Recul sans précédent de l’activité économique
Au T1 de l’année fiscale 2021 (avril-juin 2020), la croissance indienne s’est contractée de 23,9% en glissement annuel (g.a.). Hormis les dépenses du gouvernement, toutes les composantes de la demande intérieure ont enregistré une contraction sans précédent, induite par le confinement de l’ensemble de la population jusqu’au 1er juin. La consommation des ménages, premier moteur de la croissance, a affiché un recul de 26,7% en g.a., alors que dans le même temps les investissements se sont contractés de plus de 47% en g.a. Dans un tel contexte, la baisse des importations ayant été supérieure à celle des exportations, la contribution des exportations nettes à la croissance a été positive. Du côté de l’offre, la contraction a été particulièrement forte dans l’industrie (-33,8%) et, dans une moindre mesure, dans les services (-24,3%) avec notamment le gel des activités de construction, transport, hôtellerie et restauration. L’agriculture est le seul secteur à enregistrer une croissance positive, bien que modeste (+3,4% en g.a.).
Les premiers indicateurs d’activité disponibles pour le deuxième trimestre de l’année fiscale 2020/2021 confirment un rebond par rapport au trimestre précédent. L’activité est néanmoins loin d’être revenue au niveau qui précédait avant la crise induite par l’épidémie de coronavirus. En outre, alors que l’activité dans l’industrie a accéléré, ce n’est pas le cas dans les services. En juillet, la production industrielle et le transport de marchandises, bien que toujours en recul par rapport à la même période l’année dernière, ont fortement rebondi. L’indice de production industrielle a atteint 118,1 contre un plus bas de seulement 54 en avril. Elle reste toutefois inférieure, de plus de 10,4%, à son niveau de juillet 2019, en raison notamment d’une contraction toujours importante de la production de biens de capital et de biens de consommation durables (respectivement -22,8% et -23,6% en g.a.). Le rebond est surtout sensible pour les biens de consommation non durables.
Le rattrapage devrait se poursuivre car les anticipations sont bien orientées. En août, après quatre mois de contraction, l’indice de confiance des entrepreneurs (PMI) a dépassé le seuil de 50 à partir duquel l’activité progresse. Les anticipations de nouvelles commandes (domestiques) ont augmenté.
La reprise reste néanmoins fragile. Premièrement, dans les services, l’indice PMI, bien qu’en hausse par rapport aux mois précédents, n’était toujours que de 41,8 au mois d’août. Deuxièmement, la croissance du crédit bancaire aux entreprises reste extrêmement modeste en dépit de taux d’intérêt réels bas (en moyenne les taux d’intérêt sur les nouveaux crédits déflatés de la hausse des prix à la consommation s’élevaient à seulement 1,6% en août 2020 contre 6,6% il y a un an). Les nouveaux projets mis en œuvre au T2 2020 étaient en baisse de plus de 88% par rapport à la fin de l’année. D’ailleurs, d’après les statistiques relatives au commerce extérieur, en juillet, les importations de biens en capital atteignaient seulement 62% de leur niveau d’avant la crise de la Covid-19. Troisièmement, le rattrapage de la consommation des ménages reste progressif. En août, les ventes automobiles affichaient toujours une baisse de 4,7% en glissement annuel. La confiance des ménages reste déprimée, même si selon les dernières données d’enquête ces derniers se déclarent plus optimistes quant à leur avenir. D’après le Centre for Monitoring Indian Economy (CMIE), le taux de chômage a continué de diminuer à 7,3% mi-septembre après avoir atteint un point haut de 23,5% en avril, indiquant une normalisation assez rapide du marché du travail. Cependant, cette statistique ne couvre pas le secteur du marché informel, lequel représente 80% de l’emploi en Inde.
Forte hausse des pressions inflationnistes
En dépit de l’effondrement de la demande intérieure, l’indice des prix à la consommation a atteint en juillet des niveaux proches de ceux qui prévalaient en 2014. La hausse des prix s’est établie à 6,9% en g.a. alors qu’elle était de seulement 3,1% un an plus tôt. Cette accélération résulte principalement de l’augmentation des prix alimentaires (qui constituent près de 46% du panier de consommation des ménages indiens), et en particulier ceux des produits protéinés. Elle résulte, dans une moindre mesure, de la hausse des prix des transports (en raison de l’augmentation des taxes sur l’essence), des équipements de communication et des biens importés suite aux dysfonctionnements dans les chaînes de production internationales. Toutefois, même hors prix alimentaires et énergie, l’inflation a atteint 5,9% en g.a. en juillet 2020 contre 4,3% un an plus tôt. L’augmentation des prix de l’or serait à l’origine de la hausse d’un demi-point de pourcentage de l’indice hors prix d’alimentaire et de l’énergie.
