Récession moins prononcée
Relativement aux autres pays développés, la récession attendue en Corée pour 2020 devrait être modérée. Le PIB devrait reculer de 1,3% en 2020, après avoir progressé de 2,0% en 2019 et 2,8% en moyenne au cours des cinq dernières années.
D’une part, la gestion efficace de la crise sanitaire (avec, dès la fin du mois de janvier, une politique de dépistage de masse, de traçage des contacts et d’isolement des malades) a permis d’assouplir les restrictions sur les déplacements de la population et l’activité plus tôt que dans la plupart des autres pays, et d’éviter un confinement au niveau national.
D’autre part, les solides fondamentaux macroéconomiques (au début de l’année 2020, le déficit et la dette publics étaient modérés, l’inflation était maîtrisée et la vulnérabilité externe très faible) ont permis aux autorités de soutenir l’économie : plusieurs plans (quatre à ce jour) ont été annoncés par le gouvernement depuis le début du mois de mars, incluant à la fois des mesures de court terme (destinées à soutenir les ménages et les PME les plus vulnérables) et des mesures de long terme. Les annonces du mois de juillet comprenaient notamment le Korean New Deal, un plan d’investissement sur 5 ans, dont l’objectif est de « digitaliser » l’économie, promouvoir des projets « écologiques et environnementaux », ainsi que d’améliorer la couverture sociale pour l’ensemble de la population. Au total, en incluant le soutien direct et indirect (tel que les extensions de garantie pour les entreprises et les reports de paiement des impôts et des cotisations de sécurité sociale), le montant des mesures se porte à près de 20% du PIB. Dans le même temps, la banque centrale a diminué son taux directeur de 75 points de base depuis le mois de mars (à 0,5%), annoncé plusieurs plans de soutien financier (aux entreprises les plus vulnérables notamment), et s’est engagée à fournir de larges montants de liquidités aux entreprises.
Au total, le PIB n’a reculé « que » de 0,7% en g.a. au premier semestre et la demande privée s’est révélée plutôt résistante : la consommation privée a reculé de 4,5% en g.a. au premier semestre, et l’investissement progressait de 3,3% en g.a., illustrant la flexibilité de l’économie coréenne. Sans surprise cependant, les exportations ont lourdement chuté au deuxième trimestre (-13% en g.a. en termes réels), malgré le soutien apporté par la progression des exportations du secteur des semi-conducteurs - liée à la forte augmentation de la demande de puces, composants d’ordinateurs portables et périphériques réseaux, suite à la brusque augmentation du travail à distance.
Reprise graduelle plutôt que rebond de croissance
La reprise devrait être graduelle. L’indice de production industrielle et les ventes au détail se redressent continûment depuis avril, mais plusieurs facteurs devraient contraindre le rebond de l’activité à court terme. Nous attendons une croissance du PIB de 2,3% en 2021.
D’une part, le gouvernement a ré-instauré des mesures de distanciation sociale à la fin du mois d’août, après que le nombre de nouveaux cas confirmés a de nouveau progressé à plus de 400 par jour dans les derniers jours du mois, alors que la moyenne enregistrée entre le 15 mars et le 15 août était de 44. Lors de la première vague épidémique, le pic avait été enregistré le 29 février, avec 909 nouveaux cas. Les restrictions ont été allégées dès la mi-septembre (le nombre quotidien de nouveaux cas s’était stabilisé autour de 100), mais restent au
« niveau 2 » pour une durée indéterminée dans la région de Séoul (i.e. le recours au télétravail et l’enseignement à distance sont privilégiés, les rassemblements sont limités). Le gouvernement devrait présenter dans les prochains jours de nouvelles mesures au plan national afin d’établir « une stratégie prudente entre croissance économique et lutte contre le virus ». Ces mesures pèseront sur la consommation privée au dernier trimestre (notamment sur la demande de services) et au début de l’année 2021, mais probablement moins qu’au premier semestre.
