression de l’Économie angolaise
Les conséquences de la crise actuelle sont considérables, alors que l’Angola enregistre une croissance négative depuis le choc pétrolier de 2014-2016 : en moyenne, la croissance a été de -1,4 % entre 2016 et 2019. Malgré le programme de réformes du président Lourenço, le choc actuel accentue les vulnérabilités structurelles de l’économie, à savoir l’absence de diversification et la dépendance financière vis-à-vis de la Chine. En effet, l’importance du secteur des hydrocarbures rend l’Angola particulièrement vulnérable à la chute des cours du pétrole et au manque d’investissements dans le secteur. Ces derniers ont entraîné une baisse constante de la production depuis 2016 (de 1,72 million b/j à 1,38 million b/j estimés en 2019, soit une baisse de 20%).
Malgré un ralentissement contenu au T1 2020, l’impact de la crise apparaît de manière plus marquée au T2 2020. Au total, l’activité a enregistré un recul de -6,1% en glissement annuel (contre -1,8% au T1 2020). Bien que la production ait légèrement repris depuis le début de l’année[1], le secteur pétrolier contribue négativement à la croissance du PIB. Qui plus est, la production en valeur enregistre un recul plus important encore du fait de la baisse des prix. La contraction des revenus pétroliers se répercute à l’ensemble des secteurs de l’économie. Par ailleurs, le commerce a particulièrement pâti de l’état d’urgence et des restrictions globales.
La contraction de l’activité devrait se poursuivre au regard des indicateurs avancés. L’indice de confiance des entreprises continue de baisser (-21 points en moyenne mobile au T2 2020 contre -15 au T1 2020) et illustre à la fois les contraintes opérationnelles à la reprise de l’activité (ruptures dans les chaînes de production domestiques et extérieures) et l’inquiétude vis-à-vis d’une baisse durable de la demande. La forte baisse de la confiance dans le secteur manufacturier (-36 points) et celui du commerce (-43 points) illustre cette double problématique. En effet, malgré l’allègement des mesures sanitaires, la faiblesse de la consommation privée se conjugue à la reprise timide de la demande extérieure.
Le FMI a d’ailleurs révisé ses prévisions et éliminé tout espoir d’une reprise de l’activité en 2020, avec une contraction inédite de -4% attendue en 2020 (contre -1,3% prévu initialement). De plus, le FMI anticipe un rebond modéré pour 2021 (+3,2% selon les mêmes estimations, contre +2,6% au préalable) qui résulterait d’un important effet de base.
La demande domestique (près de 50 % de la valeur ajoutée) est, par ailleurs, contrainte par l’importante augmentation des prix. La contraction de l’activité et l’effondrement du baril de brut ont affaibli la devise locale, le kwanza (-20 % par rapport au USD depuis fin 2019), accentuant les pressions inflationnistes. L’augmentation des prix (déjà soutenue par la libéralisation de la devise[2] et l’introduction de la TVA en octobre 2019) a atteint 13,1 % en g.a. au T2 2020 et devrait largement sortir de la bande cible d’inflation de la banque centrale (BNA), comprise entre 7% et 9 %, sur l’année pour atteindre 21 % en g.a en moyenne en 2020, puis 20,6 % en 2021[3] suite à l’ajustement des prix réglementés et la dépréciation rapide du kwanza.
Outre l’augmentation des créances douteuses, l’effet conjugué de l’inflation et de la dépréciation du kwanza représente un risque pour le secteur bancaire. En effet, le nombre de défauts est susceptible de bondir (alors que 28 % du crédit est libellé en dollar US). Par ailleurs, la dépréciation du change alourdit le service de la dette et la position extérieure débitrice du pays. De plus, elle accentue le risque de financement si elle se traduit par une pression croissante sur les réserves de change.
Pression accrue sur les capacités de financement
La crise actuelle affaiblit considérablement les perspectives financières du pays, déjà entamées par le choc de 2014-2016. Au regard des conditions actuelles, le FMI a revu sa prévision du ratio de dette publique à 120,3 % pour 2020. Cette révision s’explique largement par la dépréciation du kwanza, 70 % de l’encours étant libellé en devises.
Or, la capacité du pays à répondre à ses besoins de financement extérieurs s’est fortement réduite. En effet, suite au choc de 2014-2016, l’Angola n’est parvenu à financer un déficit courant qu’au prix d’une ponction significative de ses réserves de change (passées de USD 32,2 mds en 2013 à USD 17,3 mds fin 2019). En outre, la dette extérieure du pays a plus que doublé en pourcentage du PIB, passant de 20,6 % en 2013 à 76.2% fin 2019, et notamment l’endettement non concessionnel favorisé par un environnement de taux faible.
Dans l’environnement actuel, cette détérioration à la fois de la liquidité et de la solvabilité extérieure du pays conduit à un renchérissement du coût de financement extérieur difficilement soutenable. Cela s’illustre notamment par l’augmentation de la prime de risque sur la dette souveraine en devises, qui dépasse les 500 points de base (pb) depuis début 2020, à 1 063 pb en août contre 557 fin décembre 2019. Cela s’explique, d’abord, par le niveau de réserve historiquement faible et le financement extérieur très largement dépendant des exportations de pétrole (95 % des recettes totales en devises du pays). Or, la baisse des recettes en devises résultant de la chute des prix du pétrole est aggravée par une baisse structurelle de la production. En 2020, le besoin de financement extérieur est estimé à plus de USD 5 mds (près de 89 % du PIB) et les capacités du pays pour y répondre sont limitées. Les recettes fiscales de l’État tirées des revenus pétroliers ne représentant pas la totalité des recettes fiscales, la dépréciation du kwanza rend les remboursements de plus en plus coûteux. Les capacités de financement du pays reposent particulièrement sur ses accords de prêts bilatéraux libellés en devises, en particulier avec la Chine (plus de la moitié de l’encours de la dette en 2019).
À très court terme, un défaut sur la dette extérieure devrait pouvoir être évité avec un service de la dette estimé autour de 36 % des revenus en 2020 (dont USD 3,3 mds d’acquittement de dette et USD 1,2 md d’intérêts à rembourser).
À ce jour, le pays est momentanément soulagé par le soutien financier du FMI, dont le déboursement de la 4e tranche de facilité (USD 1 md) et l’accord de financement additionnel (USD 767 millions), dans le cadre du programme de facilité élargie de crédit accordé en 2018, vient d’être conclue. L’Angola est aussi parvenu à négocier un moratoire sur le service de sa dette auprès des créanciers bilatéraux et officiels dans le cadre de l’ISSD, initiative conjointe du pays du G20 et du Club de Paris : les économies réalisées seraient de l’ordre de USD 30 millions d’ici à fin 2020. Néanmoins, cela ne concerne pas l’encours contracté auprès de la Chine avec laquelle l’issue des négociations sera décisive, bien que perçue comme positive. Cela étant, ces mesures n’incluent pas la dette détenue par le secteur privé.
En l’absence d’accord et/ou si les montants concernés demeurent insuffisants, un rééchelonnement de la dette pourrait être nécessaire pour rendre la dette soutenable. Aussi, à plus moyen terme, la reconstruction des amortisseurs financiers extérieurs, conditionnée par la hausse significative du prix du pétrole brut et la diversification substantielle de l’économie, est vitale.