La hausse des prix a conduit la banque centrale à interrompre son assouplissement monétaire. Son objectif étant de contenir l’inflation à 4% +/-2%, elle a maintenu ses taux directeurs inchangés à 4% lors de son comité de politique monétaire du mois d’août.
Forte dégradation des finances publiques
Sur les quatre premiers mois de l’exercice budgétaire 2020/2021 qui s’achèvera au 31 mars 2021, le déficit du gouvernement a augmenté de 50% par rapport à la même période l’année dernière, atteignant 103,1% de l’objectif annuel du gouvernement fixé en février 2020 à 3,5% du PIB. Cette très forte dégradation reflète l’effondrement des recettes budgétaires (-41,7%) qui n’ont atteint que 11% de leur cible annuelle en raison de la forte contraction de l’activité économique. Les recettes de TVA ont diminué de près de 35% alors que les taxes sur les revenus ont enregistré une contraction d’environ 30%. Dans le même temps, les dépenses, bien que contenues, ont augmenté de 11,3% (soit 35% de l’objectif annuel). Sur l’ensemble de l’année 2020/2021, le déficit du gouvernement pourrait ainsi atteindre 8% du PIB (contre 4,6% en 2019/2020).
Les Etats devraient, eux aussi, enregistrer une forte dégradation de leur situation budgétaire. Le ministère des Finances a annoncé en août dernier qu’il ne serait pas en mesure de compenser l’intégralité de la perte des recettes de TVA des États que ces derniers chiffrent à INR 3 trillions. Le gouvernement estime, pour sa part, que le manque à gagner reflète essentiellement les conséquences de l’épidémie de Covid-19 (et ne sont pas induites par l’adoption de la TVA unique en 2017) et a annoncé qu’il ne pourrait reverser que INR 650 mds, perçus sur les biens de luxe[1], aux États. Pour faire face à cette baisse de recettes de TVA (INR 2,35 mds), le gouvernement a demandé aux États de financer eux-mêmes leur manque à gagner par des émissions de dettes (en partie émises à des taux préférentiels auprès de la banque centrale) sans pour autant excéder un montant équivalant à 5,2%, voire 5,5% du PIB (selon qu’ils financent partiellement ou intégralement la perte financière) contre 3% du PIB précédemment. À la veille de l’ouverture du Conseil de la TVA (GST Council), regroupant les États et le gouvernement et qui vise à statuer sur ces compensations le 5 octobre prochain, dix États ont déjà refusé ces deux propositions. En outre, quelle que soit l’issue de ce conseil, à la fin de l’exercice budgétaire 2020/2021, le déficit du gouvernement et de l’ensemble des administrations pourrait s’élever à plus de 12% du PIB, et la dette du gouvernement et des États pourrait atteindre près de 89% du PIB (vs 72,2% du PIB en FY 2019/20).
Par ailleurs, au-delà du risque de détérioration des finances publiques et de dégradation de la note souveraine par les agences de notation (Moody’s a abaissé en juin dernier la note du souverain indien d’un cran et laissé le pays en perspective négative), le soutien mesuré du gouvernement à l’économie est une source d’inquiétude pour la reprise (l’année dernière, sans crise sanitaire, la contribution des dépenses du gouvernement à la croissance s’était élevée à près de 30%).
Les comptes extérieurs tiennent
Depuis le début de l’année, les comptes extérieurs se sont consolidés. L’Inde, importateur net de pétrole, a bénéficié de la forte baisse des prix du brut. Par ailleurs, la contraction des importations, conjointement à celle de la demande intérieure, a compensé la baisse des exportations.
Sur les cinq premiers mois de l’année 2020/2021, le déficit commercial a reculé de plus de 72%. Le solde du compte courant a affiché un excédent de 3,9% du PIB entre avril et juin 2020.
La légère reprise d’activité depuis le mois de juin s’est reflétée dans une accélération des importations au mois de juillet qui ont retrouvé 72% avec leur niveau d’avant la crise de la Covid-19. Néanmoins, les importations de biens de consommation ont accéléré davantage que les importations de biens en capital.
En dépit des importantes sorties d’investissements de portefeuille en mars 2020, la valeur de la roupie contre le dollar US n’était inférieure en septembre que de 2,7% à son niveau de fin 2019. De plus, les réserves de change atteignaient un plus haut de USD 541 mds, soit près de deux fois les besoins de financement à court terme du pays. Pour l’instant, malgré des perspectives de croissance en berne, les investissements directs étrangers ont continué d’affluer.