D’autre part, même si les exportations devraient pouvoir se redresser à très court terme, la demande mondiale restera durablement affaiblie, pénalisant d’autant le secteur exportateur coréen. Les tensions entre les États-Unis et la Chine pèseront particulièrement sur les exportations coréennes compte tenu, à la fois, de la forte intégration de la Corée dans les chaînes de valeur régionales et de l’importance des relations commerciales entre les deux pays (comme source de la demande finale). Signe de leur vulnérabilité, les exportations totales de la Corée ont chuté de 10% en g.a. (en dollars courants) en 2019 lorsque les tensions sino-américaines se sont intensifiées, alors que celles de Taiwan n’ont diminué que de 2% sur l’année (et les exportations chinoises n’ont que très légèrement baissé). De même, alors que les exportations chinoises et taiwanaises se sont redressées pendant l’été 2020, les ventes coréennes ont continué de chuter (-9% en g.a. en juillet-août). Les exportations coréennes à destination de la Chine ont diminué de 16% en 2019 et de 5% sur les 8 premiers mois de 2020.
Les revenus liés au tourisme devraient également rester faibles au cours des prochains trimestres, mais l’effet sur la croissance ne sera pas aussi important que pour d’autres pays de la région. Au sens strict, les recettes du tourisme représentent 2% du PIB en Corée, contre près de 12% en Thaïlande par exemple.
Enfin, en l’absence de nouvelles mesures de soutien à l’activité, la contribution de la consommation publique à la croissance devrait se réduire. Dans sa proposition de budget (présentée mi-septembre), le gouvernement ne prévoit une augmentation des dépenses que de 1% en 2021 relativement au montant total de 2020 (qui avait augmenté de près de 15% par rapport à 2019, après inclusion des quatre plans de relance successifs).
De solides fondamentaux macroéconomiques aident à absorber la dégradation actuelle
Les fondamentaux macroéconomiques coréens devraient rester solides à court terme. D’une part, la vulnérabilité externe reste particulièrement faible. Le compte courant devrait se dégrader mais rester excédentaire (avec un excédent attendu à 1%, du PIB après 3,6% en 2019). En outre, la position financière extérieure se renforce continument depuis 2010 et était proche de 36% du PIB à la fin du T2 (alors qu’elle était légèrement inférieure à 30% à la fin du T4 2019), constituant une solide protection contre les épisodes de fuites de capitaux.
D’autre part, la dégradation des finances publiques, consécutive aux quatre plans de relance annoncés cette année, s’inscrit dans une situation très confortable et devrait être modérée. Tout d’abord parce que le secteur privé (y compris les institutions financières) contribuera largement au soutien financier apporté aux entreprises. Ensuite, dès le budget 2019, le gouvernement avait proposé une politique économique de « croissance tirée par les revenus », dont l’objectif était d’améliorer la redistribution, en augmentant les dépenses publiques. Le Korean New Deal présenté en juillet s’inscrit dans ce cadre. Au total, le déficit budgétaire devrait s’établir à 4,4% du PIB en 2020, contre 0,6% en 2019. La dette publique devrait atteindre 44% du PIB en 2020, contre 39,5% en 2019. Si le gouvernement applique effectivement les plans annoncés, on s’attend, pour les prochaines années, à une stabilisation du déficit et de la dette autour de ces niveaux.
Le profil de la dette publique est favorable : la maturité des bons du Trésor est longue (plus de 10 ans), la base d’investisseurs est diversifiée, à la fois au plan domestique et international. Par ailleurs, la part d’investisseurs étrangers détenteurs de bons du Trésor a légèrement augmenté récemment, mais reste modérée (à 17% en juillet 2020, après avoir été stable autour de 15% depuis 2015). Enfin, la dette contingente liée aux entreprises publiques reste importante (estimée à 26% du PIB à fin-2019), mais décroit continûment depuis la mise en place du plan de restructuration instauré en 2013 (la dette contingente représentait alors plus de 35% du PIB).
Enfin, le système bancaire dans son ensemble est solide et capable d’absorber une dégradation temporaire de la qualité des actifs. La rentabilité des banques va diminuer au cours des prochains trimestres, mais les mesures de soutien mises en place par le gouvernement et la banque centrale aideront à absorber le choc. Cela dit, quelques fragilités sont à surveiller : la vulnérabilité de plusieurs banques régionales a augmenté (pour les régions dans lesquelles les mesures de distanciation sociale ont été les plus strictes), ainsi que pour certaines branches du secteur exportateur (automobile et naval notamment). Par ailleurs, bien que le risque associé soit considéré comme modéré à court terme, la dette des ménages est élevée (103% du PIB à la fin du T1 2020). Les mesures macroprudentielles mises en place depuis 2017 ont permis de ralentir la progression du crédit aux ménages, mais le profil de la dette reste source de vulnérabilité, notamment parce que 50% du total de cette dette est toujours liée à des emprunts à taux variables.